Dans la rue, à l’école comme à la maison, les apprenants, un peu comme des adultes non vertueux, se servent de mensonges pour camoufler leurs vices ou imperfections, ou encore pour soigner leur image au milieu de leurs camarades ou face à l’opinion. Une entorse donc à l’éthique et à la morale qui n’est pas du goût de certains parents et enseignants. Qu’est-ce qui pourrait bien motiver un tel comportement dans le rang des apprenants et comment y remédier ?
Eléments de réponses dans ce reportage !
Le samedi 20 février 2021 est une journée chargée pour Orlus (prénom attribué), tenancier d’un point de vente de crédits et de transfert d’argent. Fatigué, il marche au pied de charge pour se rendre chez lui. Le sommeil a commencé à alourdir ses paupières. Après avoir ouvert le portail de son lieu d’habitation, il vit son garçon de 7 ans occupé à regarder un dessin animé au salon. « Si quelqu’un vient me demander, dis-lui que je ne suis pas là. … que je ne suis pas encore rentré de la boutique », a-t-il dit à son enfant, le contraignant ainsi indirectement l’enfant à mentir. De tels parents existent un peu partout. Par leurs comportements, propos et actes, ils forgent dans la société des enfants, des apprenants qui rompent avec la vertu ; des apprenants qui excellent dans le mensonge, l’immoral. « C’est une manière de cultiver le mensonge chez l’enfant. L’enfant a vu que son père baigne dans le mensonge, mais il est obligé de lui obéir de peur de subir sa colère. Ce n’est pas bien », a fait remarquer à Educ’Action, Evelyne Félicia Gnélé épouse Dèdèwanou, puéricultrice en service à l’hôpital de zone de Ménontin, déplorant cette forme d’éducation proposée par certains parents aux enfants ou apprenants.
De la fabulation au mensonge chez les enfants…
Selon les spécialistes approchés, le mensonge fait partie du développement normal de l’enfant. Mais à un âge donné, les propos contraires à la vérité que tient l’enfant, ne doivent pas être considérés comme un mensonge. « Le recours au mensonge fait partie de l’attitude normale de l’enfant. Avant l’âge de 7 ou 8 ans, on ne saurait parler de mensonge chez l’enfant. On parle plutôt de fabulation parce qu’avant cet âge, l’enfant n’a pas encore une notion claire du vrai et du faux, de l’imaginaire et du réel, de ce qui est effectif et de ce qui est subjectif. Quand il déforme la réalité, il prend conscience qu’il a une pensée personnelle indépendamment de celle de ses parents et c’est comme cela qu’il arrive à construire son propre univers, sa vie intérieure. Il s’agit surtout d’une manifestation de son imaginaire plutôt qu’un désir réel de mentir », a expliqué Dr Clarisse Anagonou Lary, pédopsychiatre au Centre Hospitalier et Universitaire de l’Enfant Lagune de Cotonou. Elle précise néanmoins que le mensonge s’exprime chez l’enfant quand il connaît la vérité, mais use d’imagination pour empêcher qu’elle se révèle au grand jour. Cette lecture du Dr Clarisse Anagonou Lary, maître-assistant à la Faculté des Sciences de la Santé de Cotonou, est relativement partagée par Evelyne Félicia Gnélé épouse Dèdèwanou, mastérienne en Sciences Infirmières et Obstétricales, option Puériculture-Pédiatrie. « Le mensonge chez l’enfant est une phase normale de son développement. L’enfant d’âge préscolaire est bien connu pour déformer la vérité. Dès l’âge de 2 ans et jusqu’à environ 5 ans, l’enfant ne fait pas bien la différence entre de bonnes ou de mauvaises actions. Un enfant ne fait pas encore bien la différence entre la réalité et l’imaginaire. Il peut donc déformer la vérité pour s’amuser, pour faire rire ou pour imaginer une réalité qui lui semble plus intéressante », a-t-elle affirmée d’un ton péremptoire, avant d’ajouter qu’un enfant cesse habituellement de mentir vers l’âge de 5 ans ou 6 ans. Car, martèle-t-elle, à cet âge, il fait mieux la différence entre l’imaginaire et la réalité et comprend le sens du bien et du mal. Pour Wilfried Kouélo, éducateur spécialisé en service à Don Bosco, les enfants de 4 ou 5 ans mentent pour se découvrir et se développer.
Participant ainsi au développement des enfants de moins de 5 ans d’âge, le mensonge fait suite à la fabulation et devient inquiétant quand les enfants excèdent l’âge de 7 ans. En témoignent les propos de la puéricultrice Evelyne Félicia Gnélé. « Au-delà de 7 à 8 ans, le mensonge commence à être un problème pour lequel il faudra chercher des stratégies de réponses. L’adolescence constitue une autre étape de développement au cours de laquelle l’enfant imagine, invente, crée, multiplie et amplifie des mensonges si rien n’est fait », a-t-elle témoigné pour situer sur le moment auquel les parents doivent prendre au sérieux le mensonge de leurs progénitures. Dr Clarisse Anagonou Lary, pédopsychiatre, va plus loin : « La période de 7 à 8 ans est dite âge de raison. C’est le moment où l’enfant intériorise les notions de la morale. Il a la capacité cognitive pour faire la différence entre le vrai et le faux, l’imaginaire et le réel. Tous les enfants sont amenés à un moment de leur vie à dire des mensonges. Maintenant, le mensonge devient pathologique quand l’enfant, pour tout et n’importe quoi, ment ou quand cela devient le mode de fonctionnement au sein de la famille ».
Des causes plausibles du mensonge chez les enfants…
La peur d’essuyer la colère des parents et des enseignants, la volonté d’éviter un désagrément, ou le désir d’obtenir un avantage voire de rester dans les bonnes grâces de ses parents sont, entre autres, des causes plausibles décelées chez le menteur. « L’enfant peut mentir par bienveillance pour fluidifier les relations par usage de flatteries, par confort pour éviter des justifications interminables, pour se valoriser, pour embellir son image auprès des autres », a relevé Alban Zounon, psychologue-clinicien. Il poursuit que l’enfant ment lorsqu’il a peur ou vit sous le stress. Pour la puéricultrice, il est important de retenir deux différentes sortes de mensonges que sont le mensonge utilitaire et celui compensatoire. Pour le premier, elle affirme que chez les enfants de 2 à 5 ans, le mensonge est une manière « d’éviter un désagrément ou d’obtenir un avantage. Par exemple, l’obtention de mauvaises notes en devoir que l’enfant cache pour éviter d’être grondé voire d’être tapé ». Dans le second cas, elle précise qu’il se manifeste par le manque de confiance de l’enfant en lui-même. « Il souhaite voir la fierté dans le regard de ses parents lorsqu’il raconte qu’il passe en classe supérieure, cela lui fait du bien. Certes, c’est très maladroit mais il n’a trouvé que ça. L’enfant passe par le mensonge pour se mettre en valeur », a expliqué la spécialiste.
Le manque d’affection pour l’enfant amène également ce dernier à user de propos mensongers. « Il y a aussi la carence affective surtout du côté de la mère, c’est-à-dire que l’enfant ment pour compenser ce vide qu’il ressent. C’est une pathologie et là, il est important de consulter un pédopsychiatre pour sa prise en charge », suggère Evelyne Félicia Gnélé épouse Dèdèwanou.
Des remédiations, de l’avis des spécialistes…
« Il faut éviter que l’enfant vive sous pression, sous la peur et le stress. Les parents et les enseignants doivent éviter autant que possible le châtiment corporel, de mentir devant les enfants tout en les mettant en confiance. Ils doivent apprécier leurs moindres efforts », propose Alban Zounon, spécialiste de la santé mentale et du soutien psychosocial. L’éducateur spécialisé en service à Don Bosco, Wilfried Kouélo, opte, du reste, pour la communication avec l’enfant. « Il faut apprendre à écouter l’enfant, à le comprendre. Il faut accepter tout ce qu’il dit pour évaluer après. Il faut beaucoup dialoguer avec lui. L’enfant qui est avec l’enseignant, c’est l’enfant de l’enseignant. Il est appelé à connaître l’enfant. Donc, dès qu’il ment, il le sait », pense Wilfried Kouélo. Il soutient, par ailleurs, qu’il faut éviter de le blâmer parce que, dans ce cas, il peut persister dans le mensonge. Quant à la puéricultrice, Evelyne Félicia Gnélé, il faut identifier le centre d’intérêt de l’enfant et ses sources d’inspiration afin de l’amener à connaître le bon et le moins bon. Cet accompagnement obéit à une série d’exercices sur le dialogue, le jeu, les sanctions positives. « Nous allons éduquer et accompagner le parent à faire face à la situation, à se calmer et reprendre les choses en main. Le parent devra user de beaucoup de tacts, être plus attentif à son enfant », a-t-elle préconisé. Pour corriger le tir, les parents doivent éviter de mettre le couteau dans la plaie. « Ils doivent éviter l’interrogatoire qui provoque des mensonges dans une optique défensive, les questions dont on connaît les réponses, les pourquoi. De plus, nier les sentiments et émotions des petits, c’est déjà leur apprendre à mentir. Ils doivent chercher à comprendre la signification réelle du mensonge et éviter de mentir, eux-mêmes. Ils doivent évoquer et décrire le problème sans blâmer, dire ses sentiments puis exprimer ses attentes, proposer à l’enfant de réparer en l’emmenant à dire des excuses et promettre de s’améliorer », conseille la spécialiste.
Même son de cloche du côté de la pédopsychiatre qui pense que la prise en charge de ces enfants nécessite la présence des parents ou des tuteurs. « Un enfant n’est pas isolé, c’est avec la société qu’il interagit. Donc, ce n’est pas seulement lui qu’il faut prendre en charge mais tout le monde, de façon spécifique, pour le bien-être de l’enfant et de la famille », a martelé Dr Clarisse Anagonou Lary, montrant ainsi que l’accompagnement prend en compte toute la sphère familiale. « C’est vrai qu’il faut un accompagnement psychologique pour les enfants qui mentent régulièrement, mais on ne saurait dire quel accompagnement psychologique il faut. Cela dépend de chaque enfant, de chaque famille et de chaque situation parce qu’en réalité, il faut trouver le sens de ce mensonge, le restituer dans son contexte et comprendre les motivations », a-t-elle poursuivi avant d’exhorter les parents à garder leur calme quand ces situations se présentent à eux.
Enock GUIDJIME