L’analphabétisme est l’incapacité à lire, à écrire ou à compter dans sa langue maternelle. Ainsi, l’on peut être bien instruit et être analphabète. Comment ces personnes non instruites et non alphabétisées arrivent-elles à jouir pleinement de leurs droits civiques en tant que citoyen avec la pléthore de lois dont elles ignorent totalement le contenu ? Quels sont donc les impacts de l’analphabétisme sur la jouissance des droits civiques des personnes non alphabétisées ? Eléments de réponse dans cette livraison avec nos spécialistes en la matière.
«Je suis originaire d’Adja. Je n’ai pas été instruit et je ne suis pas alphabétisé dans ma langue non plus. Si on m’écrivait dans ma langue, je ne pourrai pas lire. Je n’ai connaissance d’aucun texte de lois. Même si cela est écrit dans ma langue, je ne pourrai pas comprendre. J’entends parler des écoles d’alphabétisation, mais je n’en ai jamais vu. Quand certaines situations arrivent, je ne sais comment me défendre ». Ce témoignage en langue locale Adja et traduit en français est celui de Jacques Cossi, vulcanisateur de métier et âgé de la trentaine. Comme lui, de nombreuses personnes se retrouvent aujourd’hui à la fois illettrées et analphabètes. L’analphabète est la personne qui ne sait ni lire, ni écrire ni compter dans sa langue maternelle. Mais cet aspect de la question va plus loin surtout dans un pays à diversité linguistique comme le Bénin. Franck Sèdjro, secrétaire exécutif du Réseau National des Opérateurs Privés pour l’Alphabétisation et la Langue au Bénin (ReNOPAL) explique : « une personne est dite analphabète quand l’individu n’a pas eu la chance de se faire scolariser ou lorsqu’il a été scolarisé, mais très tôt déscolarisé est retombé comme une personne qui n’a pas été à l’école. Ce sont ces personnes qu’on traite de personnes analphabètes. Si on doit aller plus loin, il y a le multilinguisme ou nous avons le français comme langue de travail. On peut ajouter qu’une personne qui ne sait ni lire, ni écrire ni compter en français, est appelé analphabète en français. Ni lire, ni écrire, ni compter dans sa propre langue, c’est être toujours analphabète ». Si le Bénin est regorgé d’une masse importante d’analphabètes, à combien peut-on alors les estimer ? Dr Arnauld Gbaguidi, sociologue-andragogue, spécialiste en GRH et enseignant-chercheur à l’INJEPS à l’Université d’Abomey-Calavi répond : « selon les données de l’INSAE (RGPH 4), le taux d’alphabétisation est de (56,94%,). Selon la note d’analyse sectorielle du secteur de l’éducation du Plan Sectoriel de l’Education Post 2015 (Juillet 2018), 61,2% de la population active n’a jamais été à l’école. Il en résulte donc une importante demande en services d’alphabétisation et d’éducation des adultes », renseigne-t-il. Pour Franck Sedjro, l’analphabétisme est d’un taux très élevé au Bénin et touche plus de 68% des femmes. A l’en croire, cela est transversal à tous les secteurs d’activités et donc, joue sur l’élan pour le développement.
De la jouissance des droits civiques …
Les droits civiques constituent les droits, protections et privilèges accordés à tous les citoyens par la loi dans leurs relations avec l’Etat qui se doit de les protéger pour éviter toute discrimination. Si les personnes analphabètes n’ont aucune connaissance des textes et ne maîtrisent pas leurs droits ainsi que leurs devoirs, peuvent-elles en jouir et dans quelles conditions ? A cette question, Dr Arnauld Gbaguidi souligne que l’alphabétisation met l’accent sur la conscientisation et la sensibilisation des citoyens sur leurs droits et leurs obligations. Avant de jouir de ses droits, il faut connaître ses devoirs et c’est dans cet objectif que Franck Sèdjro martèle que : « oui, elles peuvent jouir de leurs droits civiques, mais avec des limites. Les limites dans ce sens qu’il faut d’abord connaître ses droits civiques et il faut bien que quelqu’un les alphabétise. Au Bénin, ils sont près de 60% de la population. Donc, ils peuvent jouir de leurs droits civiques, mais dans les limites d’une certaine ignorance ». Le SE du ReNOPAL illustre son affirmation en donnant l’exemple de quelques personnes, qui, sans connaître leur rôle citoyen qui est d’entretenir les infrastructures publiques, se permettent de transformer des caniveaux publics en dépotoirs sauvages, mais aussi des parents, qui, dans certaines localités, malgré les nombreuses sensibilisations, n’ont pas conscience de l’importance des actes de naissance après accouchement. Dr Arnauld Gbaguidi ajoute que « l’alphabétisation permet de forger un type de citoyen capable de prendre en charge les questions essentielles liées à son essor. A cet effet, tous les secteurs de la vie socioéconomique sont impactés à savoir des droits civiques, santé, environnement, agriculture, commerce etc. ». Outre cela, l’Etat accorde une place de choix à l’éducation à la citoyenneté des personnes analphabètes en vue de jouir pleinement de leurs droits. « Le programme d’alphabétisation au Bénin s’appuie sur le référentiel des compétences qui prévoit les compétences exigibles du néo-alphabète. Dans ce programme, une place importante est accordée à l’éducation à la citoyenneté. Celui qui est déclaré alphabétisé après avoir suivi les cours du cycle 1 et du cycle 2 de niveau 1 et les cours du cycle 1 et du cycle 2 du niveau 2 maitrise bien les contenus de ce programme et peut valablement être un citoyen modèle », fait savoir Dr Arnauld Gbaguidi.
De la contribution de l’Etat et des ONG…
Au Bénin, le Réseau National des Opérateurs Privés pour l’Alphabétisation et la Langue au Bénin (ReNOPAL) fait partie des plus grandes associations qui œuvrent pour la promotion de l’alphabétisation au Bénin. « Elle est une structure faîtière qui regroupe tous les opérateurs privés et quelques cabinets d’études qui interviennent dans le domaine de l’alphabétisation. Donc, c’est un creuset d’échanges, de réflexions et d’actions de plaidoyer afin que l’Etat puisse mieux s’occuper des questions d’analphabétisme pour le bonheur de notre économie », renseigne le secrétaire exécutif Franck Sedjro avant de préciser que le réseau professionnalise au quotidien ses membres pour plus d’impacts sur le terrain. « Nous travaillons à ce que nos membres soient un peu plus professionnels pour pouvoir contribuer largement à la lutte contre l’analphabétisme sur le terrain à travers des formations spécifiques liées à des thématiques données. En dehors de cela, nous appuyons la capacité de traduction des documents. Des différents textes qui existent, la plupart sont traduits en langues par le ReNOPAL. La grande masse des personnes alphabétisées l’ont été par le biais des opérateurs privés dont le ReNOPAL. Depuis sa naissance, le ReNOPAL s’est battu pour que l’Etat puisse mettre en œuvre la déclaration de politique d’alphabétisation et d’éducation des adultes qui était là et qu’on n’exécutait pas. Cela fait partie des premiers résultats tangibles des actions de plaidoyer de l’Etat. La mise en œuvre de cette politique préconise que l’Etat mette en œuvre le faire-faire, c’est-à-dire que l’Etat mette les moyens à disposition, lance un appel à candidatures, recrute des opérateurs pour la mise en œuvre des activités sur le terrain sous son contrôle régalien », a-t-il expliqué en détails. Par le truchement du faire-faire, le Bénin a pu alphabétiser pour une première fois près de 34.000 personnes dont près de 08% des femmes, informe-t-il, fièrement. Quant à l’Etat, il a augmenté les ressources de la Direction en charge de l’alphabétisation pour mieux accompagner les populations analphabètes à travers notamment le faire-faire par lequel il finance des ONG (Opérateurs Privés en Alphabétisation pour une alphabétisation fonctionnelle de proximité des populations, corrobore Dr Gbaguidi. L’Etat finance, poursuit-il, l’alphabétisation à travers le plan d’urgence de relance de l’enseignement et la formation technique et professionnelle. « Le projet ARCH du Gouvernement accorde également une place de choix à l’alphabétisation fonctionnelle des populations dans le cadre du renforcement de leurs compétences. Beaucoup d’autres actions sectorielles sont menées par l’Etat pour un meilleur accompagnement de l’alphabétisation. Il garantit également son appui institutionnel aux structures d’intervention en alphabétisation », a-t-il, pêle-mêle rappelé.
Aux insuffisances dans le secteur…
« Nous avons constaté que c’est l’un des sous-secteurs, parent pauvre de tout le système de financement étatique. Même l’UNESCO a plaidé pour cela. Mais l’Etat n’arrive pas encore à atteindre le taux souhaité par l’UNESCO pour s’occuper de l’alphabétisation. Pour être plus concret, l’UNESCO a recommandé à ses Etats membres de donner annuellement au moins 3% du budget de l’éducation au sous-secteur de l’alphabétisation pour pouvoir régler les questions de l’alphabétisme, vu que c’est une question transversale et que cela touche tous les autres secteurs. A ce jour, ce secteur n’a pas encore eu 1%. En 2019 cela s’est un peu amélioré avec 0,23% et pour cette année, je ne sais pas encore si un effort a été fait », a confié Franck Sedjro mettant ainsi en exergue le rôle principal de plaidoyer que s’est donné le ReNOPAL comme mission.
Gloria ADJIVESSODE (Stag)