Moi, adolescent tardif !

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Moi Dossou Boni Merveille ! Ma mère m’a giflé ; non elle m’a frappé, assené de violents coups de pied et de balai. Mais alors n’y pouvant plus, j’ai répondu avec brutalité, avec la violence pire et crasse des coups et surtout des mots qui blessent et alors, j’ai cherché la maison de mon père, mais d’un père qui n’a jamais été présent pour moi, dont le seul talent jusqu’aujourd’hui est d’écumer les bars et les lits, laissant derrière lui des bouteilles vides, des femmes pleines et des enfants abandonnés.
Elle a porté sa lourde main rugueuse de femme besogneuse sur moi, son fils ; elle qui ne connaît pas la nuit, ni le jour et qui nous a élevés, ses enfants malgré un père intermittent ! Elle qui passe son temps à travailler, à nous nourrir et à vieillir sans avenir car nous ses enfants, nous ne représentons jusqu’ici que son présent difficile et stérile.
Ne vous méprenez pas : je ne veux pas faire l’apologie de l’éducation sans chicotte ; j’aurai préféré de loin un père présent, le verbe haut et la chicotte à la main. Moi, votre humble serviteur, j’ai 28 ans et je suis titulaire d’un Master acquis dans un de ces Instituts qui a fleuri partout, où les gens vous enseignent toutes les ficelles pour devenir entrepreneur sans jamais avoir créé, d’eux-mêmes, l’eau tiède.
J’ai 28 ans, je suis adolescent puisque je suis chez ma mère qui me nourrit, m’habille et me donne chaque jour l’argent de mon petit déjeuner à la sueur de son front. Ce qui me chagrine, c’est que j’ai l’impression que vous ne me comprenez pas. Je suis adolescent car je dépends encore de mes parents ou plutôt de ma mère. Malgré les hauts et les bas, elle nous a envoyés à l’école, avec la conviction que nous deviendrons «quelque chose» dans cette onde injuste. La seule chose qui, aujourd’hui, me paraît juste dans mon immense courroux, c’est que la hache du bourreau Ebola l’a aussi déguerpie, faisant d’une vendeuse prospère aux alentours d’une gare routière de Tokpa, une simple vendeuse d’haricot dans ma vons surpeuplée par les étals, les odeurs d’eaux usées déversées, les détritus dans lesquels passent les clients et se vautrent les enfants.
Ma mère a tord ! Je demande réparation car elle ne peut pas me briser pour avoir refusé d’aller au culte une énième fois dans la semaine! Je suis allé à l’école, j’ai réussi et je suis presqu’un modèle : malgré les avances de la petite voisine délurée d’à côté, je refuse les petites étreintes sauvages qui produisent des grossesses non désirées. Je cherche, j’attends mon tour pour un travail et j’ai même essayé des jobs éphémères et j’aide ma mère à préparer ses repas.
Ai-je tord ? Mon Dieu, j’ai envie de tout foutre en l’air et c’est un euphémisme ici. Mais qui a tord ! dites moi, qui a tord : une illettrée qui a fait de moi un singe savant dénué de compétences techniques réelles en croyant me préparer un avenir ou moi qui n’ai jamais pu trouver du travail à un âge où on fonde déjà une famille et qui regarde, entre autres, avec angoisse et peur une partie centrale de moi qui, comme le soleil, se lève le matin et qui réclame ses désirs, sa famille, son apaisement. Mais je n’ai pas de travail ! Comment voulez-vous que je quitte la maison ?
Tout le monde est intervenu : les voisins d’abord, les parents ensuite ! Quelle honte et on conclut que personne n’a tord et s’il y a eu tord, c’est la vie, la société actuelle avec sa dureté et son incompétence qui n’offre rien aux enfants que les récitations en classe et les promesses du politique débordé par une masse qui s’accroît chaque jour, et des soi-disant bienfaiteurs de l’extérieur qui nous pillent plutôt qu’ils nous aident, nous laissant les maladies nouvelles, la pauvreté et le désespoir de l’immigration.
Mais pour l’instant présent, suprême humiliation, je me dois d’aller demander pardon à ma mère, disent-ils tous. Mais alors, je l’ai fait ce matin à l’aube et nous nous sommes retrouvés tous les deux, elle et moi, tremblants et pleurant de joie et de peines, mais conscients que rien ne nous séparera dans ce monde où notre avenir est d’abord et avant tout dans notre présent solidaire.
N.P

Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe

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