Les bas-reliefs, œuvres célèbres et artistiquement chargées de sens, ont, depuis des siècles, renseigné l’humanité sur le royaume de Danxomè, les légendes et actes de bravoures des rois. Aujourd’hui, hélas sous l’effet de mode, les envies sont, de plus en plus, portées sur des bas-reliefs qui répondent de la modernité, qui respirent le luxe, dénaturant ainsi ces symboles identitaires’’.
Abomey, ville chargée d’histoires, les unes fortes et retentissantes que les autres en relation avec les actes de bravoure et combats fratricides menés contre les envahisseurs au cours de la période pré-coloniale, se distingue également par les bas-reliefs qui constituent l’un de ses atouts et traits caractéristiques. Située dans la partie centrale du Bénin, à environ 135 kilomètres de Cotonou, la pittoresque et touristique ville, pour ses riches patrimoines culturels architecturaux, matériels et immatériels à caractère universel exceptionnel, a obtenu une reconnaissance internationale, à travers l’inscription du site des palais royaux, mesurant 47 hectares, sur la liste mondiale de l’UNESCO en décembre 1985. On y découvre plusieurs attraits touristiques tels que les constructions historiques, les palais royaux ayant servi de lieu d’exercice de pouvoir aux douze rois qui se sont succédés à la tête de cet ancien royaume (1600 à 1900), des sites archéologiques ainsi que des savoir-faire traditionnels qui se lèguent de génération en génération.
Du symbolisme des bas-reliefs…
La technique des bas-reliefs figure bien au rang de ces savoir-faire traditionnels. Art décoratif singulier à Abomey, les bas-reliefs se découvrent un peu partout dans la ville, ornant des pans de clôtures ou des clôtures entières des temples, des maisons anciennement ou nouvellement construites. Ils décrivent les croyances, les dieux ou même les emblèmes, proverbes, légendes, dictons, maximes ou pensées des anciens rois du royaume. Selon Damien Tokoudagba, la quarantaine, artiste décorateur, peintre et spécialiste des bas-reliefs, ‘’les bas-reliefs existaient depuis le temps des rois dans le royaume de Danxomè et leur servaient d’écriture’’. « Au temps de la période pré-coloniale, les rois ne savaient ni lire, ni écrire. Ils se servaient des bas-reliefs pour passer des messages, exprimer leurs pensées ou philosophies qui pourraient servir, les années d’après, à la postérité. Ils sollicitaient donc à l’occasion les ‘’Didéto’’ qui étaient des artistes-dessinateurs rompus dans cette technique artistique», a-t-il expliqué. « Les ‘’Didéto’’ vivaient dans le palais royal et sont au service du roi. Il peut leur faire appel à n’importe quelle heure de la journée ou de la nuit lorsqu’il se sent inspiré », a précisé l’artiste décorateur. Joseph Adandé, Maître assistant d’Histoire de l’Art à l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin) renseigne, quant à lui, dans l’un de ses articles scientifiques, que «les bas-reliefs puisent leur inspiration dans les sources orales mémorisées du royaume et restituées au besoin, par un corps de spécialistes de l’histoire des rois que sont les «Kpanlingan» qui sont tenus de réciter, sans se tromper du plus petit mot, tous les gestes de chacun des rois du royaume Danxomè. » A en croire le jeune décorateur Damien Tokoudagba, après la période coloniale, c’est son feu père Cyprien Tokoudagba qui avait hérité de la technique des bas-reliefs à Abomey.
De la technicité de Cyprien Tokoudagba…
Ancien militaire dans les années 1970, il va renoncer à l’armée pour se consacrer entièrement à l’art décoratif. « Il était le tout premier et le seul après la génération des ‘’Didéto’’ qui étaient des artistes du royaume », a témoigné le fils. Grâce à sa maîtrise de la technique des bas-reliefs à laquelle il a joint la peinture, Cyprien Tokoudagba a fait le tour du monde et a exposé à l’occasion de grands festivals dans le monde, a-t-il confié à Anadolu, précisant qu’il a hérité de son père décédé en 2012. S’agissant de la technique utilisée, Joseph Adandé clarifie : « les artistes découpent dans un mur de très grande épaisseur une alcôve ou niche de forme carrée ou rectangulaire le plus souvent, au sein de laquelle ils modèlent par adjonction de terre le motif prévu… » Damien Tokoudagba renseigne, quant à lui, que les bas-reliefs se réalisaient au temps des rois à l’aide de la terre de barre, l’huile rouge et la pulpe de noix de palme. « C’est avec cet ensemble que les artistes vivants dans les palais royaux accomplissaient leurs œuvres. L’huile rouge leur permettait de bien pétrir la terre et la pulpe de noix de palme pour garantir l’imperméabilité du bas-relief dessiné contre le mur selon l’inspiration et l’orientation des rois », a informé Damien Tokoudagba, très serein. Au temps de mon père (Cyprien Tokoudagba), il utilisait un cadre de dessin qui donne une forme rectangulaire à l’œuvre, du sable marin, du ciment et des pointes qu’il insérait dans le mur pour davantage fixer le bas-relief, a-t-il ajouté.
De l’influence de la modernité sur les techniques de réalisation des bas-reliefs …
« A mon tour, j’utilise des cadres circulaires décorés selon le goût du client, du fer à le béton, du sable marin, du ciment, des pointes et de la skalite (ciment blanc) pour permettre aux bas-reliefs de résister aux intempéries », a expliqué Damien Tokoudagba, indiquant, par ailleurs, que les clients renoncent, de plus en plus, à ce type de bas-reliefs réalisé de par le passé. « Aujourd’hui, les gens veulent des bas-reliefs qui répondent aux exigences de la modernité, qui respirent le luxe. Du coup, nous sommes aussi obligés de nous adapter au goût des clients en utilisant des matériaux actuels. Ce qui dénature les bas-reliefs et les prive de leur authenticité bien qu’ils soient des symboles identitaires, des œuvres patrimoniales », se désole-t-il, lui qui exerce ce métier depuis 18 ans. Parlant du coût de la réalisation d’un bas-relief, Damien précise qu’il tient compte surtout de la taille de l’œuvre. « Un bas-relief de dimension 1 mètre 80 à Abomey coûte 280.000 Francs Cfa (467,05 USD) à 300.000 Francs Cfa (500,41 USD) », a-t-il déclaré, confessant avoir réalisé près de 7 millions (11.676,4 USD) de recette en 18 ans de métier. Selon un fonctionnaire de l’Office du tourisme de la ville d’Abomey qui s’est confié sous anonymat, ‘’une délégation britannique de réalisateurs de films a séjourné récemment dans la ville historique pour des tournages sur les bas-reliefs dans le cadre d’un projet de documentaire sur les grandes civilisations en Afrique », montrant ainsi l’intérêt de ce bien patrimonial pour les touristes et scientifiques. Damien Tokoudagba, artiste décorateur, reconnait avoir eu pleinement satisfaction dans le travail de réalisation des bas-reliefs. « Seulement, de nos jours, plusieurs jeunes s’exercent à l’activité avec pour conséquences la rude concurrence parfois déloyale, et surtout l’amaigrissement des coûts de réalisation », s’est-il plaint, invitant les clients et ses collègues à travailler dans le sens de la sauvegarde de ce riche patrimoine identitaire de la ville historique d’Abomey.
Serge-David ZOUEME