A travers sa récente sortie, la Fédération des Syndicats de l’Education Nationale de la Confédération Syndicale des Travailleurs du Bénin (FéSEN-CSTB) a dressé une liste de revendications aux autorités éducatives et de la fonction publique. Norbert Kouto, le secrétaire administratif, revient sur les raisons ayant motivé cette sortie. Lisez plutôt !
Educ’Action : Depuis 2018, qu’est-ce qui explique la récente sortie de la FéSEN-CSTB ?
Norbert Kouto : Après les grèves de 2018, nous avons considéré les propos des autorités comme un appel à nous calmer pour qu’elles règlent les problèmes. Mais avec le temps, on a constaté que rien ne va et qu’il faut véritablement faire des actions. La Fédération des Syndicats de l’Education Nationale (FéSEN) n’est pas restée dans ses quatre murs pour sortir des revendications. Nous sommes allés vers les acteurs réels sur le terrain. Nous avons sillonné les douze départements et avec ce qu’on a constaté, nous voulons informer l’autorité que ça ne va pas. C’est ce qui justifie notre récente sortie qui s’est manifestée par la plateforme revendicative adressée aux autorités.
La situation des AME occupe une place de choix dans vos revendications. Qu’est-ce qui vous préoccupe vraiment dans leur cas ?
Les Aspirants au Métier d’Enseignants (AME) représentent près de 80% du personnel enseignant du système éducatif. Si on veut une éducation de qualité, il faut des enseignants de qualité bien traités. Malheureusement, ces 80% sont mal traités et exploités comme des esclaves. Je prends par exemple, le primaire où il n’y a pas assez de maîtres pour tous les groupes. On peut jumeler pour un seul maître, deux classes de différents groupes. Lorsque nous venons au niveau du secondaire, depuis quelques temps sur les réseaux sociaux, on apprend le décès de tel ou tel autre enseignant. La plupart de ces décès s’observent dans le rang des AME qui sont à dominance jeune. Ce qui est à la base de ces décès, en dehors des conditions de vie, l’enseignant AME a 30 heures de cours. Ne nous fions pas aux propos du gouvernement. Nous sommes allés sur le terrain. L’enseignant AME est dans 3 collèges dans 3 différentes communes. Il est donc débordé, ce qui fait naître la tension alors qu’il n’a pas les moyens de se faire soigner. C’est un premier élément. Donc il faut les reverser et les traiter comme des enseignants à part entière. Deuxième élément, le système est vide d’enseignants gradés. Si ceux qui sont là actuellement, ne sont pas bien faits comme les anciens vacataires et communautaires qui sont reversés et qui continuent de cotiser pour les retraités, lorsque notre génération ira à la retraite, il n’y aura personne pour cotiser pour nous au fonds national de retraite. Donc les AME doivent être reversés pour bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail et des opportunités qu’offre le système éducatif.
Quel état des lieux avez-vous fait des infrastructures dans nos écoles et universités ?
Le constat est le même dans nos écoles jusqu’à l’université. Aujourd’hui, vous allez dans un collège, il n’y a pas de laboratoire. On fait les matières PCT et SVT aujourd’hui à 100% théorique. Ici à Cotonou, on peut dire qu’il y a quelques laboratoires, encore que dans ces laboratoires, il n’y a pas le matériel nécessaire pour le travail. On y trouve des tubes à essai mais pas de réactif. Les infrastructures, ce sont aussi les tables-banc qui manquent cruellement au point où dans le primaire, cinq apprenants sont disposés sur un table-banc destiné à deux enfants. A titre d’exemple, il y a une vidéo qui circule sur une classe à Zogodomey, où les enfants sont assis à même le sol. On a constaté également qu’il y a des classes de 120 élèves dans le nord pour manque d’infrastructures. Dans le Mono ou le Couffo, il y a des collèges créés depuis 10 ans mais sans un seul bâtiment en matériaux définitifs. Les bibliothèques, il n’y en a pas, alors qu’aujourd’hui, on a besoin de bibliothèques numériques. Quand on va dans les universités, le constat est le même, les infrastructures manquent partout.
Malgré les efforts du gouvernement pour combler le gap en enseignants, la pénurie persiste. Pensez-vous vraiment qu’on peut appliquer de façon effective le ratio élèves-enseignants ?
On peut l’appliquer. Je vais partir d’un exemple très simple, on a déjà une base de données d’AME. Dans cette base de données, nous avons 30.000 AME sur le terrain. Rien n’empêche le redéploiement du reste. L’Etat en a les moyens. Il faut vider tout ce qui est dans la base de données. A l’heure actuelle, si vous vous rendez à l’école Urbaine Centre d’Allada, il y a encore 5 enseignants qui manquent pour les 3 groupes. Ce n’est pas les hommes qui manquent, mais c’est la volonté qui n’a pas accompagné. Ensuite, la raison pour laquelle nous insistons sur le ratio, c’est que nous sommes dans l’Approche Par les Compétences (APC) où on évalue la compétence de chaque élève. L’enseignant a l’obligation de suivre alors individuellement les apprenants. Mais un enseignant qui a déjà 50 voire 60 apprenants au primaire, c’est évident que durant une semaine, l’enseignant ne puisse pas interroger tous les enfants. Même avec toute la passion, il ne peut pas dépasser ses potentialités. L’enseignant passionné a des limites.
La construction des bâtiments administratifs pour les inspecteurs pédagogiques dans chaque département est l’une de vos revendications. Pourquoi ça ?
Les Inspecteurs Pédagogiques Délégués (IPD) sont sans bureaux et salles de réunion dans les départements, alors qu’ils sont sollicités à tout moment. Comme on le fait dans chaque commune pour les circonscriptions scolaires pour le primaire, on peut procéder ainsi par département pour le corps de contrôle et d’encadrement au secondaire. Il faut mettre les inspecteurs dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent mieux faire leur travail. L’avantage c’est qu’ils sont plus proches des gens à former et l’enseignant peut aller à tout moment vers lui sans difficultés.
De toutes ces revendications, quelles sont celles prioritaires si entre temps l’Etat devrait choisir d’en satisfaire quelques-unes en attendant ?
Il n’y a pas de revendications prioritaires, nous n’avons pas classé les revendications par ordre de mérite. Mais le reversement des AME, c’est non négociable, nous y tenons et cela permettra à l’école, d’avoir du personnel de qualité. Il faut également le retour de l’intégration en A3 pour les instituteurs ayant fait 25 ans de service. Dans les collèges, nous souhaitons le retour en formation des professeurs adjoints qui sont dans le besoin afin qu’ils deviennent des professeurs certifiés. Et il faut mettre en formation tous ceux qui remplissent les critères. A l’université, il faut le retour de l’élection du recteur. Un recteur ne doit pas être un homme politique. Procéder ainsi, c’est tué la démocratie à l’université. Voilà quelques revendications. Mais pour nous, il n’y a pas de choix à faire, nous tenons à toutes les revendications.
Quelle stratégie comptez-vous mettre en place pour avoir la satisfaction à vos revendications ?
La FéSEN se prépare pour aller en grève. Contrairement aux mauvaises interprétations qui disent qu’il n’y a plus droit de grève, nous avons 2 jours dans le mois et 10 jours dans l’année. La FéSEN va appeler les enseignants autour de cette cause pour se faire entendre. Nous sommes à la phase de la transmission de la plateforme revendicative. Si rien n’est fait, cela va prendre toutes les formes possibles : sit-in, marche, grève etc. J’invite les enseignants, à avoir le courage, la détermination pour exploiter ce que les textes actuels nous offrent. Il faut informer les parents d’élèves parce que quand l’enfant quitte la maison, va à l’école et revient, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Lorsque dans une classe il y a 120 élèves, il y a déjà problème. Nous devons nous soutenir pour le bonheur de l’école béninoise.
Propos recueillis par Estelle DJIGRI