Voilà quelques semaines seulement que l’école béninoise a fermé ses portes pour envoyer les apprenants en vacances après 9 mois de cours. Mais déjà, des communiqués et des affiches publicitaires invitent les parents d’élèves à inscrire leur progéniture aux cours de vacances. Chose qui n’est pas du goût de tous et qui incite à s’interroger : quelle est l’utilité des cours de vacances ?
«Foutez la paix aux enfants ! » C’est le titre d’un message posté sur le réseau social Facebook par Eskil Agbo qui rejette farouchement l’idée de retenir les enfants en classe après plusieurs mois d’activités scolaires. Enseignant de Français, chroniqueur et promoteur de « Béninlivre », celui que l’on appelle « Le Vendeur national du livre » se révolte contre les cours de vacances qui est entrée dans les habitudes depuis bien des années. Sur sa page Facebook, un texte déplore avec vigueur l’engouement perceptible depuis quelques semaines autour des campagnes de cours de vacances alors que les enfants viennent à peine d’entamer leur grand congé. « À peine les vacances ont commencé et déjà les campagnes de cours de vacances. Il y en a qui veulent même les faire sur deux mois. En d’autres termes, le projet de ceux-ci est de maintenir les enfants dans les quatre murs de l’école jusqu’à la veille de la rentrée scolaire prochaine. Quels enfants formons-nous ? Quels hommes préparons-nous pour demain ? Des robots ou des êtres intelligents ? Je pense qu’il faut interdire les cours de vacances. Ils n’ont jamais servi à quelque chose. Ils n’ont aucun impact sur l’enfant. Ils n’améliorent rien chez l’enfant. Rien du tout. Les cours de vacances remplissent les poches des organisateurs et créent la fatigue extrême chez l’enfant. », se rebelle l’auteur du texte. Si certains réfutent analyse d’Eskil Agbo, d’autres partagent entièrement son avis.
Anciens élèves et apprenants se prononçant sur leurs expériences des cours de vacances
« Quand je faisais les cours de vacances, c’était pour aller découvrir les notions à rencontrer durant l’année à venir. Et forcément ça m’aide lorsque la rentrée commence », a confié un homme, la trentaine environ, sur ses expériences passées. Contrairement à ce dernier, les cours de vacances sont l’occasion de nouvelles rencontres et de toutes sortes d’expériences pour d’autres. Interrogée dans les rues de Gbèdjromédé sur ce qu’elle en pense, Elvire, en se référant à ce qui se fait en son temps, s’exprime: « C’est pendant les cours de vacances que certains s’adonnent à des pratiques très peu recommandées. » Elle n’a pas manqué d’étayer ses propos. « Pendant les vacances, il y a de nouveaux visages que l’on aperçoit dans les quartiers. Les cours de vacances se transforment donc en coin de rencontre. Et pendant que les parents pensent que leurs enfants sont en cours de vacances, ils sont plutôt ailleurs, soit chez les personnes nouvellement rencontrées, soit dans les hôtels pour aller à la piscine ou dans les fastfoods », a-t-elle expliqué. Un autre apprenant, candidat heureux au Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC), dira par rapport à ses expériences passées de cous de vacances : « Ce sont les parents qui insistent pour que j’aille en cours de vacances. Mais parfois avec les amis, on quitte les classes pour aller jouer parce qu’on sait qu’il n’y a pas la même rigueur qu’à l’école. » Ces différentes expériences relatées diversement soulèvent la question de l’utilité des cours de vacances. À cela, les spécialistes des Sciences de l’éducation et des psychologues ne manquent pas de répondre.
Le concept de vacances vu par les spécialistes
Docteure en Sciences psychologiques et de l’éducation, Débora Hounkpè analyse l’utilité des cours de vacances en prenant la question dans toute sa dimension. « Si nous partons de la vérité que tous les élèves n’ont pas le même niveau d’apprentissage et le même héritage social, on convient qu’ils n’ont pas, du coup, les mêmes besoins au même moment », dit-elle pour planter le décor. En effet, expose-t-elle dans le premier pan de son analyse, les enfants bien nourris, bien soignés, bien aimés sont comme des plants au soleil et bien hydratés en temps réel. Certains parents ont compris qu’un enfant est un précieux trésor qu’il faut aimer et éduquer pour en faire un homme meilleur demain. À ce propos, témoigne-t-elle, ils savent que les vacances sont des moments pour permettre aux enfants d’apprendre la vie grâce aux choses très intéressantes de la vie. Par conséquent, « pendant les vacances, certains parents envoient leurs enfants dans des ateliers de travaux manuels. C’est formidable ! D’autres, au champ, c’est magnifique ! D’autres encore, les envoient en voyage pour aller découvrir d’autres contrées, d’autres réalités… C’est ce qui est souhaité. Car, il faut voyager pour mimer sa cervelle contre celle des autres. C’est ça en réalité vivre de véritables vacances. C’est de pouvoir raconter des choses intéressantes et des expériences nouvelles à ses camarades, à la rentrée des classes », atteste la docteure Débora Hounkpè. D’ailleurs, pour avoir beaucoup voyagé, elle va confier qu’ « en Europe, le déplacement géographique est obligatoire pour les enfants. À ce propos, l’Etat aide les parents en situation précaire afin qu’ils puissent offrir ces moments à leurs enfants. » Partageant ce même point de vue que la spécialiste des sciences de l’éducation, la psychologue clinicienne Faridath Ibrahim Ahossi fait observer que les vacances sont pour les apprenants, une période de repos, de distraction afin de se ressourcer pour mieux rebondir. Ainsi, elle précise que les vacances pourraient être agrémentées au-delà des habitudes quotidiennes (manger, dormir, travaux domestiques) et par des moments de distraction (activités ludiques, sortie, voyage). « Les vacances sont un temps de changement d’activités. À la maison, pendant les vacances, les enfants s’impliquent plus selon l’âge, dans les activités domestiques. Ils dorment beaucoup plus, mangent beaucoup plus », martèle la psychologue clinicienne. À tout ceci, poursuit-elle, s’ajoutent les sorties fréquentes, la distraction pour aller connaitre les lieux qu’on ne connaissait pas auparavant, des moments passés en famille ou entre amis. Mais hélas, les choses ne se passent pas toujours comme l’ont décrit ces spécialistes.
Quid de la pratique réelle pendant les vacances ?
Laisser les enfants se distraire, se livrer à des activités manuelles, voyager pour mimer leur cervelle contre celle des autres afin d’apprendre de nouvelles choses et de faire de nouvelles expériences. C’est ce qui est normalement recommandé pour les périodes de vacances, à en croire les propos cités plus haut. Et si sous certains cieux, le principe des vacances est ainsi respecté, il n’en est malheureusement pas de même, sous d’autres cieux comme au Bénin par exemple. En lieu et place des distractions sous toutes leurs formes, ce sont les cours de vacances qui occupent les enfants ici. Mais par rapport à cela, Eskil Agbo affiche clairement sa désolation quand il laisse entendre dans son texte : « Foutez la paix aux enfants avec vos histoires de cours de vacances. Les vacances sont faites pour le repos, le divertissement, les loisirs. » Tout en partageant en partie cette analyse, la docteure Débora Hounkpè essaie cependant de comprendre certains parents qui optent pour les cours de vacances. Abordant le deuxième pan de son analyse, elle explique que certains enfants ont besoin de redoubler d’ardeur et de fermer les trous cognitifs de leur vie scolaire. Pour ce faire, ceux-ci ont forcément besoin d’être pris en charge. Mais « Est-ce que les cours de vacances serviraient réellement à relever le niveau de ceux-ci ? Quel en est le but ? Quels en sont les objectifs ? Quelle est la nature de la prise en charge des apprenants ? Quelle est la pédagogie appliquée ? » Autant de questions que se pose la spécialiste sur l’utilité de ces cours de vacances.
Selon la psychologue Faridath Ibrahim Ahossi, les vacances sont certes faites pour le repos, mais les apprenants ne doivent pas oublier ce qui les attend à la rentrée prochaine. D’où son propos : « Les cours de vacances les aident déjà à avoir les premières notions qui les attendent dans les matières principales au cours de l’année. Ces cours de vacances permettent aux enfants de se préparer ou, au moins, de préparer le premier trimestre de l’année qu’ils vont aborder à la rentrée. Et psychologiquement aussi, ils savent ce qui les attend. » Certes, dira la docteure Débora Hounkpè qui finit par laisser entendre que « si tout s’y passe comme en classe normale, c’est très dommage. Si les apprenants s’y rendent sans but, c’est très dommage. Si c’est pour aller se dévergonder, à quoi cela sert-il ? On parlera de l’esprit mercantile des promoteurs d’établissements ! Soit ! Tout ce que je voudrais qu’on comprenne c’est que les vacances sont à respecter ».
Des conseils pour des vacances saines sans les cours de vacances
Eskil Agbo est visiblement d’accord sur les observations faites par son ainée des Lettres, la docteure Débora Hounkpè. Il pense qu’à défaut de s’offrir des voyages, l’apprenant peut quand même vivre ses vacances de façon saine. « La lecture, les jeux, la promenade, voilà ce qu’il faut pour les enfants dans les vacances. C’est le gage de l’épanouissement intellectuel de l’enfant. Avec la lecture, les jeux et la promenade, l’enfant devient beau, intelligent, cultivé et sage. Les enfants ont beaucoup à gagner dans les salles de lecture, de jeux, de spectacle que dans les salles de cours de vacances. Inscrivez vos enfants dans les bibliothèques, les centres de lecture, etc. Ils passeront des vacances épanouies », suggère-t-il aux parents d’élèves. Il n’est d’ailleurs pas le seul à voir les choses ainsi. De plus en plus, beaucoup d’initiatives naissent durant les vacances, dans le but d’aider les enfants à développer d’autres compétences. Des ateliers s’ouvrent pour offrir aux apprenants, des cours de cuisines et de pâtisserie, des cours de dessin, de couture, de coiffure, de danse, de théâtre, de musique, d’informatique, de fabrication de tel ou tel autre objet de décoration, etc.
Pour un pays dans lequel l’ambition du gouvernement est de réorienter autrement les enfants pour une main d’œuvre de qualité avec des compétences diversifiées, ne serait-il pas mieux de repenser les occupations des enfants pendant les vacances ?
Estelle DJIGRI