Le milieu universitaire est un potentiel nid de soulèvement, de revendication et de dénonciation d’abus de pouvoir. Les étudiants utilisent plusieurs canaux dont les réseaux sociaux pour se faire entendre et dénoncer lorsqu’ils n’approuvent pas une décision des autorités universitaires. Conscients ou non du danger, ils en arrivent à des publications souvent incendiaires et conduisant à des révoltes.
Il est 19 h ! Nous sommes à l’Université de Parakou. On y rencontre des jeunes accros des réseaux sociaux dont l’utilisation est faite parfois à des fins déplorables. L’exemple le plus patent est l’incident survenu le 15 mai 2023. Sabi (nom d’emprunt), responsable d’un syndicat d’étudiants, s’est insurgé contre la bastonnade d’un des leurs par des agents de sécurité. Pour se faire entendre, il publie sur Facebook. « L’Université de Parakou est devenue un camp militaire. Nous allons agir cette fois-ci si rien n’est fait », menace-t-il.
En l’espace de deux mois, affirme-t-il, des étudiants de l’Université de Parakou se sont vus menacés, agressés et blessés par des agents de sécurité. « Ce 15 mai 2023, un étudiant aux environs de 19 h, vers la salle 22, non loin du rectorat, s’est vu encore attaqué et blessé à la nuque par des agents de sécurité pour des raisons qu’on ignore. Si dans les soixante-douze heures qui suivront rien n’est fait, les étudiants seront obligés de choisir autres moyens pour régler ce problème », avertit Sabi.
Ces propos incendiaires et révoltants publiés sur Facebook ont suscité de nombreuses réactions, c’est-à-dire des mentions « J’aime » allant de cent (100) à cent vingt (120). Quant-aux commentaires, ils varient entre quinze (15) et dix-neuf (19). La plupart des commentaires ont participé à aggraver la situation au lieu de l’apaiser. En guise d’illustration, Clément, un internaute a réagi en ces termes : « Il y a un d’entre eux que je guette pour un règlement de compte hors de l’Université. » Tout comme Clément, Aimé, à son tour, abonde dans le même sens : « tu n’es pas la seule personne », ce qui sans doute expose clairement sa position de révolte. Lorsqu’on s’amuse à parcourir les commentaires laissés sous les publications, d’autres plus pointus se font remarquer. « Trop c’est trop. Les agents de sécurité se prennent pour des dieux à l’Université de Parakou. Vraiment, nous sommes prêts à mettre un terme à ces désordres. Walahi ! Il faut qu’on réagisse aussi », lancent Djibril, Lazare et Mounou.
Pour les responsables d’étudiants, cette forme de dénonciation serait plus efficace. C’est pourquoi, ils préfèrent emprunter le chemin le plus facile et simple. « Avec l’avènement des réseaux sociaux, cela va très vite comme une étoile filante et l’effet est immédiat », confie Carmelle, une autre étudiante. Florent, quant à lui, ne dira pas le contraire. « A plusieurs reprises, nous avons rencontré les autorités pour des situations qui sont restées sans réponses. C’est donc la meilleure façon pour nous de nous exprimer au monde entier », fait-il savoir tout en colère. L’allure que prend le contenu des différentes publications des étudiants sur les réseaux sociaux conduit inexorablement à l’extrémisme violent. Si aucune voix autorisée ne se lève pour apaiser la tension, le risque d’explosion est très grand.
L’autorité n’est pas restée bras croisés…
« J’étais très surpris… On s’est dit que chaque trimestre, on se voit. On a un cadre permanent de concertation et dans ce cadre, on parle des problèmes, des difficultés et à tout moment quand ils me saisissent, je me rends disponible… ››, s’explique, le professeur Bertrand Sogbossi Bocco, recteur de l’Université de Parakou. « L’autorité ne peut jamais donner un pouvoir destructeur à un agent de sécurité…››, défend-il à la question de savoir de qui la sécurité reçoit-elle des ordres pour exercer la force sur les étudiants. « On connait le rôle des agents de sécurité dans une structure. C’est de protéger les personnes et les biens », affirme le recteur de l’UP. Pourtant, aux dires des étudiants, les bastonnades datent de bien longtemps. Face au comportement de Sabi, responsable du syndicat ayant publié des contenus incendiaires, le recteur s’explique : « C’est toujours un service tendu entre ceux qui ne veulent pas obéir à l’ordre et ceux qui sont chargés de rappeler et de veiller à l’ordre. » Après un long moment d’échange avec le recteur, nous avons été édifiés sur l’une des probables causes de violence entre agents de sécurité et étudiants. « On s’est rendu compte que ceux qui font plus de violences, ce sont les étudiants qui sont recrutés comme agents de sécurité » A l’en croire, pour ceux qui ne sont pas des étudiants, les cas d’écart de comportement sont vraiment isolés. Aussi, ajoute-t-il, ces étudiants ne sont certainement pas bien formés pour faire le travail. « Ces étudiants, peut-être qu’il leur manque une formation adéquate, peut-être qu’ils veulent montrer à leurs camarades qu’ils sont puissants, peut-être qu’il y a des règlements de compte », martèle-t-il. Pour remédier aux violences entre étudiants et agents de sécurité, le recteur a instruit, le prestataire à encadrer et former davantage ses agents. « On lui a fait prendre des engagements pour mieux s’occuper de l’encadrement de ces étudiants, agents de sécurité. Il faut forcément qu’ils suivent une formation digne du nom et que les réunions périodiques se multiplient pour écouter les difficultés des étudiants », a-t-il précisé avant de faire remarquer que les sauts d’humeurs, les excès et les états émotionnels pourraient expliquer les violences constatées. « Il peut avoir des exagérations, on ne peut pas dire qu’à 100%, on maîtrise les humeurs, les états émotionnels, les excès », souligne le professeur Bertrand Sogbossi Bocco. Dans le règlement des conflits entre étudiants et agents de sécurité, la première autorité rectorale de l’UP a pris plusieurs initiatives.
Bertrand Sogbossi Bocco , Recteur de l’Université de Parakou
Démarches de l’autorité rectorale
Comme un médiateur dans la résolution du conflit, le recteur de l’Université de Parakou explique : « On a créé l’émission Allô étudiant à la radio Up-Fm, j’ai un numéro ouvert qui est affiché partout. Ils ont mon numéro personnel. En plus, il y a cette rencontre trimestrielle. Mieux, on a créé la plateforme de réclamation et de gestion des plaintes, autant d’outils mis à disposition et qui devraient faciliter la communication entre les étudiants et nous. » Si malgré tous ces canaux d’échanges mis en place par l’autorité, les étudiants en arrivent à ces publications, il est clair que quelque chose ne va pas. Si on ne peut pas maîtriser à 100% les humeurs et les états émotionnels, il faut repenser le mécanisme de gestion des agents de sécurité.
Règlement des conflits
Les spécialistes de la sociologie de communication recommandent, pour la résolution des mécontentements, des moyens plus paisibles. « Le dialogue pour exprimer leurs besoins avec les autorités, la correspondance, les pétitions, le sit-in mais pas mobiliser les uns et les autres pour aller faire des casses, des destructions de biens publics comme on en a connu il y a quelques années à l’Université de Parakou », propose Saï Sotima Tchantipo, enseignant-chercheur au département de Sociologie-Anthropologie. De son analyse, « les étudiants n’utilisent pas les réseaux sociaux à bon escient. Au lieu de s’en servir pour s’informer et faire des recherches pour les études, ils en font un usage pervers », déplore-t-il, avant de faire savoir que comme tout outil, lorsqu’il est mal utilisé, il perd de son utilité.
Saï Sotima Tchantipo,
enseignant-chercheur au Département de Sociologie-Atropologie
La prévention de l’extrémisme violent en milieu estudiantin passe par l’instauration d’un dialogue permanent entre représentants d’étudiants et responsables universitaires.
Jean-Luc EZIN & Yaovi Angélo HOUNDJO