20 ans après leur retour en terre ancestrale béninoise, la famille JAH montre son engagement à transmettre aux jeunes générations les valeurs de la richesse du patrimoine africain. Tant sur le plan intellectuel, humain, historique qu’environnemental, l’école ECOLOJAH de Pahou est un espace de vie offrant aux enfants une éducation holistique. De la classe au jardin, du cours de Panafricanité à celui d’artisanat d’art utilitaire, Educ’Action vous fait vivre une matinée ‘’made in JAH’’. Reportage
«Il y a cent trente ans, jour pour jour, naquit le prince Kodjo Tovalou Houénou Quenum. Le connaissez-vous ? », demande Mère JAH. Vous, certainement pas ! Les enfants de l’école ECOLOJAH non plus mais Mère JAH a la réponse. Alors, bienvenue dans la classe de Mère JAH au milieu des gazouillis des oiseaux et de l’air frais de la forêt de Pahou. Il est 9h15 minutes et le cours sur l’histoire de l’Afrique, à travers ces grands hommes, commence. Un cours qui sort de l’ordinaire, car, ici, on fait référence à des années et à des siècles, voire des millénaires d’histoire longtemps avant les indépendances. Les enfants sont assis à même le sol sur des nattes traditionnelles en paille tressée. Les ‘‘Walimu’’, eux, sont titulaires des table-bancs. Comme un élève assidu, le Père JAH, lui, est de l’autre côté le regard fixé sur la cabine technique. Cette dernière est pilotée par Olufemi et sa fille, qui ont fait leur retour de la Jamaïque récemment après un séjour en Ethiopie. La cabine technique, c’est un ensemble technologique constitué d’un ordinateur portatif MackIntosch relié à un grand écran plasma digne d’une salle de football et à un DVD posé sur un petit tabouret juste devant les enfants. Bref, un outillage technologique qui rendrait bouche bée plus d’un. Prêt pour le cours de ‘‘Mwalimu’’ mère JAH ? … Attendez ! Un instant ! Retour en arrière pour un éclairage historique.
Père JAH en pleine leçon avec les enfants
L’appel des aïeux…
Quand on lui demande qu’est-ce qui justifie ce retour au Bénin, Mère JAH, les yeux étincelants, vous répond « C’est une famille qui est revenue de la Guadeloupe pour se réimplanter en terre ancestrale au Bénin et pour apporter notre contribution à cette restauration de la grandeur de l’Afrique ».Dans un français clair et sans faille, la journaliste qui a fait ses classes en lettres modernes, retrace l’historique du mouvement international ‘‘Rastafaraï’’ dont la priorité est la paix et la revalorisation de l’histoire millénaire de l’Afrique. De retour au Bénin, « la réalité était différente mais notre foi et notre détermination étaient inébranlables », rappelle-t-elle au sujet de leur installation au pays avec un regard condescendant. Poursuivant dans ces explications, elle ajoute que « le feu président Mathieu Kérékou était un homme de simplicité qui avait la facilité de le joindre et, de plus, il était curieux et étonné de voir que des gens reviennent en Afrique alors que les africains rêvent de partir ». C’est grâce à ce dernier que la communauté bénéficie de ce domaine forestier de Pahou, ont confessé les occupants.
Retour au cours d’histoire panafricaine…
« Ici, moi, Mère JAH » ou encore on les entend claquer les doigts, bref ! Tous les moyens sont bons pour attirer l’attention de la maîtresse Mère JAH ou encore ‘’Mwalimu’’. A propos, Mwalimu (lisez moualimou, ndr) signifie maître ou maîtresse en Swahili qui est une langue sud-africaine. Selon la Mère, comme on l’appelle aussi, le Swahili a été choisi comme langue unique par les chefs d’Etats africains afin de réaliser l’unicité linguistique de l’Afrique. ‘’Walimu’’, c’est le pluriel de Mwalimu. Eclaircissements faits, revenons en classe. Un à un, les apprenants sont interrogés par la maîtresse. Les noms d’illustres africains défilent. Patricia Bart, Thomas Sankara, Angela Davis, Lewis Latimer, l’empereur Aboubakary 2, Hailé Sélassié, George Carvey Washington, Martin Luther King,… Pour mère JAH, à travers ces séquences de classes, « il est important d’apprendre aux enfants à aimer notre pays et aussi l’Afrique afin de promouvoir un patriotisme national et panafricain ». Son écharpe drapée des couleurs vert, jaune et rouge sur sa robe blanche sans colle, elle insiste « Ce cours d’histoire panafricaine nourrit cette ambition avec des noms, des exemples et des situations qui permettent aux enfants de se rendre compte que ce n’est pas une théorie ». Après le brouhaha qui caractérise les classes du primaire et créé par les réponses aux questions de la Mwalimu, le calme revient. La séquence commence. Olufemi manipule les images. Les enfants, dans leurs tenues kaki, sont captivés et certains essaient de noter. Les Walimu en font de même. La mèche volumineuse, nouée dans un foulard blanc, son écharpe tricolore vert-jaune-rouge alignée horizontalement et qui tombe sur son épaule gauche, mère JAH explique. Pendant qu’elle parle les images défilent. On apprend ainsi que le prince Kodjo Tovalou Houénou Quenum, qui a refusé le patronyme Quenum une fois sa maturité atteinte, est neveu du roi Béhanzin par sa mère et est né le 25 avril 1887. Il a fait ses études universitaires à Bordeaux, en France, puis il devient docteur en droit et avocat au Barreau de Paris. Il a œuvré aux côtés de Markus Garvey, un leader des droits civiques aux Etats-Unis, en représentant toute l’Afrique à de grands rassemblements internationaux de la communauté noire. Il décède à 49 ans, de la fièvre typhoïde, dans une prison sénégalaise. Le cours est fini, le Mwalimu Kuessi pose des questions de compréhension et de rappel aux enfants pour vérifier s’ils l’ont bien suivi. La séquence s’achève après quelques minutes, les enfants reprennent le chemin des classes officielles dans une autre discipline à vous faire couper le souffle, sous le regard vigilant de leurs enseignants.
Père JAH et Mère JAH portant leurs calebasse utilitaire en bandoulière
ECOLOJAH, une école sur terre…
Pieds nus, comme la majorité des gens ici, la fraicheur du sol traverse le corps comme pour un séjour au bord des plages d’Avlo à Grand Popo. L’air frais qui circule au milieu des bruissements des arbres, éloigne du boucan sonore de la vie citadine même si le bruit des véhicules qui passent sur la voix inter-état Cotonou-Lomé vient rompre le silence. La propreté des lieux est déconcertante mis à part quelques feuilles d’arbres qui tombent régulièrement puisque implantée en pleine forêt. Loin des ‘’Bonjour’’ de la ville, on se salue à coup de ‘’Asanté JAH’’. ‘’Asanté’’ en Swahili signifie Merci et ‘’JAH’’ c’est le sigle pour expliquer ‘’Juste Auteur de l’Humanité’’, en un mot, le Tout-Puissant. Deux minutes de marche et bienvenue à l’école ECOLOJAH, dans un petit espace bien dégagé comme une clairière, avec ces trois classes jumelées.A l’entrée de la classe de CM1 et CM2, le responsable lance ; « A l’école Endogénie Jardin de la Fraternité ! » Et à ses camarades de répondre : « Sagesse, Discipline, Travail ! Ensemble, de bons résultats pour la Réussite ». Vous l’aurez compris, c’est la devise de l’école. La suite, c’est ceci : « Au commencement, comment s’appelait l’Afrique ? » Et aux autres de répondre en chœur : « L’Afrique s’appelait EDEN. Après EDEN, KEMET ; après KEMET, Ethiopie et maintenant Afrique et bientôt les Etats Unis d’Afrique ». De vrais patriotes africains ! Le ton est haut, le rythme est uniforme. C’est ensemble qu’ils se lèvent d’une seule voix pour s’exprimer. Et ce n’est pas fini ! A la question de savoir « qui sommes-nous ? » A Ecolojah, dans la classe de CE1-CE2, les apprenants répondent tous, comme un seul homme : « Nous sommes les enfants de l’Afrique. Nous prions pour l’unité et la paix, la justice et la fraternité. One Afrika ! Une seule Afrique où tous nos frères et sœurs mangeront à leur faim. Que Dieu nous bénisse !!! ».
De la volonté pédagogique malgré la réalité de terrain…
« Le travail est le salut de l’humanité ! Travaillons frères et sœurs, travaillons, pas de paresse. L’homme qui ne travaille pas volera toujours plus tard, travaillons pour bâtir un Bénin tout nouveau … ». Vous l’aurez certainement reconnu, c’est la chanson de GG Lapino. Mais ici, dans la classe de CI-CP, cette chanson donne le top de la séquence de mathématiques qui commence. Aujourd’hui, au menu de la sagacité intellectuelle de la pépinière du Bénin, c’est le calcul mental. Alors « sans poser l’opération, sans tracer les bâtonnets, on écrit la réponse de l’opération sur les ardoises », lance Romain Djossou, le Mwalimu de la classe. Cet exercice-ci est destiné aux élèves du CP. Au CI, la rangée d’à côté, on écrit sur les ardoises de 0 à 10. « C’est fini ici ? », interroge le jeune homme habillé en jeans bleu ciel. « Oui » répondent les enfants. « Montrez les ardoises » dit-il pour voir la production des uns et des autres. Après leur avoir montré les fautes commises, Romain demande à ses protégés de remplir les cases vides dont les chiffres ont été omis sur le tableau, puis, il passe au CP. Correction de l’exercice : « j’ai posé quelle opération » questionne-t-il les élèves du CP qui ont déjà montré leurs ardoises. Désigné par le Mwalimu, Ephraim répond « 6+10 ». Les bruits commencent à menacer au CI, il y retourne pendant que ceux du CP corrigent leurs exercices. Il prend le soin d’observer et demande à l’une des fillettes de passer mettre le chiffre correspondant dans la première case. C’est fait. Elle écrit correctement le chiffre 5 à sa place. « Un banc pour elle ! », formule le maître. La réponse des enfants est immédiate. Dans la classe de 22 apprenants de Romain, l’air est frais. La salle n’a pas de fenêtres comme les autres classes d’ailleurs. Juste un rideau à l’effigie de l’empereur éthiopien semble empêcher de voir de l’autre côté même si les passants sont rares. Comme l’explique Romain, « ici les conditions de travail sont très simples ». Les séquences sont partagées entre le français et la mathématique comme le programme officiel qui est effectivement mis en œuvre. C’est à Iskiel Ahounou, le responsable de l’animation pédagogique et de l’administration de l’école, de veiller au grain. Ici, le châtiment corporel n’a pas droit de cité, et ce n’est pas la seule innovation en dehors du cours d’histoire panafricaine.
Les anciens faisant des témoignages et conseillant les enfants
Une éducation holistique pour tout l’Homme sans bâton…
Puisqu’il n’y a pas de châtiments corporels, « l’enfant qui enfreint les règles est envoyé au jardin pour travailler avec le Père durant quelques minutes ou alors il fait du nettoyage dans l’école. L’enfant apprend ainsi d’autres notions d’agro-écologie », éclaire le Mwalimu du CI-CP. Dans la simplicité de ses explications, mère JAH revient à la charge en affirmant que les récompenses, ici, sont constituées de petits voyages organisés à l’intention des enfants afin qu’ils découvrent la richesse culturelle et touristique du Bénin. L’autre originalité c’est le cours d’agro-écologie « qui permet de montrer aux enfants la valeur que la terre et l’environnement ont sur l’existence de l’homme », martèle Iskiel Ahounou qui ajoute que « la particularité de cette agriculture, c’est que tout est naturel, sans engrais chimique mais avec des engrais naturels. » Comme le dit la Mère, « l’homme le plus important c’est l’agriculteur, le paysan. Il est important de le réhabiliter en apprenant aux enfants l’importance de la terre. » Le responsable de ce cours c’est le père JAH. Comme son épouse, il est toujours vêtu de blanc. Couleur qui teinte progressivement ses cheveux marron tressés comme tout Rastafari. Ce même blanc des cheveux recouvre aussi sa barbe tressée en deux longs pics d’environ 15 centimètres sur fond noir, symbole de sa conservation depuis son jeune âge. Aujourd’hui, l’homme, le sexagénaire, à la voix calme et réconfortante n’aura pas classe avec les enfants, car, la communauté reçoit une délégation de deux anciennes venues de Guadeloupe pour découvrir la communauté.Outre la coupe de cheveux imposante de cette épouse d’agro-écologiste et journaliste de formation, ce qu’elle porte en bandoulière attire immédiatement l’attention. Il s’agit d’une fine corde végétale au bout de laquelle se trouve une calebasse modelée grâce aux prouesses de l’artisanat d’art utilitaire, l’autre matière enseignée aux élèves. « Chez nous, la calebasse est une bénédiction de Dieu parce que c’est notre arbre à vaisselle.», dit mère JAH avec fierté. Effectivement, toute la vaisselle est en calebasse : cuillères, couvercles, plats à manger, verre à boire,… Il en est de même aussi pour le rafia, le bambou, etc.
Entre difficultés et rêves…
Outre les enfants de la petite communauté, les enfants d’Ecolojah viennent aussi de quelques hameaux environnants. L’école est soutenue par divers donateurs privés qui l’aident dans son fonctionnement, car, la scolarité est symbolique pour ne pas que les parents se désintéressent de l’éducation de leurs enfants. Le nombre d’apprenants dans les classes est généralement inférieur à 30 élèves au grand bonheur des enseignants. Pour satisfaire les disciplines hors programme officiel, les cours du matin s’achèvent à 12h30 mn et parfois à 17h30 dans l’après-midi. Comme principale difficulté, mère JAH évoque la question de la langue française qui est, selon elle, difficile à faire assimiler aux enfants. L’école est aussi dotée d’une cantine qui est alimentée par les produits du jardin sous le regard vigilant du Père JAH, le nutritionniste maison, car, l’alimentation est végétalienne c’est-à-dire sans animaux ni produits animaux. Aujourd’hui, c’est mercredi, il est midi passé de 30 minutes, les enfants rentrent à la maison, car, la cantine est fermée pour ce jour. Seuls les internes de l’école restent pour s’extasier à cœur joie sur le petit espace de foot dégagé. Et cela sous les regards attentifs d’Olufemi et de mère JAH pour qui « l’éducation est la clé de toute chose. Il est important que l’éducation permette aux enfants d’apprendre à aimer leur pays et l’Afrique ». Le noble rêve du couple JAH, c’est un voyage dans le parc de la Penjari afin de rendre les enfants fiers d’être béninois.
Adjéi KPONON