La moisson est abondante ; la pêche très fructueuse ; le bateau Educ’Action peut maintenant accoster. Tout le mois d’octobre, la rédaction du journal spécialisé a cherché, fouiné et produit sur l’état de santé du modèle Licence-Master-Doctorat au Bénin après une décennie de mise en œuvre. Etudiants, enseignants des universités publiques et privées ont opiné, échouant tous sur la nécessité d’organiser des états généraux ou une assise nationale sur le LMD. Du côté du ministère de tutelle, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS), on juge aussi de la pertinence de cette demande. Le Directeur Général de l’Enseignement Supérieur (DGES) dudit ministère, professeur Issaka Youssao Abdou Karim , reconnaît humblement que des efforts sont à consentir pour améliorer le système à savoir, entre autres : renforcer le modèle LMD par la mise en place des laboratoires, des ateliers pédagogiques et des salles de cours ; des stages et des sorties pédagogiques au profit des apprenants ; le recrutement des enseignants en nombre suffisant et l’utilisation du numérique et la dématérialisation. Déjà un début de solutions que salue Educ’Action, espérant que les efforts vont se poursuivre pour la qualité du système et le profil des apprenants ou étudiants. Lisez ici l’intégralité de l’interview exclusive du DGES pour boucler notre thématisation du mois d’octobre
Educ’Action : Plus d’une décennie que le LMD est mis en œuvre au Bénin. Peut-on dire aujourd’hui que les objectifs visés sont atteints ?
Prof Issaka Youssao Abdou Karim : Le système LMD dans l’Enseignement Supérieur a été adopté au Bénin par Décret N°2010-272 du 11 juin 2010. Il a pour objectifs de faciliter la comparaison, la lisibilité et les équivalences des diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur en République du Bénin et dans les autres pays ; favoriser la mobilité des étudiants à travers l’accumulation, la validation et le transfert des crédits d’évaluation ; développer la professionnalisation des études supérieures, répondre aux besoins de formation continue diplômante en relation avec les milieux économiques et sociaux ; intégrer l’apprentissage des compétences transversales, notamment la maîtrise des langues étrangères et celle des outils informatiques ; favoriser la mobilité des enseignants au niveau sous régional, africain et international ; développer l’autonomie d’apprentissage chez les apprenants.
Au regard du niveau de mise en œuvre de ces objectifs dans nos universités et établissements privés d’enseignement supérieur, on peut dire que les objectifs visés par le LMD sont atteints.
Donnez-nous quelques éléments de preuve ou des exemples pour étayer votre argumentaire ?
Les éléments de preuve ou des exemples pour étayer notre argumentaire sont les suivants. Il y a la formation dans l’enseignement supérieur qui est organisée en trois grades : Licence, Master, Doctorat (LMD) ; les offres de formation sont orientées vers la professionnalisation ; les formations sont organisées en semestres et en unités d’enseignement ; les UE sont valorisées par le système de Crédits d’Evaluation Capitalisable et Transférable (CECT) ; chaque UE a une valeur de trente (30) crédits (1 crédit = 25h de charge totale de travail de l’apprenant en temps présentiel et en temps de travail personnel) ; le semestre compte trente (30) crédits ; la formation à la Licence est organisée en six (06) semestres après le Baccalauréat ou diplôme reconnu équivalent à cent quatre-vingt (180) crédits ; la formation en Master est organisée en quatre (04) semestres après la Licence, donc cent vingt (120) crédits. La formation au Doctorat est organisée en six (06) semestres après le Master (180 crédits).
Au regard des effectifs pléthoriques observés dans les écoles, facultés ou entités, certains enseignants et universitaires estiment qu’on n’est pas du tout dans les normes requises. Le LMD a-t-il, selon vous, une chance de prospérer face à la massification actuelle ?
Le système LMD a pour objectif d’intégrer l’apprentissage des compétences transversales, notamment la maîtrise des outils informatiques. Cet objectif va de pair avec le numérique qui est aujourd’hui indispensable à la résolution des problèmes de massification dans nos universités. A cet effet, l’utilisation de la plateforme de E-learning doit être encouragée. Dans le cadre de la pandémie de la Covid-19, le Gouvernement du Bénin a mis en place une plateforme de E-learning pour les universités publiques et mise en exploitation depuis le lundi 11 mai 2020. Cette plateforme a permis aux étudiants, enseignants, personnels administratifs et d’appui de continuer et de finir les activités de formation de l’année académique 2019-2020, sans pour autant s’exposer au risque de contamination. Plusieurs actions ont été menées pour la réussite de cette initiative avec la résolution progressive des différents problèmes rencontrés. On peut noter l’acquisition de 120 licences d’animation et de licences connexes pour le sous-système de gestion des visioconférences, l’augmentation de la bande passante des deux plus grandes universités publiques que sont l’UAC et l’UP à 100 Mbps, la mise en œuvre du Zéro rating. Le Zéro rating est un accès gratuit à la plateforme de E-learning à tous les apprenants et enseignants, c’est-à-dire pas de consommation de ‘‘Mo’’ lors de l’utilisation de la plateforme. Cet accès gratuit a été étendu aux plateformes des universités privées. Nous avons la formation des différents acteurs que sont les apprenants et enseignants, et la mise à disposition des supports de formation et des guides d’utilisation ; la réalisation et la mise à disposition de capsules vidéos sur l’utilisation de la plateforme ; la mobilisation des différents points communautaires et salles numériques ; la mise en place d’un réseau de points focaux au niveau central des universités et au niveau des entités de formation.
La mise en œuvre de cette réforme a induit un véritable changement dans les pratiques pédagogiques au niveau de tous les acteurs du système. Ainsi, dans le cadre de la résolution du problème de la qualité de l’offre éducative dans l’enseignement supérieur, le Gouvernement du Bénin a comme initiative de promouvoir le E-learning dans les facultés à grands effectifs. Pour ce faire, il est mis en place un projet de «Restructuration du sous-secteur de l’enseignement supérieur par l’utilisation des technologies numériques en République du Bénin».
L’organisation des états généraux du LMD pour faire le bilan et apporter si possible des remédiations au modèle. C’est ce que préconisent des enseignants de l’UAC interviewés. Qu’en pensez-vous ?
Pour tout système, il faut des évaluations à mi-parcours en vue de l’améliorer. L’organisation des états généraux du LMD est nécessaire pour faire le bilan et apporter si possible des remédiations au modèle.
Peut-on s’attendre à une refonte du modèle LMD comme le suggèrent des étudiants et enseignants ?
Un bilan de la mise en œuvre est nécessaire. Les points forts de la mise en œuvre de ce système pourront être renforcés et les points faibles pourront être corrigés. Le système LMD est appliqué à l’échelle mondiale et une contextualisation de ce système ne doit pas transgresser les principes de base de ce système.
Quelle transformation ou transfiguration espérez-vous de nos étudiants par le biais du LMD ?
L’objectif du système LMD est de développer la professionnalisation des études supérieures en relation avec les milieux économiques et sociaux. Nos universités publiques et établissements privés d’enseignement supérieur comptent près de 1000 offres de formation. A cet effet, les étudiants doivent faire un choix de filière en fonction des débouchés, et mettre un accent sur les stages et les sorties pédagogiques en vue de développer des compétences et être opérationnels sur le marché de l’emploi. Les étudiants doivent aussi valider des UE libres sur l’entreprenariat en vue de s’installer à leur propre compte.
Avez-vous un message pour conclure l’entretien ?
Le système LMD est appliqué sur le plan mondial et le Bénin ne peut se soustraire. Ce système doit être renforcé par la mise en place des laboratoires, des ateliers pédagogiques et des salles de cours ; des stages et des sorties pédagogiques au profit des apprenants ; le recrutement des enseignants en nombre suffisant et l’utilisation du numérique et la dématérialisation.
Qu’a-t-on fait des recommandations de Bohicon de 2016 ?
Le système Licence-Master-Doctorat qui a pris corps en 2010 au Bénin, avait pourtant bénéficié de l’écoute des enseignants et autres acteurs de réflexion du sous-secteur supérieur. Ce fut dans le cadre du séminaire-atelier national d’évaluation de la mise en œuvre du système LMD au Bénin. Un cadre de dialogue et d’échanges organisé du 12 au 16 septembre 2016 à Bohicon sur le thème «Le système LMD au Bénin, six ans après : Bilan et perspectives». Seulement aujourd’hui, c’est à croire que les pions n’ont pas beaucoup bougé. Les difficultés restent énormes et les espoirs partiellement effrités. D’où les états généraux ou l’assise nationale que les différents acteurs rencontrés dans le cadre de notre thématisation du mois d’octobre appellent de tout leur vœu. Pour vous rafraîchir la mémoire, nous vous proposons ici en intégralité les recommandations faites au sortir du séminaire-atelier pour booster le modèle Licence-Master-Doctorat. Nous étions en 2016.
1) Au niveau des problèmes pédagogiques et académiques de la mise en œuvre du LMD (Elaboration de l’OF ; Enseignement, Apprentissage, Evaluation …) :
A l’attention du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique :
– la création d’une structure nationale d’assurance-qualité ;
– la réhabilitation du service d’édition et de publication universitaire ;
– la coordination d’une description exhaustive, par chaque université, des formations existantes en vue de développer des partenariats entre elles.
A l’endroit des universités :
– la vulgarisation du système LMD auprès de tous les acteurs (étudiants, enseignants, parents, entreprises, etc.) afin qu’ils jouent convenablement leur partition ;
– la vulgarisation des textes régissant chaque niveau du système LMD au Bénin par de larges séances d’information au niveau des entités de formation ;
– l’instauration d’une inscription administrative annuelle au niveau du service central de la scolarité et d’une inscription pédagogique semestrielle au niveau de chaque entité de formation ;
– la précision du choix, en début d’inscription administrative et à chaque inscription pédagogique, entre la formation initiale (limitée à 8 semestres au maximum) et la formation continue (au rythme de l’apprenant) ;
– la détermination claire, au niveau de chaque entité de formation et à travers son règlement pédagogique, des modalités d’évaluation et de contrôle des unités d’enseignement (contrôle continu, examen terminal, autres possibilités à préciser) et des conditions de passage d’un semestre à un autre ;
– l’offre, à l’apprenant, d’une seconde chance pour la validation de chaque unité d’enseignement (modalités d’évaluation à préciser dans le règlement pédagogique de chaque entité de formation).
2) Au niveau de la gestion du système LMD
– l’information des étudiants et la formation d’enseignants aux normes du système ;
– l’harmonisation des offres de formation ;
– la construction d’infrastructures appropriées et une meilleure gestion de celles qui existent ;
– l’harmonisation des critères de validation des semestres cumulés ;
– la création d’une commission nationale de pilotage et de suivi du système LMD prenant en compte, dans sa composition, les différents acteurs impliqués ;
– l’envoi chaque année, à la Fonction publique et aux Finances d’un répertoire actualisé des diplômes délivrés dans le système LMD ;
– l’assurance d’un environnement sécurisé (présence des forces de l’ordre) à tous les acteurs du système.
3) Au niveau des défis et opportunités de la professionnalisation des formations dans les établissements d’enseignement supérieur
– l’évaluation et l’actualisation du document de vision ALAFIA 2025 ;
– la mise en application d’un plan stratégique de développement de l’enseignement supérieur ;
– la contribution à l’élaboration des plans de travail annuels des structures de planification en vue de la prise en compte des besoins en formation ;
– le lobbying auprès du Gouvernement pour ce volet du PTA ;
– l’étude du marché avant l’élaboration d’une offre de formation ;
– la formation des enseignants et des professionnels à l’élaboration des curricula ;
– le développement de partenariats entre instituts de formation en veillant à la sauvegarde des avantages réciproques.
4) Au niveau du financement de l’Enseignement supérieur
– l’expression d’une volonté politique de financement massif des universités, à travers un plan Marshall prenant en compte, à court terme, le recrutement en grand nombre d’enseignants et la construction d’infrastructures ;
– la création d’un Fonds National d’appui à l’Education (50 % pour l’Enseignement Supérieur, 30 % pour l’Enseignement secondaire et professionnel, 10 % pour l’Enseignement primaire et maternel, 10 % pour l’éducation non formelle) ;
– le lobbying auprès des Partenaires Techniques et Financiers pour la mobilisation des fonds ;
– la fin de la gratuité d’inscription dans les universités ;
– la fixation des droits d’inscription dans les universités publiques à une somme comprise entre trente mille (30.000) et cinquante mille (50.000) francs CFA, la décision finale étant laissée à la discrétion du Gouvernement ;
– l’attribution de bourses aux étudiants méritants ;
– la fourniture d’une connexion internet à haut débit à toutes les universités ;
– le vote d’une loi sur le financement de l’enseignement supérieur ;
– le lobbying auprès de l’État pour obtenir ce financement ;
– le lobbying auprès des communes pour obtenir des financements innovants ;
– l’affectation effective d’1 % du PIB au financement de la recherche ;
– le payement aux Universités des bourses complètes accordées ;
– la réservation de 5 à 10 % du budget de tous les projets de développement à la recherche dans le domaine concerné ;
– l’adoption de règles de gouvernance et de gestion du Fonds d’appui à l’Enseignement supérieur, en sécurisant ce Fonds sous forme de dépôt à terme (DAT) et en utilisant que les intérêts ;
– la recherche d’un mécanisme visant à obtenir la contribution des anciens étudiants des universités ;
– l’affectation effective de la taxe d’écotourisme à la création d’emploi ;
– le déploiement d’une stratégie de mobilisation des ressources auprès des institutions internationales ;
– l’imposition de tous les produits importés ;
– la création d’une Agence Nationale d’Appui au Développement, pour appuyer la recherche ;
– l’instauration d’une taxe sur les bilans des banques et structures d’assurance ;
– l’organisation d’un atelier avec les ministères en charge des finances, du développement et les partenaires au développement pour identifier et convaincre l’ensemble des acteurs concernés.
Réalisé par la Rédaction de Educ’Action