C’est un secret de polichinelle que, dans les Ecoles Maternelles Publiques (EMP), les animateurs et animatrices se font désirer. Cette pénurie fait le terreau à l’absence d’enseignants dans des sections. Ce qui ne manque pas d’avoir des effets collatéraux sur l’éducation des tout-petits.
«La présence de l’animateur dans une section est d’une utilité capitale. Par exemple, un jardin sans jardinier, cela veut dire qu’il n’y a personne pour s’occuper des jeunes pousses. C’est un peu ce qui se passe dans une section à la maternelle sans animateur ». C’est par ses mots que Chellon Pierre Hounkandji, le directeur de l’Enseignement maternel du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire (MEMP), a relancé le débat sur l’éternelle question de l’insuffisance d’enseignants dans des sections des écoles maternelles publiques. Dans sa parution n°0584 du mardi 8 avril 2025, l’hebdomadaire Educ’Action, dans ses colonnes, a fait remarquer que le défaut d’animatrices dans le public ploie sous le joug des réformes au niveau de ce sous-secteur de l’éducation. Ce dysfonctionnement devenu, un fait ordinaire a des effets collatéraux de plusieurs ordres sur ce sous-secteur de l’éducation. Approché pour comprendre les conséquences de l’absence d’animateurs dans une section, l’ancien directeur départemental des Enseignements maternel et primaire du Zou, Chellon Pierre Hounkandji, explique en ces termes : « Nous avons des effets sur le plan de l’apprentissage et du développement cognitif. Une section sans animateur, va créer une absence d’apprentissage structuré, un manque de stimulation intellectuelle. Il y aura des difficultés du développement du langage au niveau des enfants, des lacunes dans la socialisation et l’apprentissage des règles ». Selon les dispositions du législateur éducatif, il est permis l’inscription des enfants de 2 ans et demi dans les écoles maternelles. Cependant, l’absence d’animateur dans la section des petits, voire dans celle des grands cause des préjudices aux enfants sur le plan physique et de la sécurité. « Cette section sera exposée à des risques accrus d’accident, un manque d’activités motrices encadrées, une hygiène et un bien-être négligés. Cela veut dire qu’avec les tout-petits de cette tranche d’âge, on ne saurait les laisser seuls. Il faut qu’il y ait forcément un praticien, un technicien qui puissent les accompagner dans tout leur mouvement », insiste Chellon Pierre Hounkandji, l’inspecteur de l’Enseignement du 1er degré.
Immaculée Passissam est la directrice de l’Ecole Maternelle Publique Tigninti. Une école logée dans le département de l’Atacora, notamment dans la Circonscription Scolaire de Natitingou. S’inscrivant relativement dans la même veine que son directeur en service au MEMP, elle confie : « Lorsqu’une section est sans animateur, les enfants vont se livrer aux jeux brutaux, aux blessures, à la débandade et arrivés au CI, ils vont donner plus de travail à leur enseignant parce qu’ils n’ont pas acquérir les notions de base surtout en français, en mathématiques et en écriture ». On ne peut pas parler d’une classe sans la présence d’un enseignant, soutient-elle, car c’est l’enseignant qui fait et détermine la vie d’une classe. Même si, lors de notre descente dans quelques Ecoles Maternelles Publiques du département de l’Atlantique, des éducatrices sont sollicitées par endroits pour travailler en lieu et place des enseignants, il n’en demeure pas moins que ces écoles ont besoin d’animateurs qualifiés.
Sur le plan socio-émotionnel, précise Chellon Pierre Hounkandji, les enfants vont avoir le sentiment d’insécurité, d’abandon, des difficultés de gestion des émotions et des conflits, un manque d’attention individualisée, un risque d’isolement et de repli sur soi. « Une classe sans enseignant est vouée à l’échec. C’est une manière de sacrifier l’avenir de cette génération d’enfants », affirme Inès Reine Agodokpessi, enseignante à l’Ecole Maternelle Publique Komiguéa, dans la Circonscription Scolaire de N’Dali.
Immaculée Passassiam, directrice de l’EMP Tigninti
L’importance de l’animateur dans la vie de la section
Un animateur à l’école maternelle est un professionnel de l’enseignement, un praticien, un pédagogue chargé d’encadrer, de former les tout-petits de 2 ans et demi à 4 ans et demi. « L’animateur contribue à rendre l’environnement d’apprentissage plus riche, plus stimulant et plus adapté au besoin de chaque jeune enfant. C’est un professionnel qui a le don de transformer des objets simples en outils d’imagination et d’ouvrir les portes du monde imaginaire à travers des jeux, des contes », rappelle Chellon Pierre Hounkandji. Pour Immaculée Passissam, « L’animateur assure la sécurité physique, intellectuelle, morale et psychologique des enfants en classe. C’est lui qui détient les techniques qui permettent aux enfants de s’épanouir et de prendre goût en restant dans l’esprit de jeu-travail ».
La création d’un environnement de plaisir, le suivi des apprenants sont le propre de l’enseignant. « Il a le don de créer un environnement ludique et joyeux. Il a le don d’accompagner, de façon bienveillante, les apprenants, de créer ou de développer des apprentissages signifiants », précise Chellon Pierre Hounkandji, le DEM. Donc, un animateur, ajoute-il, est un enseignant qualifié qui a tout au moins le Certificat Elémentaire d’Aptitude Pédagogique (CEAP) sinon ce qui est recommandé est qu’il ait le Certificat d’Aptitude Pédagogique (CAP).
L’enseignante Inès Reine Agodokpessi dira que : « Un animateur est cette personne qui a une qualification professionnelle en pédagogie. Il a en charge de petits enfants de la maternelle. Son rôle est d’aider les tout-petits à acquérir des compétences nécessaires pour aborder l’enseignement systématique du Cours d’Initiation (CI) ».
« Le jeu, c’est le travail de l’enfant, c’est son métier, c’est sa vie », disait Pauline Kergomard, la fondatrice des écoles maternelles en France. Cette citation est la boussole des animateurs et animatrices des écoles maternelles publiques comme privées. Ainsi donc, le jeu est au cœur de l’apprentissage dans ce sous-ordre et est coordonné par l’enseignant. « Les activités ludiques offrent aux enfants des exercices individuels, en groupe et s’étendent enfin sur le groupe classe. L’animateur est également en partenariat avec l’école et les parents d’élèves. Il arrive rapidement à identifier les enfants à besoins variés, aux rythmes et aux styles d’apprentissages diversifiés », fait noter Immaculée Passissam.
Chellon Pierre Hounkandji, DEM
Des cris de cœur à la plaidoirie
La directrice Immaculée Passissam, reconnaissant l’existence d’écoles maternelles publiques sans animateurs, se désole : « Que nos dirigeants trouvent des moyens de recruter du personnel à la maternelle parce qu’il y a des écoles aujourd’hui qui sont fermées pour faute de personnel ». Cependant, la prise au sérieux du sous-secteur, en l’occurrence du personnel enseignant, est une préoccupation majeure. « L’État béninois doit reconsidérer cette catégorie d’enseignants, car ils sont laissés pour compte dans les réformes actuelles alors que, parmi nous, il y a bien des têtes pensantes », fait observer l’animatrice Inès Reine Agodokpessi.
Prenant son bâton d’aîné, Chellon Pierre Hounkandji, l’inspecteur de l’Enseignement du 1er degré, à son tour, plaide : « Les autorités à divers niveaux, les décideurs doivent œuvrer pour que la pénurie d’enseignants à la maternelle puisse être résolue, que l’on puisse pourvoir cet ordre d’enseignement d’enseignants, qu’on ait assez d’enseignants parce qu’on ne saurait confier les enfants aux non-praticiens. On ne saurait confier ces bouts de choux à ceux qui n’ont pas appris le métier ».
Enock GUIDJIME
