Dans le but de renforcer les capacités opérationnelles des systèmes de protection et d’éducation des enfants au Bénin, le Réseau des Structures de Protection des Enfants en Situation Difficile (ReSPESD), a conduit des années durant, le programme BJ 2073 financé par la Fondation Educo. Après la mise en œuvre des première et deuxième phases de ce programme, Maxime Agoua, le chargé de programmes au ReSPESD fait le bilan à travers cette interview. Lisez plutôt !
Educ’Action : En quoi consiste le programme BJ 2073 et quels en étaient les objectifs ?
Maxime Agoua : Le programme BJ2073 est un programme institutionnel intitulé « Programme de Renforcement des Systèmes Nationaux de Protection et d’Education de l’enfant au Bénin » et décliné en trois phases. La première phase a consisté à faire le diagnostic de manière participative, des besoins des acteurs de la chaîne de protection du secteur public et du secteur des Organisations de la Société Civile (OSC). Sur cette base, nous avons enclenché et débouché sur la deuxième phase qui a permis d’apporter les réponses appropriées aux besoins qui ont été identifiés lors de la première phase. En ce qui concerne la troisième phase, il s’agit de la capitalisation qui consiste à passer la main pour que des services publics et d’autres structures en charge de protection de l’enfant puissent continuer. Théoriquement, cette phase devrait commencer cette année mais nous avons dû faire un break pour apprécier globalement ce qui a été fait et voir dans la mesure du possible, comment relancer le programme. Ce programme a été conduit par le ReSPESD avec la collaboration de la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT), l’Association des Enfants et Jeunes Travailleurs (AEJT) du Bénin. Educo-Bénin est également une partie prenante qui a fait essentiellement un appui institutionnel à un certain nombre de ministère en charge de la protection et de l’éducation de l’enfant au Bénin. La mise en œuvre de ce projet a été motivée par le constat selon lequel le cadre légal comme celui organisationnel en matière de protection et d’éducation de l’enfant au Bénin, a besoin d’être revisité. Il a été question d’apprécier fondamentalement ce que le législateur a prévu en matière de protection et d’éducation de l’enfant, de voir si les textes sont en phase avec les besoins des enfants, de revisiter le fonctionnement des organes de protections, tout secteur confondu. Il s’agit aussi d’identifier les besoins de ces acteurs pour voir comment les accompagner pour que la prise en charge de l’enfant soit véritablement au cœur de leur préoccupation.
Quelles sont les activités que vous avez menées sur le terrain ?
Nous avons mené un certain nombre d’activités de renforcement de capacité des acteurs de protection. A cet effet, nous avons formé 293 agents publics des ministères en charge de la protection et de l’éducation de l’enfant ; formé des Officiers de Polices Judiciaires (OPJ) et des médecins qui interviennent en matière de prise en charge sanitaire des enfants. Nous avons formé des assistants sociaux, des cadres des Centres de Promotion Sociale (CPS) ainsi que près d’une dizaine de magistrats. Nous avons aussi formé 373 OSC, et ONG qui interviennent en matière de protection et d’éducation de l’enfant. Aussi, avons-nous fait des plaidoyers pour une budgétisation sensible aux droits des enfants dans les communes. Selon la nomenclature des budgets communaux, il est prévu une ligne dédiée au social sur laquelle sont opérées les questions de prise en charge et d’éducation de l’enfant. Nous avons estimé au niveau des acteurs de protection, qu’il faut une ligne spécialement dédiée pour la protection des enfants. Nous avons fait ce plaidoyer sur la base d’une étude qui a permis de voir les besoins des enfants selon les communes d’intervention de ce projet. Et nos plaidoyers ont porté leurs fruits puisque nous avons une dizaine de mairies qui se sont engagés à prévoir et pourvoir une ligne rien que pour la protection et l’éducation de l’enfant. Ce projet faut-il préciser, a couvert les départements du Littoral, de l’Ouémé, de l’Atlantique, du Borgou, de l’Alibori et une dizaine de communes.
Est-ce que les enfants eux-mêmes ont été pris en compte dans vos activités ?
Selon la Politique Nationale de Protection de l’Enfant (PNPE), il y a le principe de la participation auquel il ne faut pas déroger. Ceci nous a amenés à impliquer les enfants dans la mise en œuvre de nos activités de bout en bout. Nous en voulons pour preuve, la conduite des activités de plaidoyer faites dans les communes. Ces plaidoyers ont été essentiellement conduits par le ReSPESD avec un appui substantiel des enfants. Et sur cette base, les autorités communales ne sont pas restées insensibles à nos demandes.
Avez-vous l’impression d’avoir atteint les objectifs de départ ?
Largement ! Nous sommes allés bien au-delà de nos prévisions. Nous sommes à 111% de réalisation physique et à 97% de consommation budgétaire. Nous sommes véritablement satisfaits de ce que nous avons fait. Nous en avons pour preuve les notes de satisfaction venant essentiellement des directions départementales en charge des affaires sociales pour nos actions en faveur des enfants. Il est vrai que nous avons connu des difficultés qui sont exogènes au programme, mais dans l’ensemble, je puis dire que les difficultés ont été surmontées et nous avons trouvé des mesures de motivation pour arriver à bon port.
Quel visage le domaine de la protection de l’enfant présente aujourd’hui au Bénin ?
La protection de l’enfant est un travail de longue haleine, un sacerdoce. Mais globalement, le tableau du respect des droits de l’enfant n’est pas si reluisant en ce sens que nous assistons à des violations des droits des enfants. Nous avons des défis qui sont liés par exemple aux questions de déplacement des enfants, de mobilité dans un contexte sécuritaire sous-régional difficile. Nous avons des enfants livrés à eux-mêmes, des enfants de la rue. Malgré que les textes que nous avons ratifiés avec l’OIT disent qu’un enfant doit avoir 14 ans révolus avant d’être admis en apprentissage, il y a des enfants de moins de 14 ans qui sont livrés à des travaux dépassant parfois leur constitution physique. Dans les grands marchés du Bénin, vous avez des enfants qui portent des charges, et vivant dans des conditions difficiles. Ces défis nous interpellent et nous demandent de rester en éveil. Mais nous pouvons dire que les acteurs formés sont suffisamment outillés pour continuer le travail sur le terrain afin de relever ces défis. La preuve, c’est qu’au-delà des formations, nous avons réalisé et produit un manuel qualifié de cahier de participant. Ce manuel comporte beaucoup de thématiques émergentes sur la protection de l’enfant. Il y a des modules liés à la communication avec l’enfant, à la prise en charge d’un enfant dans un cadre de conférence, des modules sur la protection de la vie privée et des données personnelles de l’enfant, la gestion de dossier d’un enfant.
Quels sont les autres chantiers sur lesquels le ReSPESD entend se lancer ?
Nous avons des chantiers qui sont consubstantiels au programme. Il y a la question de la relecture d’un certain nombre de textes portant sur la protection de l’enfant. Il y a les questions de la mobilité et de la mendicité des enfants qui nous préoccupent. Nous avons aussi des défis de pouvoir maintenir le fonctionnement régulier des organes de protection de l’enfant. Ces défis sont liés au programme. Mais au-delà de ceux-là, nous avons d’autres programmes que nous conduisons avec d’autres partenaires. Il y a le programme qui consiste à mettre au goût du jour les textes portant protection de l’enfant sur les questions de déplacement. Avec le contexte sécuritaire difficile, il y a matière à veiller au déplacement des enfants surtout dans les régions frontalières du Bénin. Un programme intégré de prise en charge des orphelins au Bénin est sur le point d’être financé. Un autre programme porte sur la prise en charge des enfants affectés par le VIH/Sida. Nous avons des chantiers, les perspectives sont bonnes, l’engagement et la détermination des acteurs sont là.
Que dire pour conclure cet entretien ?
La question de la protection des enfants, au-delà de son aspect sociétal, est aussi un sacerdoce. Les acteurs qui sont dans ce secteur doivent se dire que c’est un travail qui est fait avec cœur et de manière totalement désintéressée. On apprécie l’humanisme d’une communauté à l’aune de l’intérêt qu’elle accorde aux enfants notamment. J’invite nos partenaires, nos collègues à mouiller davantage le maillot et à rester en alerte. Nous leur demandons de fouiller les manuels que nous avons distribués et de s’en imprégner davantage afin de travailler pour le grand bien de nos enfants. Nous profitons de cette occasion pour dire merci à Educ’Action qui nous a accompagnés de bout en bout. Nous saluons tous les ministères, les directions départementales de protection d’enfant, les ONG, les membres du réseau, la CBO-EPT, l’AEJT. Nous saluons par delà tout, notre partenaire technique et financier Educo et espérons continuer ensemble. Nous lançons un appel à l’endroit des autres partenaires techniques et financiers qui s’intéressent à la question de réalisation de droits de l’enfant au Bénin pour leur dire que nous sommes là, disposés à faire de très bonnes choses avec eux.
Propos recueillis par Estelle DJIGRI