J’ai peur ! J’ai ouï dire que les professeurs d’histoire, qui évoquent souvent les deux guerres mondiales avec verve et des trémolos dans la voix, iront en Ukraine pour vivre de visu un conflit. Mais pourquoi cela tombe-t-il sur moi, aspirant parmi tant d’autres, enseignant anonyme qui craint autant les élèves que les fins de mois ! Moi, j’ai étudié la géographie au campus, pas l’histoire.
Les élèves de mon école publique chez qui je recueille souvent les meilleurs renseignements car ils possèdent les androïdes et iPhone de dernière génération, me l’ont assuré : il se lève des contingents dans les pays africains. Le Sénégal et le Nigéria ont déjà contribué. Bientôt le tri sera fait au Bénin, les historiens seront les premiers à profiter de ce qu’ils appellent une opportunité.
Tout commence à la fin d’un cours où j’évoque avec mon éloquence habituelle la deuxième guerre mondiale. Un élève se hasarde à me poser des questions sur le conflit russo-ukrainien. Je panique, ils semblent plus informés que moi. À chacune de mes démonstrations, ils opposent des théories plus élaborées. Le réel est là ! Je suis complétement dépassé, largué. Mes cours ne tiennent plus et ressemblent à ce qu’ils ont toujours été : un psittacisme de bas niveau hérité de mes professeurs d’université. C’est là que ces petits savants m’assènent le coup de grâce : une mise à niveau s’impose et l’opportunité se présente car le contingent des professeurs part bientôt.
Vous ne me croyez pas ? Mais mes chers élèves qui m’aiment bien et qui plus souvent qu’il ne convient m’amènent ou m’achètent un plat d’atasi ou d’abobo m’ont montré des vidéos appelant à venir en aide à l’Ukraine. Je leur fais de plus en plus confiance car, moi jeune aspirant d’un quart de siècle avec deux ans d’ancienneté, je leur ressemble. C’est la même génération avec ses besoins de smartphones et de jeux futiles tels que le foot, le loto ou les paris en ligne dont je découvre qu’ils sont des experts. J’affectionne surtout une classe de seconde totalisant au moins septante élèves. Au premier cours, moi fringant jeune premier si heureux de transmettre le savoir dans les hautes sphères du secondaire, je faillis défaillir en rentrant dans cette classe surpeuplée, mal éclairée où on m’accueillit avec un silence glacial et résigné. Mais oui, enfin un gardien de bêtes !
Lentement, ces élèves matois au plus haut degré, me prirent en main après m’avoir complètement déstabilisé. Après quelques cours où je montrais quand même le potentiel que m’a donné ma licence au campus, une délégation vint à moi pour m’aider à mieux organiser l’enseignement où malgré ma qualité académique, je remarquais que la plupart s’occupaient autrement. On me flatta : je faisais le meilleur cours ; j’étais le plus élégant et le plus sérieux. C’est d’ailleurs les filles qui l’ont dit. Notamment cette Ahouefa dont les courbes et les vallées défiaient les lois de la physique nucléaire !
Elle était une élève merveilleuse au kaki récalcitrant qui semblait la dévoiler plutôt que la voiler. Elle avait tout pour réussir dans la vie à mon avis. Je me demandais chaque fois en rentrant dans sa classe si mes pensées vis-à-vis d’elle étaient encore recevables même après une confession pascale. Seul le Seigneur Tout-Puissant pouvait encore me pardonner les rêves et autres fantasmes sans fin que ne cessait de m’inspirer celle que j’aurais voulu aider, protéger et soumettre à ma seule volonté. Mais, cette chaste vierge de 19 printemps, qui avait un talent rare pour s’embellir et qui déposait sur la table un téléphone de plusieurs centaines de mille me semblait inaccessible. Et pourtant, elle vint vers moi un jour pour me dire combien elle aimait mon cours et était prête à recevoir quelques explications supplémentaires. D’ailleurs, la classe l’avait désignée pour les représenter auprès de moi car il m’arrivait d’être trop rigoureux et je faisais trop d’interrogations surprises. Ce fut le début d’une grande relation pure et platonicienne. « Honni qui mal y pense » !
Vous me direz que je fais trop de digression pour quelqu’un dont l’horizon se retrouvait en Ukraine ! J’en tremble, moi qui, il est vrai, n’avais aucun passé consistant et dont l’avenir était jusqu’ici inexistant ! Je ne connaissais qu’une chose : mon présent fait de sueur crasse, de doutes et de privations dues à une formation quasi inutile à l’université suivi de ce qui semblait être un éclairci à savoir ma qualité d’enseignant et qui se retrouve comme le disait O. B. QUENUM, dans « un piège sans fin ».
Et maintenant que j’ai découvert une demoiselle qui s’intéressait à moi, qui ne se moquait pas de moi, baissait les yeux quand je lui parlais. Vraiment ! Seul son smartphone hors de prix m’indisposait car je me demandais comment elle l’avait obtenu et n’osais lui demander.
Vous comprenez pourquoi je ne voudrais pas me mêler d’une guerre qui ne me regarde pas et rester faire mon travail de sacerdoce autant que les prêtres de mon église ardus à la tâche qui se contentaient de cierges et d’eau bénite ! Aidez-moi : je ne veux pas aller en Ukraine car j’ai trouvé un sens à ma misérable vie !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe