La responsabilité des parents dans l’éducation des enfants est mise en cause à chaque fois que l’on constate un comportement déplacé chez ceux-ci. L’enseignant-chercheur Tata Jean Tossou revient sur le nécessaire à faire pour une parentalité responsable.
Des propos déplacés et irrespectueux, la tendance à désobéir et à tenir tête aux parents et aux adultes en société, la manière trop extravagante et extravertie de se vêtir, le désir de copier tout ce qui nous vient de l’extérieur sans un effort de filtrage, le désintérêt des enfants pour l’effort consenti afin de leur assurer une éducation de qualité, la découverte très tôt de certaines réalités restées longtemps cachées aux enfants, leur donnant ainsi l’impression de pouvoir tout se permettre. Ce sont quelques comportements observés, de plus en plus, chez les enfants dans nos rues, dans nos écoles comme dans le milieu familial et qui laissent à désirer. Ces réalités désormais en vogue dans notre société, mettent en évidence l’irresponsabilité des acteurs à divers niveaux de l’éducation, notamment les parents. Elle devient encore plus inquiétante dans le contexte africain où le regard de la société est très vite tourné vers les parents en cas de faute de l’enfant.
C’est donc pour rappeler aux parents ayant peut-être oublié le rôle aussi important qu’ils doivent jouer dans l’éducation de leurs enfants que le Docteur (Dr) et Maître de Conférences (MC) des Universités de CAMES, Tata Jean Tossou, a consacré une communication sur cet enjeu. Il est psychologue, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales (FASHS) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) et chef du département des Sciences de l’Education et de la Formation. Sa partition dans le cadre du symposium « Média-Education-Développement », organisé par Educ’Action pour célébrer ses 10 ans de vie, est la communication intitulée : « L’importance d’une parentalité responsable pour l’éducation des enfants en milieu africain ». Pour cet enseignant-chercheur, l’irresponsabilité des parents ne permet pas à l’enfant de s’ennoblir. Alors, « comment l’irresponsabilité parentale explique-t-elle, de nos jours, les difficultés observées dans le processus d’éducation des enfants en milieu africain ? » C’est la question à laquelle le Dr Tossou a tenté d’apporter des éléments de réponses dans sa communication. « Cette interrogation vise à mettre en relief les mythes et autres tabous protecteurs à travers lesquels, la société reste muette sur les comportements de certains parents qui ne jouent pas efficacement leur rôle afin d’assurer à leurs enfants, une éducation typiquement africaine et digne du nom », a indiqué le MC.
Tata Jean Tossou
L’éducation des enfants, un grand défi pour les parents
Il est un secret de polichinelle que l’éducation des enfants relève d’un grand défi pour les parents de nos jours. Les plaintes des parents à l’égard de leurs enfants et ceux des enfants envers leurs parents, les tensions intra familiales parfois très violentes, les fugues répétées, le taux croissant d’enfants délictueux et d’actes de délinquance, le pourcentage de plus en plus élevé d’enfants déscolarisés et d’enfants dans la rue, le phénomène de cybercriminalité jusqu’à récemment en vogue au Bénin et le relâchement généralisé des mœurs sont autant de facteurs qui, selon le Dr Tata, traduisent les difficultés qui s’observent désormais dans les efforts fournis pour éduquer les enfants en milieu africain. Or, l’éducation, dans son sens étymologique révélé par le Dr, est l’action de « guider hors de », c’est-à-dire développer, faire produire. Aujourd’hui, elle signifie plus couramment l’apprentissage et le développement des facultés intellectuelles, morales et physiques ainsi que les moyens et les résultats de cette activité de développement.
De façon spécifique, le chef du département des Sciences de l’Education et de la Formation explique que l’éducation humaine inclut des compétences et des éléments culturels, caractéristiques du lieu géographique et de la période historique. Ce qui suppose alors que chaque pays dans le monde, dispose de son propre système éducatif avec un rôle traditionnel dévolu aux parents d’enfants et/ou à leur substitut. Lequel leur permet d’amener ces enfants aux mœurs de l’âge adulte avec une intervention souvent croissante des Etats. Ainsi, développe-t-il, en Afrique, la parentalité se perçoit comme un mode de conduite, de savoir-être et de savoir-faire qui se déclinent au fil des situations quotidiennes non seulement en paroles, actes, partages, émotions et plaisirs en reconnaissance de l’enfant, mais également en autorité, exigence, cohérence et continuité. Mais il fait observer malheureusement, que malgré les nombreux efforts que fournissent les parents africains dans le processus d’éducation de leurs enfants, les contraintes auxquelles ils font face et les défis qui se dressent devant eux, impactent tellement les comportements des enfants.
Quid des notions parentalité responsable et éducation d’enfant
Au regard du développement fait un peu plus haut, le Dr Tata Jean Tossou estime qu’il est pertinent et préoccupant de s’interroger sur la qualité du grand rôle de la responsabilité parentale dans l’éducation des enfants en milieu africain. Mais avant, des notions doivent être clarifiées pour rendre plus limpide le développement qui va suivre. Entre autres notions, l’éducation des enfants, la parentalité responsable, les formes d’expression du manque de responsabilité parentale. S’il est vrai que l’éducation dans son sens étymologique, tel que révélé par le maître de conférences, est l’action de « guider hors de », elle est cependant une socialisation méthodique pour la jeune génération, selon Emile Durkheim. « Enseigner, c’est transmettre à la génération future, un corpus de connaissances et de valeurs de la vie sociale », disait-il. Mais il va plus loin en disant que l’éducation ne se limite pas à l’instruction stricto sensu qui serait relative seulement au savoir et savoir-faire. Elle vise à assurer à chaque individu, le développement de toutes ses capacités physiques, intellectuelles morales et techniques, afin qu’il puisse affronter sa vie personnelle. Cette éducation telle que décrite est assurée par les parents qui se doivent donc d’être responsables dans ce rôle. Ce qui amène à se demander ce qu’est une parentalité responsable.
Cette dernière va bien au-delà des soins et de l’affection, et n’est pas une mince affaire, soutient l’enseignant-chercheur de Psychologie sociale. Citant François Dumesnil (2003), il renseigne que la parentalité responsable passe par une présence constante dans ce que vit l’enfant, par un regard tantôt sensible, tantôt sévère sur ce qu’il est et par une volonté toujours déterminée à le conduire à ce qu’il peut être de mieux. Pour ce faire, « l’encadrement parental doit être juste, mais cela n’exclut pas la discipline et l’autorité. Il faut que l’enfant prenne conscience de ce qui est mal ou bien, et pas seulement qu’il se sente aimé. La responsabilité du parent, père et/ou mère ne se délègue pas », renseigne François Dumesnil dans son livre intitulé : ‘‘Parent responsable, enfant équilibré’’. L’enseignant-chercheur n’a pas manqué d’indiquer les formes d’expression du manque de responsabilité parentale.
Des formes d’expression du manque de responsabilité parentale
Au nombre des formes d’expression du manque de responsabilité parentale, le Dr Tossou cite, dans un premier temps, l’absence des parents qui regroupe les cas d’absence totale et les cas de présence-absence. Les cas d’absence totale font référence aux cas d’abandon de l’enfant par les parents ou l’un des parents, les cas de séparation des parents privant totalement l’accès d’un des parents à l’enfant et les cas de décès d’un ou des parents. Les cas de présence-absence concernent les parents présents vivant régulièrement à la maison mais qui sont toujours dehors pour des raisons professionnelles ou d’autres ; ou qui sont indifférents ou même qui ont très peu de contact avec leur enfants.
Dans un second temps, il y a la dérogation du devoir d’éducation à une tierce personne. C’est-à-dire que les parents souhaitant assurer une bonne éducation à l’enfant, décident de le confier à d’autres personnes souvent laxistes et permissives (cas des grands parents par exemple). L’autre forme du manque de responsabilité est la stricte interdiction à l’enfant d’avoir des amis. « Derrière une telle disposition rigide et hyper-protectrice à tous égards, se cachent, entre autres, une insécurité (anxiété) des parents rigides et une incapacité d’adapter ou de réajuster l’action éducative parentale au prisme des contradictions extérieures », explique le Dr. Enfin, les conflits entre parents (papa/maman). Il fait observer que dans de pareils cas, l’enfant qui jusque-là avait une relation équilibrée avec ses deux parents, va se sentir obligé de prendre parti pour le parent faible. Cela crée alors un clivage et une destruction de l’image parentale.
Rôles et importance de la parentalité responsable
Avant d’aborder le rôle de la parentalité responsable dans l’éducation des enfants en Afrique, l’enseignant Tata Jean Tossou a fait un bref aperçu de la parentalité du point de vue classique. « La parentalité est un processus d’apprentissage et de pratiques constant dans lequel les enfants et les personnes qui s’occupent d’eux, échangent constamment des intentions, des attentes, des craintes, des défis, tout en gérant le stress, les tâches quotidiennes et une culture dans laquelle la violence dans le contexte de l’éducation des enfants peut avoir été normalisée », a-t-il dit. Par contre, dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest et du Centre, l’accent est plutôt mis sur le devoir des parents à bien former les futurs hommes dans une visée de défense de la communauté. Dans cette partie de sa communication, Tata Jean Tossou a fait une distinction entre le rôle du père qui vient en appui à celui de la mère. Cette dernière étant connectée à son enfant dès sa conception, le développement psychologique ultérieur de l’enfant repose sur les premières acquisitions de la prime enfance.
Lorsqu’on parle de l’importance de la parentalité responsable en milieu africain, il serait justifié que beaucoup fassent allusion à la question financière et matérielle ainsi que le confort qu’on devrait assurer à l’enfant. Cependant, ces aspects peuvent être relégués au second rang. Dans le contexte africain, au-delà de l’aspect financier et moral, « elle permet d’aborder les situations et de faire évoluer les représentations de la famille africaine. Une parentalité responsable digne, influence positivement l’éducation des enfants et leur devenir en ce sens qu’elle sera le socle sur lequel les enfants vont s’appuyer, afin de s’insérer dans le tissu socio-économique local et d’accéder à un emploi stable et durable », a développé l’enseignant chercheur. Mais, il faut reconnaître qu’une telle parentalité est confrontée à d’énormes défis.
Les défis actuels qui sapent les efforts des parents
Les mutations culturelles et l’influence des cultures extérieures et étrangères de même que les médias et réseaux sociaux numériques, sont quelques défis qu’il faut impérativement relever pour avoir plus d’impacts positifs dans l’éducation des enfants en milieu africain. C’est ce que pense le Dr Tata Jean Tossou. Dans son développement relatif au premier défi cité, il ressort qu’avec la mondialisation, les distances entre les continents se sont réduites, les rencontres avec les personnes lointaines sont rendues possibles et se sont diversifiées et intensifiées. Ces rencontres, poursuit-il, sont aussi des rencontres de cultures où le jeu des influences réciproques se joue sur fond des ressources financières et des classements mondiaux du niveau de développement. Dans ce jeu d’influence, l’africain est alors perçu comme celui dont la culture n’est pas bonne et il se laisse persuader comme tel. « Il adopte donc tout ce qui vient d’ailleurs sans grande résistance et sans y porter longtemps un regard critique. De ce fait, il s’inscrit dans le mimétisme qui conduit très souvent à une dépersonnalisation et une autodépréciation dont les conséquences sont inquiétantes surtout du point de vue de l’éducation des enfants. Car, pour éduquer, il faut être stable », a exposé la communicateur.
L’autre défi a pour nom, médias et réseaux sociaux numériques. L’enseignant s’indigne du fait que les médias et réseaux sociaux numériques accroissent la mutation culturelle en diffusant des informations qui mettent le plus souvent en valeur, les cultures d’ailleurs et qui présentent l’africain comme un être incapable de résoudre ses propres problèmes sans l’aide extérieure. L’impossibilité des parents à contrôler et filtrer les informations injectées dans l’esprit fragile des enfants par les médias, est donc la plus grande difficulté à laquelle ils devront faire face. Car, avec cette réalité, ils perdent leur position de référence ou de personnes ressources auprès de leurs enfants.
Face à tout ceci, un centre pilote chargé de l’éducation et de l’accompagnement des enfants s’avère une perspective à envisager, de l’avis de l’enseignant-chercheur et chef du département des Sciences de l’Education et de la Formation, Tata Jean Tossou.
Estelle DJIGRI