Nourrir les enfants dans les cantines gouvernementales : Un véritable parcours de combattant

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Dans le cadre de la mise en place des cantines gouvernementales, plusieurs écoles bénéficient depuis septembre 2017 du soutien de l’Etat pour assurer l’alimentation scolaire des enfants. Cinq mois après l’ouverture de ces cantines en cette année scolaire, Educ’Action a sillonné quelques écoles bénéficiaires pour faire l’état des lieux du service repas administré aux écoliers. Projecteurs sur les cantines scolaires au Bénin.

Assiettes en mains, les apprenants de la classe de CM1 de l’Ecole Primaire Publique de Toyoyomè, dans le 6e arrondissement de Cotonou, se bousculent pour se frayer en premier, le chemin qui mène vers le récipient contenant le repas du déjeuner du jour. Nous sommes le jeudi 08 février 2018 dans l’enceinte de l’école d’enseignement primaire bâtie sur pilotis, dans la cité lacustre située derrière le quartier Ladji, dans le sixième arrondissement de Cotonou. Comme l’Ecole Primaire Publique de Toyoyomè, plusieurs autres écoles implantées sur le territoire national auraient bien voulu être dotées de cantines scolaires. Ce ne sera justement pas le cas, du moins pour le moment. Et pour cause, selon l’autorité en charge de l’alimentation scolaire, pour qu’une école soit bénéficiaire d’une cantine, il lui faudra obéir à certains critères clairement définis par le gouvernement. Mais quels sont en réalité ces critères qu’il faille remplir pour voir son école bénéficier d’une cantine scolaire ? La question se lit sur les lèvres de la plupart des parents d’élèves des communautés visitées par nos équipes de reportage.

Des critères d’une école à cantine …

Pour qu’une école bénéficie d’une cantine « il faut qu’elle soit située dans une zone frontalière pour éviter que nos enfants aillent dans un autre pays. On donne donc priorité aux écoles frontalières, aux écoles lacustres, aux écoles où l’habitat est dispersé, aux localités où les filles ne vont pas à l’école, aux écoles où le taux d’instruction est trop faible toujours dans les zones rurales », renseigne Juliette Zime Yerima, directrice de l’Alimentation Scolaire parlant des critères d’une école à cantine avant de poursuivre : « C’est tout naturellement que quand un enfant accompagne son parent au champ ou au pâturage avec les bœufs, quand il voit les enfants manger, ça le motive à aller à l’école. » Travailler dans une école à cantine pour espérer servir à bonne heure le déjeuner aux enfants n’est pas une tâche à la portée de tous. Le fonctionnement normal et dynamique d’une cantine scolaire exige bien des sacrifices dont seules les initiées peuvent en parler.

 … Du fonctionnement d’une école à cantine

A l’Ecole Primaire Publique de Toyoyomè, Jeannette Somamoun est recrutée pour assurer la préparation des repas aux enfants. Une tâche dont elle s’acquitte dévouée avec sept autres femmes, autrefois toutes vendeuses dans la même école. Jeannette Somamoun raconte que sa journée débute à 6 heures et s’achève vers 15 heures ou 16 heures avec pour conséquences des courbatures et fatigues quotidiennes pour une contrepartie financière de misère. En effet, raconte-t-elle, approchée au départ par l’administration de l’école qui lui propose de mettre ses compétences au service de la cantine scolaire, elle s’est montrée réticente pour des raisons qui ne manquent pas, selon elle, d’objectivité. Laquelle réticence lui donnera raison avec le temps, a-telle témoigné, visiblement déçue. « J’étais vendeuse dans l’école avec mes collègues. Mais avec l’arrivée du programme des cantines scolaires, l’administration nous a proposé de surseoir à notre activité pour nous mettre au service de la cantine de l’école. Au départ, nous étions contre parce que la préparation des mets pour ce grand nombre n’est pas chose facile et aussi la rémunération n’est pas vraiment motivante », renseigne la cuisinière qui préfère de loin son chiffre d’affaires quotidien de 1 500 francs Cfa, voire 2 000 francs qu’elle gagnait dans son petit commerce en tant que vendeuse de riz à l’école, à la somme de 1 000 francs Cfa qu’elle perçoit actuellement auprès de l’administration de l’école à titre de rémunération pour sa nouvelle tâche. « C’est l’Etat même qui a dit qu’on  ne doit pas être payé en dessous de 40 000 francs Cfa comme SMIG au Bénin, mais voilà que nous nous sommes à 20 000 francs. Vivre avec 20 000 francs à Cotonou, c’est difficile. Ce travail commence même par me déplaire, parce que l’argent fait défaut. Nous n’allons pas prétexter des enfants pour qui nous travaillons au point de tomber malades sans pouvoir nous soigner », alerte Jeanne Akouvi Amou, chargée de la cuisine à l’Ecole Maternelle de Towéta, abondant dans le même sens que sa collègue de l’EPP Toyoyomè. Multiples et multiformes sont ces difficultés qui entravent le bon fonctionnement des cantines scolaires, selon les acteurs rencontrés.

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Des entraves au bon fonctionnement des cantines …

En service depuis 2014 à l’EPP Toyoyomè, le directeur Richard Ahoumènou informe que depuis l’ouverture de la cantine scolaire en septembre 2017, son établissement a reçu trois fois la dotation en vivres du Programme Alimentaire Mondial (PAM). Saluant cette initiative du gouvernement de doter plusieurs écoles de cantines scolaires dans 11 départements du Bénin en raison de la présence déjà des intervenants comme le CRS, le PME et le PAM dans l’Alibori, le chef d’établissement indexe comme difficultés rencontrées dans le fonctionnement de la cantine de son école les problèmes liés à la contribution des parents d’élèves pour l’achat des condiments. « Au départ, nous avons demandé 100 francs Cfa par apprenant. Mais rassurez-vous, avec les plus de 300 inscrits au début de la rentrée, nous n’avons pas eu 30 apprenants ayant régulièrement contribué. C’est ce qui nous a poussé après réflexion a ramené la souscription à 50 francs CFA afin de permettre à tous les écoliers de participer à la chose. Malgré cela, difficilement nous avons atteint 90 élèves ayant contribué », explique le directeur partagé entre tristesse, déception et désolation. Sa collègue Donatienne Amoussou, en charge de l’Ecole Maternelle de Towéta est confrontée aux mêmes difficultés. C’est la croix et la bannière pour la directrice de nourrir quotidiennement les 170 bouts-de-choux des six sections de la maternelle 1 et 2. « C’est avec les 100 francs des parents que nous achetons ce qu’il faut comme du poisson, de la viande et autres condiments pour pouvoir préparer aux enfants. Comme tout le monde ne donne pas, alors le peu qui existe nous essayons de l’utiliser », confie la directrice d’école qui n’a pas manqué de rappeler qu’elle doit parfois mettre la main à la poche pour contribuer à l’achat des condiments pour un meilleur fonctionnement des cantines. « Quand la population a appris que des denrées ont été envoyées dans l’école, ils ont refusé de donner de l’argent de petit-déjeuner aux enfants. Nous avons fixé la participation à 100 francs CFA, mais tous les parents ne payent pas. Les parents restent dehors et poussent les enfants dans l’enceinte de l’établissement en prétextant que les cantines de Talon sont là…», témoigne la responsable en charge de la cuisine à l’Ecole Maternelle de Towéta où tous les enfants sont servis à 10 heures du lundi au vendredi. « Le nombre d’élèves qui mangent maintenant est d’environ 150. En priorité, on pense à ceux qui contribuent et quand il reste un peu de nourriture on essaye de penser aux autres », a fait remarquer le directeur de l’EPP Toyoyomè, expliquant l’indifférence des parents dont les progénitures sont pourtant servies sans souscription. Cherchant à savoir si le défaut de contribution des parents pour l’achat des condiments n’affecte pas la qualité des mets servis, la réponse du directeur est sans équivoque : « Je ne dirai pas que le manque de volonté des parents pèse dans la balance de la qualité des mets servis aux enfants. Nous essayons de leur fournir le minimum pour que cela puisse être équilibré ». A l’école de la cité lacustre de Toyoyomè, tous les enfants ne mangent pas à la cantine à cause des craintes des parents sur la présumée hygiène censée caractériser la préparation des repas. Des maladies sont dès lors craintes par ces derniers qui ont défendu les cantines scolaires à leurs enfants. Face à ces craintes des parents, la réaction des bonnes dames ne s’est pas fait attendre : « Parmi les apprenants qui fréquentent l’école, nous avons aussi nos enfants ou des enfants de nos proches. Donc, en aucun cas, nous ne pouvons pas servir du n’importe quoi aux enfants », se défend Jeannette Soumanou en s’inscrivant en faux contre l’appréhension de certains parents qui doutent de l’hygiène et de la propreté dans la préparation des repas servis aux enfants. « Les femmes désignées pour préparer le repas ne sont pas choisies au hasard. On a veillé à ce que ça soit les parents d’élèves eux-mêmes et on les paie chaque samedi. Elles ont préalablement été soumises à une visite médicale par un médecin assermenté avant d’être retenues », a expliqué Jean Vodoungbo pour rassurer de la bonne qualité des repas servis aux enfants. Pendant les trois heures d’horloge passées à l’Ecole Primaire Publique de Toyoyomè, l’équipe du journal Educ’Action s’est fait son propre constat en ce qui concerne les règles d’hygiène observées dans la cuisson des repas. De ce constat, il ressort que pendant le transport des repas du hangar servant de lieu de cuisine vers les salles de classes, les récipients ne sont pas couverts et l’obligation n’est pas faite aux apprenants de se laver les mains à l’eau et au savon avant la consommation desdits repas. A l’école des sourds muets de Vêdoko par contre, la tradition du lavage des mains à l’eau et au savon est respectée avant la prise du repas. A chaque école, ses difficultés, mais certaines convergent hélas ! C’est le cas par exemple des vols et détournements de vivres.

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Une modique contribution pour quelle qualité de repas ?

« Les repas livrés aux enfants, varient entre le riz, le haricot ou encore le attassi car, ce que nous avons ne nous permet pas de varier davantage les mets », fait savoir Jean Vodoungbo, président de l’Association des Parents d’Elèves de l’Ecole Primaire Publique Ahossougbeta. Déjà le vendredi, le Comité de gestion de chaque école se réunit pour établir le programme de la semaine qui va commencer, rapporte notre équipe de reportage. Il y a une variation dans les repas, confirment les membres du Comité de gestion des cantines. Une programmation qui tient compte des habitudes alimentaires des enfants, précise Juliette Zime Yerima, l’œil du MEMP dans le suivi des cantines scolaires. « C’est ce que les enfants ont l’habitude de manger dans leur communauté qui leur est préparé avec l’avis du nutritionniste qui dispose d’un recueil de recettes de mets avec les kilocalories nécessaires au bien-être des enfants. Dans chaque école à cantine, il y a un tableau qui renseigne sur la programmation de mets de la semaine », soutient la DAS. A en croire le président de l’APE, Jean Vodoungbo, les vivres mis à la disposition de son école pour faire fonctionner la cantine se résument au riz, au haricot, au sel et à l’huile sans aucun autre condiment. « Dans le passé, l’Etat donnait tout, même de la sardine. Mais cette fois-ci, on n’a rien », se désole le président. Déclaration que ne dément pas la DAS qui invite la communauté à jouer sa partition ; l’Etat ayant joué la sienne.

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Des difficultés liées au vol et détournement de vivres …

Le PAM à qui l’Etat béninois a décidé de confier les cantines scolaires livrent trimestriellement les vivres aux écoles, selon le recoupement fait des informations glanées sur le terrain, confirmé par les services compétents de la DAS. Ces livraisons aiguisent l’instinct de vol de la communauté, notamment de ceux qui gèrent les vivres, affirme sans ambages, Juliette Zime Yerima, la Directrice de l’Alimentation Scolaire qui justifie cet instinct de vol par notamment la quantité des vivres déversés dans les magasins. Malgré les dispositions prises pour sécuriser les vivres et les sanctions administratives prononcées à l’endroit des indélicats reconnus coupables de tels faits, la menace persiste, avoue toute impuissante la DAS. Aveu confirmé par Jean Vodoungbo qui renseigne sur le dispositif mis en place pour sécuriser les vivres. « On a désigné des gens pour servir d’agents de sécurité et ces gens ne sont pas connus des femmes qui préparent. Chaque semaine, on fait sortir l’essentiel qui servira à faire la cuisine aux enfants et les femmes doivent s’arranger pour que la quantité sortie du magasin suffise pour la semaine », informe le représentant de l’APE dans le Comité de gestion de son école. Autre difficulté liée au fonctionnement normal des cantines, reste l’accès à l’eau potable. En effet, dans certaines contrées, dans les régions reculées et défavorisées notamment, l’accès à l’eau potable reste un casse-tête pour les bonnes dames dans la préparation des repas à servir aux enfants. Des points d’eau se font désirer. Nos démarches pour recueillir l’avis du PAM sur le dispositif mis en place en tant que bras opérationnel du gouvernement pour la gestion des cantines scolaires n’ont pu prospérer au moment où nous mettions sous presse. Nées dans les années 1975 puis réintroduites dans le système éducatif à partir de l’an 2000, les cantines scolaires couvrent 1 574 écoles implantées dans tous les départements du Bénin sauf l’Alibori. Outre les 1 574 cantines gouvernementales financées par le budget national, différentes institutions financent également les cantines scolaires au Bénin. Il s’agit de la Banque mondiale à travers les cantines PME au nombre de 396 ; l’USAID pour les cantines CRS au nombre de 146 et les cantines PAM couvrant 562 écoles.

                     Edouard KATCHIKPE, Estelle DJIGRI, Adjei KPONON & Enock GUIDJIME

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