Installé le 21 janvier 2020, le Conseil National de l’Education (CNE) a bouclé quatre années d’activités intenses au service de l’éducation nationale. Avec un Bureau exécutif disponible et engagé, une Assemblée plénière volontaire, l’organe supérieur du système éducatif a accompli, en toute discrétion, des prouesses pour la performance du secteur sous le leadership d’un intellectuel chevronné, le Professeur Noël Ahonagnon Gbaguidi. Titulaire des universités du CAMES, professeur agrégé de droit privé, l’actuel président du CNE s’est ouvert à votre Journal Educ’Action. Bilan, réformes, perspectives…tout y passe ! Entretien.
Educ’Action : Quels sont les grands résultats que nous pouvons retenir du premier mandat du CNE ?
Pr Noël Gbaguidi : Le CNE, dans sa forme actuelle, est le fruit d’une profonde mutation. Cette grande institution a été créée en 2003 par la loi portant orientation de l’éducation nationale. Tirant leçon des insuffisances du passé, le CNE a été profondément réaménagé par le gouvernement actuel. Il en a fait une véritable institution. Il a affirmé que le CNE est l’organe supérieur du système éducatif. En conséquence, il l’a doté de pouvoirs très forts : Pouvoir d’orientation, de coordination, de suivi-évaluation et de décision ! Pour les grands résultats de notre premier mandat, on peut les décliner à travers ces divers pouvoirs.
En ce qui concerne le pouvoir d’orientation, le CNE a produit des directives et des avis. Ces avis sont consultatifs ou conformes. Les avis consultatifs du CNE ne lient pas les demandeurs. Mais le constat est que les avis sont généralement suivis en raison de leur pertinence ou si vous voulez, en raison de l’autorité de la raison. Pour les avis conformes, il existe des matières dans lesquelles, les grands acteurs doivent se référer au CNE. En matière de mutation du personnel, en matière de nomination des responsables, les ministres, par exemple, doivent demander l’avis du CNE et cet avis est conforme. Le sens de l’avis conforme, contrairement à l’avis facultatif, est que l’avis lie le demandeur. Par le pouvoir d’orientation, le CNE a encadré, au cours de son premier mandat, beaucoup de documents de politiques et de stratégies avec les ministères. Le CNE a également conduit beaucoup d’études prospectives comme l’étude sur les statuts-types des universités publiques, le temps scolaire dont vous verrez très prochainement des formes de sa mise en œuvre, l’évaluation des écoles doctorales, la mise en œuvre de la stratégie de l’Enseignement et la Formation Techniques et Professionnels.
Que retenir du pouvoir de la coordination ?
Nous avons constaté que le secteur de l’éducation est parfois désarticulé dans son fonctionnement. Il s’agit ici de voir comment mettre tous les acteurs du secteur en synergie pour améliorer la performance du secteur. Nous avons donc mis en place des outils de coordination. Par exemple, la revue périodique CNE-Ministères en charge de l’éducation : Tous les 4 mois, les trois ministres en charge de l’éducation accompagnés de leurs principaux collaborateurs viennent au CNE pour discuter des problèmes brûlants et des solutions envisageables avec une fixation sur la performance du secteur. De même, nous avons mis en place comme outil de coordination : le séminaire préparatoire de la rentrée. Ce séminaire se tient à la veille de chaque rentrée scolaire et universitaire, généralement au mois d’Août. Il a démarré depuis 2021et nous permet d’identifier les actions nécessaires au bon démarrage et au bon déroulement de la rentrée. Puis, au mois d’octobre ou de novembre généralement, nous nous retrouvons pour évaluer ce que nous avons fait.
Quid du pouvoir de suivi-évaluation ?
Nous l’exerçons presque de façon quotidienne. Nous faisons de la veille dans le secteur. Nous avons de grands partenaires comme les syndicats avec qui le CNE collabore efficacement. Les centrales nous informent des dérives et nous interpellons immédiatement qui de droit. Nous avons aussi les enseignants. Ceux dont nous avons réglé les difficultés restent reconnaissants et fidèles au CNE. Quand ils découvrent quelque chose d’anormal, ils nous informent et nous essayons d’agir en conséquence. C’est un maillage informel qui nous permet d’avoir de l’information et d’agir en conséquence. En dehors de tout cela, nous avons des missions d’investigations sur le terrain, des missions de suivi inopinées. A l’occasion des divers examens nationaux, nous envoyons des observateurs qui viennent nous dire au fur et à mesure ce qui ne va pas. Et il nous arrive en plein déroulement des examens, d’interpeller les organisateurs pour rectifier le tir quand c’est nécessaire. C’est grâce au pouvoir de suivi-évaluation que nous réalisons ces réglages.
Qu’est-ce qui vous a marqué dans l’évaluation durant ces 4 dernières années ?
Le pouvoir de suivi-évaluation nous a révélé que nous avons du chemin tant au niveau de la qualité des infrastructures qu’au niveau de la gouvernance administrative, pédagogique et financière. Parfois, ce n’est pas toujours par paresse ou par mauvaise foi que certains acteurs font mal ce qu’ils doivent faire. Il y a surtout un bon brin de dilettantisme ou d’incompétence. Les gens n’ont pas appris à planifier, à évaluer. Les gens n’ont pas appris à s’organiser pour exécuter une activité et obtenir de bons résultats. Il nous faut apprendre le management rationnel. Ici, les gens se débrouillent. Nous avons identifié ces difficultés et nous avons commencé à les corriger. Par exemple, nous avons organisé une formation au profit des nouveaux Directeurs départementaux, une initiation à quelques techniques du management rationnel. On ne fait pas au hasard les choses. Ce n’est qu’une initiation. Cette expérience doit être poursuivie.
Qu’est-ce que le pouvoir de décision vous a permis de réaliser en 4 ans ?
Nous pouvons dire qu’aujourd’hui, de concert avec les ministres, il est ancré dans les habitudes qu’il faut nommer les meilleurs ! L’idée de dépolitiser les nominations, de décourager la cooptation nocive, le copinage, etc., est définitivement actée. Et les ministres se comportent comme tel. Nous pouvons aussi dire qu’aujourd’hui, les mutations sont plus objectives ! Ces deux moments qui perturbaient le système sont désormais conjugués au passé. Il peut y avoir des erreurs, nous sommes des humains mais ce qui est certain, la dynamique est acquise par tous les grands acteurs pour plus de rationalité avec fixation sur l’amélioration des performances du système éducatif béninois.
Au total, aujourd’hui, les progrès sont nettement perceptibles. La qualité de la gouvernance institutionnelle, administrative, pédagogique et financière du secteur de l’éducation s’est significativement améliorée. Les interventions du CNE ont contribué au renforcement de la transformation structurelle et qualitative du système éducatif national.
A votre installation en 2020, beaucoup ont pensé que la collaboration avec les trois ministères de l’éducation serait difficile. Est-ce que la collaboration a été un long fleuve tranquille pendant ces 4 ans ?
Ce que je peux dire, c’est que nous avons perçu très tôt que nous avons des ministres qui font partie d’un gouvernement et qui doivent désormais rendre compte à un organe dont les membres ne sont pas des ministres, à un président d’un organe qui n’est pas ministre. On a fait un débat tout au début pour constater que le Chef de l’Etat est celui qui détermine les matières à confier à un ministre et dans quelles mesures il doit les exécuter. Conscient de cela et voyant la délicatesse de ce que certains ministres soient mis sous surveillance dans certaines matières par un organe nouveau, nous avons été assez souples, mais exigeants sur la qualité du travail, pour faire comprendre aux uns et autres que nous travaillons tous pour un même chef : le Président de la République, et pour un objectif commun, la performance du système éducatif. En personne adulte, nous nous sommes compris. Je peux dire que dans nos rapports, c’est plutôt lisse !
En quatre ans, vous avez été un acteur stratégique du secteur éducatif. Quels sont les freins à la qualité de l’éducation au Bénin ?
Le diagnostic stratégique du CNE nous a révélé des insuffisances indiscutables qui sont des entraves, handicapantes pour le secteur. Il existe tout un faisceau de facteurs qui sont handicapants : la qualité des programmes, la qualité des supports pédagogiques et didactiques, la qualité de la gestion pédagogique des établissements et des programmes de formation, la qualité des infrastructures, etc. Mais, la gouvernance administrative, pédagogique et financière est le premier frein au développement de ce secteur. La pertinence des décisions qui y sont prises, l’exécution des décisions qui y sont prises, la qualité des gens qui prennent ces décisions, la qualité des gens qui les exécutent, si nous réglons ces problèmes, nous allons beaucoup avancer. Mais il y a un grand espoir. Des réformes sont en cours pour améliorer la gouvernance.
Et pourtant la réforme des Aspirants au Métier d’Enseignant ne fait toujours pas l’unanimité ?
Quelles autres solutions avons-nous aujourd’hui ? Nous avons des déficits chroniques dans trois matières principales : Maths, français, EPS. Normalement, les AME constituent une solution provisoire. La pénurie d’enseignants est un problème mondial. Nous y travaillons. Le gouvernement compte régler ce problème avec des productions suffisantes de professionnels de l’enseignement.
La qualité dans les Ecoles Normales Supérieures est souvent remise en cause. Qu’a fait le CNE en 4 ans ?
Le CNE a beaucoup fait. En 2022, le CNE est intervenu pour exiger l’organisation des examens professionnels BAPES et CAPES dans les conditions conformes au règlement pédagogique alors même que tout était fin prêt pour faire passer les examens nationaux à des candidats irréguliers ! De même, en 2023, nous avons appris que certains candidats au BAPES et au CAPES n’avaient pas complètement suivi la formation et avaient pourtant reçu leur quitus pour passer les examens nationaux. Là encore, nous avons arrêté le processus et mis en place une équipe d’investigation qui a travaillé d’arrache-pied pendant des semaines et qui nous a sorti des résultats ahurissants. Sur les 400 candidats qui avaient leurs attestations de réussite, la moitié n’a pas suivi les cours. Et le CNE a tenu avec l’ensemble des responsables d’établissements des séances émouvantes au cours desquelles ils ont reconnu les faits et plaidé mea culpa. Ils se sont corrigés et aujourd’hui, les choses sont rentrées en ordre. Le CNE a émis des Directives encadrant la formation des enseignants dans les Ecoles Normales Supérieures publiques et privées. Le CNE suit de près la formation des enseignants.
Beaucoup de parents ont écrit à Educ’Action pour demander la position du Bénin sur l’homosexualité à l’école. Que répondez-vous ?
Cette question n’est quand même pas aussi compliquée. Sur le plan purement juridique, le Bénin a réglé la question avec le code de la famille dont l’article 123 n’envisage le mariage que comme une union entre un homme et une femme. Au niveau du mariage, le problème est donc juridiquement réglé. C’est l’affirmation formelle qui méconnait peut-être parfois la réalité pratique. A l’ombre de la loi, beaucoup d’adeptes de l’homosexualité naissent et fleurissent ! Alors, il faut faire le débat. Mais quel est notre seuil de tolérance ? Jusqu’à présent notre position est NON à l’homosexualité ! Mais il faut être vigilant.
Tous ces problèmes du système éducatif font l’objet d’une grande réforme du secteur. Pouvez-vous lever un coin de voile sur ce qui se prépare ?
La réforme lancée depuis un peu plus d’un an par le Président de la République en personne, prend en compte la quête de la qualité et du contrôle de la qualité de la formation dans les enseignements maternel, primaire et secondaire général. Il s’agira de travailler sur cinq (05) pôles.
1- la qualité de la formation initiale des apprenants et des formateurs
2- la qualité de la formation initiale et continue des formateurs et des formateurs des formateurs
3- la qualité du contenu des programmes de formation
4- la qualité des supports pédagogiques et didactiques
5- la qualité de la gouvernance pédagogique, administrative et financière.
D’ici quelques mois, des résultats tangibles seront perceptibles. Le CNE y contribue fortement.
Est-ce à cause de l’ampleur des tâches à accomplir que le CNE a une nouvelle configuration ?
On peut dire oui. Avant, il y avait 29 membres au CNE qui constituaient l’assemblée plénière avec deux sessions ordinaires par an, en février et en juillet, bien sûr des sessions extraordinaires peuvent avoir lieu en cas de besoin. Il existait un Bureau Exécutif constitué de 5 membres seulement : les deux présidents de commissions, les deux rapporteurs de commissions et moi-même. En 4 ans, nous avons rendu plus de 900 avis, produit des directives, entrepris des opérations de pacification, de correction de documents juridiques, de documents de politiques, etc. Mais, en dehors des membres du BE, tous les autres membres ont conservé leurs fonctions et doivent assumer deux fonctions avec compétence et permanente disponibilité ! Ils ne le peuvent pas malgré leur bonne volonté. Il faut, pour exécuter toutes les fonctions du CNE, des gens consacrés uniquement au CNE et quotidiennement. Il faut donc réformer la configuration du CNE sans perdre la représentativité des grands acteurs du système éducatif. C’est pour cela que nous sommes passés à un Collège de 13 membres permanents experts qui remplace le BE et à une Assemblée consultative d’environ une soixantaine de membres ; c’est un organe-conseil qui vient écouter, discuter et faire des propositions. Elle se réunit une fois par an pendant les vacances.
Quelles sont les perspectives aujourd’hui pour le nouveau mandat ?
Nous avons encore quelques grands défauts, quelques faiblesses, qu’il faut nécessairement corriger : la fiabilité des données ; vous savez qu’il faut des informations fiables pour prendre des décisions pertinentes. Ensuite, il faut achever la grande réforme sur la qualité dont je vous ai parlée plus haut et améliorer les infrastructures. Si les actions prévues sont exécutées intégralement et avec compétence, la transformation structurelle du système sera une réalité.
L’Union africaine a décrété l’année 2024 comme l’année de l’éducation pour l’Afrique. Que fait le Bénin pour marquer d’une pierre blanche cette résolution ?
Le Bénin va s’organiser. On vient de démarrer l’année. Nous avons des périodes de concertations avec les grands acteurs que nous allons mettre à profit pour analyser cette question.
Monsieur le Président, merci pour votre disponibilité.
Merci à Educ’Action pour votre engagement en faveur d’un système éducatif performant. Nous vous suivons et vous encourageons à aller de l’avant !
Réalisation Ulrich Vital AHOTONDJI