Depuis l’annonce des résultats des examens de fin d’année, notamment le Bac, des cas de suicides sont enregistrés aussi bien sous nos cieux que sous d’autres. Cela pose le problème de la gestion de l’échec dans le rang des apprenants et parents d’élèves. Avec des spécialistes, nous en parlons pour éradiquer ce fléau de notre société.
Candidat malheureux à l’examen du Baccalauréat, session de juin 2024, Fawaz vit mal son échec après tous les sacrifices consentis pour espérer tirer son épingle du jeu. « C’est difficile et très douloureux l’idée de perdre une année. J’ai veillé pour apprendre. J’ai fait de mon mieux pour appartenir à des groupes d’études parce que mes parents n’ont pas les moyens de me prendre des répétiteurs. J’étais vraiment résolu à avoir le Bac coûte que coûte. J’ai accompagné tous ces efforts de prière. Je pensais pouvoir honorer mes parents qui sont au village avec l’annonce d’un résultat positif au Bac, mais j’ai échoué et je me demande à quoi ont servi les sacrifices. Si au moins j’ai été paresseux au cours de l’année, je comprendrais mon échec, mais j’étais sûr d’avoir donné l’essentiel », a narré presqu’en larmes, l’élève Fawaz quelques jours après les résultats du Bac. Malgré la désolation et le regret qui se lisent sur son visage, le jeune élève d’environ 22 ans, n’entend pas baisser les bras. « Je vais encore essayer l’année prochaine avec les mêmes ardeurs. L’obtention de ce diplôme fera de moi le premier enfant de mes parents à avoir été si loin dans les études et je ne m’en arrêterai pas là. », s’est-il résolu.
Contrairement à Fawaz qui se relève tout doucement de son échec avec la volonté de mieux faire l’année à venir pour décrocher son premier diplôme universitaire, certains des candidats ayant échoué cette année, n’auront plus jamais l’occasion de réussir ni même d’essayer.
En effet, pour une raison ou une autre, ils sont retrouvés mort après leur échec au Bac. Depuis l’annonce des résultats courant le mois de juillet 2024 dans beaucoup de pays, des photos de certains jeunes apprenants circulent sur les réseaux sociaux. La cause de leur décès est un suicide. Le phénomène malheureusement n’est pas propre au Bénin. Sous d’autres cieux comme au Cameroun par exemple, la situation est la même. Pour preuve, « une jeune élève du lycée Moderne de Nkozoa à Yaoundé a bu de l’eau de javel après avoir été refusée au Bac », peut-on lire sur plusieurs pages, photo à l’appui. Cette situation pose le problème de la gestion de l’échec aux examens. L’échec est ainsi perçu comme la fin du monde pour certains. Ce qui ne devrait normalement pas être le cas, à en croire certains spécialistes de divers domaines.
La notion de l’échec scolaire vue par les spécialistes
Raïssa Zoumènou, spécialiste en Sciences de l’éducation et de la formation a été interrogée sur la notion de l’échec scolaire. Elle explique que l’échec scolaire dépend de l’objectif que la société s’est fixée à un moment donné en termes de durée de scolarisation et de niveau de diplôme à atteindre. Ainsi, dès lors que le résultat attendu en un moment précis n’est pas observé de la part de l’apprenant, c’est l’échec. « Sur cette base, nous pouvons définir l’échec scolaire comme l’incapacité d’un élève à atteindre les objectifs académiques fixés par le système scolaire. Si l’objectif principal de l’élève est de réussir son année voire son cursus scolaire, nous pouvons alors voir l’échec scolaire comme le non aboutissement de ce projet qui se traduit en général par des redoublements et l’insuccès aux examens de fin d’année. », a-t-elle développé. Elle va un peu plus loin pour laisser comprendre que l’échec scolaire peut aller bien au-delà et se manifester à travers des difficultés que peuvent présenter certains élèves à s’adapter à l’école et à son fonctionnement, des difficultés à acquérir des connaissances scolaires de base, des difficultés se manifestant au moment du passage d’un niveau d’enseignement à un autre. Alors, ces difficultés, si elles persistent, aboutissent souvent à des retards scolaires importants, des orientations vers des filières non désirées ou moins valorisantes, des échecs aux évaluations, aux examens ou même l’abandon scolaire.
Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou est psychologue clinicienne, psychothérapeute, enseignante en psychologie. Elle est parfaitement en phase avec le développement de la spécialiste en Sciences de l’éducation. « Nous parlons généralement de l’échec scolaire lorsque l’élève ne parvient pas à atteindre les objectifs ou les attentes scolaires fixés par rapport à son niveau d’étude. », a-t-elle dit. Mais elle a insisté sur le fait que lorsqu’on parle d’échec, ce n’est pas l’enfant qui est un échec. « En réalité, l’enfant n’est pas un échec mais l’enfant n’arrive pas à atteindre le niveau attendu sur le plan scolaire. Donc il est important de faire cette différence entre l’échec scolaire et le fait de désigner l’enfant par l’échec. », a-t-elle nuancé. Ces insuccès observés chez les apprenants sont causés par de multiples facteurs non négligeables.

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Raïssa Zoumènou
Les facteurs intrinsèques et extrinsèques favorisant l’échec
L’échec scolaire est plurifactoriel de façon intrinsèque comme extrinsèque. C’est le point de vue de l’experte en santé mentale, Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou. Au nombre des facteurs intrinsèques, elle classe les difficultés d’apprentissages, les troubles émotionnels, les problèmes psychiques, les problèmes de mauvaise estime de soi, de manque de motivation et les pathologies organiques et physiques de façon générale. Comme si les deux expertes se sont concertées en amont, la spécialiste en Sciences de l’éducation, Raïssa Zoumènou dresse aussi le manque de motivation, les problèmes de santé, les troubles et difficultés d’apprentissage, le stress, le faible estime de soi, sur la liste des facteurs personnels favorisant l’échec scolaire. Outre ces facteurs propres à l’apprenant, il y a les facteurs extrinsèques. « Nous pouvons citer entre autres le milieu familial et socio économique de l’enfant, l’environnement scolaire, les problèmes de comportement, les perturbations en classe, les conflits avec les enseignants et surtout le manque de soutien éducatif, le manque de l’accompagnement pédagogique où l’enfant ne bénéficie pas de tout le soutien dont il a besoin. », a exposé Dr Aïhounzonon Kpadonou. Raïssa Zoumènou ajoute à tout ceci, le faible niveau d’éducation des parents, les conditions socio-économiques précaires, la qualité de l’enseignement, le manque de ressources pédagogiques, le climat scolaire peu favorable. Il y a également, poursuit-elle, les facteurs sociaux qui peuvent englober la pression des paires, la stigmatisation, l’environnement communautaire défavorable.
S’il est vrai que tout ceci mis ensemble favorise grandement l’échec des apprenants et surtout des candidats, le suicide ne doit pas être la porte de sortie à laquelle ces apprenants, en l’occurrence les candidats malheureux, doivent penser à la suite de leur défaite.
La pression de la société, source de suicide
Tous autant qu’elles sont, spécialiste de la santé mentale et spécialiste des Sciences de l’éducation pensent que les suicides auxquels la société assiste de plus en plus au lendemain des résultats des examens, sont des tragédies qui montrent une fois de plus l’importance de l’accompagnement psychologique et du soutien émotionnel des élèves. Ces suicides se justifient par plusieurs raisons. « Ces tragédies peuvent s’expliquer par une grande pression que subissent certains jeunes souvent exaspérés par des attentes irréalistes de la part de leur entourage ou de la société. Et parfois même, ce sont des parents qui sont à l’origine de cette pression. », se désole Raïssa Zoumènou, spécialiste en Sciences de l’éducation et de la formation. En tant que psychologue et au regard de tout ce à quoi elle fait face dans son métier, Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou, affirme que « Les élèves subissent tellement de pression sur le plan académique que ce soit de la part de leurs parents, de leurs enseignants, que de la société en général. Cette pression combinée au manque de soutien émotionnel peut engendrer des problèmes de santé mentale non diagnostiqués. Souvent les élèves peuvent souffrir des problèmes de santé mentale tels que la dépression, l’anxiété ou d’autres troubles qui peuvent être exacerbés par un échec scolaire. » Tout ceci, selon elle, pousse à une réflexion profonde sur notre système éducatif, notre société et notre approche de santé. Parlant de réflexion, Raïssa Zoumènou mène déjà la sienne et juge capital de promouvoir une culture où l’échec est perçu comme une opportunité d’apprentissage plutôt que comme une fin en soi.
La résolution de se donner la mort après l’échec à un examen, peut être suscitée non seulement par la réaction de la société, le comportement et les propos des parents vis-à-vis de l’enfant ayant échoué mais aussi par le sentiment de honte qui anime l’apprenant face à ses camarades. Dans tout ce lot, les parents sont censés être d’une grande aide pour leurs enfants malgré tout.
De l’attitude des parents face à l’échec
Le calme et la sérénité sont les attitudes à observer par les parents en cas d’échec de leur enfant. Ceci permettra à ce dernier de se sentir en sécurité émotionnelle pour traverser cette période difficile. C’est ce que conseille Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou, à tous les parents. « Cette attitude permettra à l’enfant de mieux s’ouvrir aux parents pour bénéficier du soutien dont il a besoin pour mieux rebondir. Les parents doivent se rapprocher davantage de l’enfant pour l’aider à identifier les causes de son échec. », a-t-elle fait observer. Observation partagée par la spécialiste des Sciences de l’éducation, Raïssa Zoumènou. « Les parents doivent adopter une attitude compréhensive et constructive face à l’échec scolaire de leur enfant. Le parent doit être pour l’enfant un support émotionnel. Face à l’échec à un examen, il doit écouter et soutenir l’enfant, éviter les critiques et les reproches non constructifs, il doit avoir avec l’enfant, un dialogue ouvert. », a-t-elle préconisé. Cela ne s’arrête pas là selon les spécialistes. Les parents doivent se rapprocher de l’administration et des enseignants de son enfant pour chercher à redresser son niveau ainsi que les failles. Ils doivent être une aide pratique pour l’enfant et lui offrir des ressources supplémentaires si nécessaires comme par exemple, des cours particuliers ou des aides pédagogiques. Mieux, ils doivent encourager l’enfant à persévérer et à ne pas perdre confiance en lui. Le parent doit attirer l’attention des parents sur le fait que l’échec n’est pas une fatalité. Ainsi, comparativement à ce qui s’observe dans le rang de certains, les parents doivent désormais agir autrement vis-à-vis de leurs enfants pour leur éviter les cas de suicide. Mais après l’échec, l’apprenant doit, lui aussi, prendre de nouvelles résolutions pour se donner les moyens de mieux faire l’année à venir.
Résolution et engagement comme attitude chez les apprenants
Si les parents ont le devoir de soutenir leur enfant après l’échec, il est nécessaire de rappeler que les enfants ont également des responsabilités à prendre pour éviter l’échec. Pour ce faire, « l’apprenant doit partir d’un bilan pour identifier les raisons de l’échec et éviter de répéter les mêmes erreurs ; se fixer des objectifs réalistes; établir de nouveaux objectifs à court, à moyen et à long terme, chercher du soutien, demander de l’aide à ses parents, à ses enseignants ou à des mentors qu’il aurait identifiés. Il doit rester persévérant, continuer à travailler et à ne pas se décourager. » Ce sont quelques attitudes à adopter par l’apprenant pour réussir, à en croire Raïssa Zoumènou.
Mais avant tout ceci, il est important pour l’apprenant de comprendre que l’échec fait partie de la vie et que l’échec peut l’amener à s’ajuster et à mieux rebondir, a martelé la psychothérapeute Aïhounzonon Kpadonou. Suivra ensuite l’identification des causes de son échec pour un bon rebondissement. « Que l’apprenant évite l’autocritique. Au contraire, que son analyse lui permette de mieux identifier les causes de son échec pour mieux rebondir. Qu’il profite de ce temps pour se ressourcer, pour mieux s’organiser afin d’aborder l’année scolaire », leur suggère-t-elle.
Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou
Les conseils des spécialistes pour un échec autrement vécu
Contrairement à certains apprenants qui considèrent l’échec comme une fin en soi, Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou préconise que l’échec soit transformé en une opportunité de croissance et d’apprentissage. « Bien qu’il soit difficile à vivre, l’échec est à considérer comme une étape vers la réussite, un moment pour réfléchir, analyser et ajuster les stratégies. », soutient la spécialiste de la santé mentale. L’experte en Sciences de l’éducation fait à son tour des suggestions aux apprenants. « Après un échec, l’apprenant doit essayer à nouveau pour espérer réussir. Il doit considérer l’échec comme une leçon précieuse et une occasion de grandir. Il doit maintenir une attitude positive et se rappeler que l’échec n’est pas définitif. D’ailleurs, les gagnants ne sont pas ceux qui n’ont jamais échoué mais ceux qui ont su se relever chaque fois qu’ils sont tombés. », leur a-t-elle rappelé. A l’endroit de toute la communauté, elle insiste sur le fait qu’ « en valorisant l’échec comme une étape du processus d’apprentissage, nous pouvons aider les jeunes à atteindre leur plein potentiel et à devenir des individus confiants et compétents et par conséquent, éviter les cas de suicide. »
En dehors des parents et des autres membres de la communauté qui doivent jouer un rôle crucial en offrant un soutien émotionnel, encouragement et ressource pratique pour aider leurs enfants à surmonter leur difficulté afin de rebondir, les psychologues sont aussi indexés. « L’implication des spécialistes en santé mentale, en l’occurrence les psychologues, est capitale pour dédramatiser l’échec scolaire et le transformer en un tremplin vers le succès. Ils pourront fournir les clés nécessaires dont les uns et les autres ont besoin pour adopter une attitude positive et persévérer malgré les obstacles et leur permettre de comprendre que chaque échec apporte des leçons précieuses qui rapprochent des objectifs scolaires. », a dit Dr Dieunommée Aïhounzonon Kpadonou, à l’endroit de ses pairs psychologues. Et cela passe par la sensibilisation de la population sur l’importance du soutien émotionnel de l’enfant après un échec à un examen. Par ailleurs, poursuit-elle, il est important que le système éducatif favorise le développement de l’enfant de façon générale, en pensant à son bien être émotionnel. Cela aiderait à remédier à ces cas tragiques enregistrés après les examens, est-elle convaincue.
Estelle DJIGRI