Professeur Jean-Claude Hounmenou, à propos de la pédagogie par l’apprentissage guidé : « La MECH est une méthode interactive pour enseigner les connaissances »

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Le cours magistral dans nos universités et écoles continue de révéler ses limites. Ainsi, il y a lieu de penser à une méthode pédagogique qui permette de mieux enseigner les connaissances. La pédagogie par l’apprentissage guidé, ou la Méthode d’Enseignement des Connaissances selon Hounmenou (MECH), c’est ce que propose désormais le professeur Jean-Claude Hounmènou, psychopédagogue et directeur du Laboratoire de Pédagogie et de Didactique des Humanités de l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo. Ce laboratoire a gagné en octobre dernier, le deuxième prix du Concours de la meilleure innovation et des meilleurs résultats de recherche, organisé dans le cadre de la deuxième édition des Journées des Sciences et de l’Innovation de l’Université d’Abomey-Calavi. Allons à la découverte de cette nouvelle pédagogie à travers cet entretien !

Educ’Action : Pourquoi cette méthode pédagogique que vous dénommez Pédagogie par l’apprentissage guidé ?

Professeur Jean-Claude Hounmènou : L’innovation est partie d’un constat que dans l’enseignement supérieur, dans la plupart des universités dans le monde et chez nous aussi en Afrique, particulièrement au Bénin, c’est le cours magistral qui est pratiquement la seule méthode par laquelle nous enseignons et dispensons nos enseignements à destination des étudiants. Or, il a été démontré à travers plusieurs recherches que le cours magistral ne donne pas de bons résultats en termes de rendement des étudiants sur des apprentissages. Le cours magistral génère plutôt beaucoup d’échecs au plan académique dans les universités. Et nous, en Afrique, nous avons fini par rejoindre le mouvement d’ensemble du système LMD (Licence Master Doctorat) qui nécessite que nous adoptons de nouvelles façons d’enseigner, d’évaluer, d’étudier pour les étudiants aussi. Et c’est en tenant compte de tous ces paramètres que, un jour, en travaillant dans ce laboratoire que je dirige, nous nous sommes rendus à l’évidence que dans le cadre des nouveaux procédés d’enseignement, il y a par exemple, l’adoption d’un syllabus, d’un support de cours, et l’obligation a été faite à la plupart des enseignants de concevoir des supports de cours pour soutenir leur enseignement. Mais malgré l’institution de supports de cours, les enseignements ont continué de se faire sous forme de cours magistral, d’exposé magistral, bien qu’on ait déjà mis des supports à disposition des étudiants. Alors comment concilier l’adoption des supports de cours avec la manière d’enseigner ? Quelle manière d’enseigner serait la plus adéquate, dès lors que des supports de cours sont disponibles, qu’il s’agisse de syllabus, de polycopies, ou même de manuels ou de livres ? C’est en réfléchissant que l’idée de la pédagogie par l’apprentissage nous est venue.
Nous avons donc analysé la faisabilité de la chose et élaboré une manière de mettre en œuvre cette méthode. Elle a donné lieu à des premières publications dans certaines revues en Afrique ici, notamment, une revue de l’Université de Lomé, la revue Transmettre qui a très bien accueilli l’innovation à ses débuts. C’est un travail qui s’est fait sur quatre ans, entre 2017 et 2021. Les premières ébauches ont fait l’objet de publications que les universitaires de Lomé ont apprécié en estimant que cette méthode était formidable. Après, il y a une revue interafricaine qui est la revue du Réseau Africain Francophone d’Education Comparée, qui a également accueilli favorablement la méthode et qui a publié un article là-dessus en 2020. Et nous avons continué à peaufiner cela avec des expérimentations, notamment pour comparer l’efficacité de la méthode conçue avec le cours magistral. Donc, nous avons recouru à des expérimentations ici à l’Ecole Normale Supérieure. Pour certains enseignements, il y a des groupes d’étudiants qui ont suivi le cours avec la méthode classique magistrale, et d’autres ont suivi avec la nouvelle méthode conçue, la pédagogie par l’apprentissage guidé, qui s’appelle aussi Méthode d’Enseignement des Connaissances selon Hounmènou (MECH), étant donné que c’est moi-même qui l’ai conçue. Quand on dit MECH, cela rappelle une citation de Socrate, grand éducateur de l’Antiquité et grand philosophe, dont nous avons retenu un dicton qui dit « l’éducation ne consiste pas à remplir des bateaux, mais à allumer une mèche ». Disons alors que j’ai conçu la MECH, je n’ai pas allumé la mèche. De toute façon, l’expérimentation a révélé que la MECH est supérieure en efficacité au cours magistral.

En quoi consiste concrètement cette pédagogie par l’apprentissage guidé ou la MECH ?

Pour mettre en œuvre la MECH, il faut bien sûr qu’il y ait des supports de cours, des syllabus, des manuels, mais la méthode est adéquate pour enseigner les connaissances. Les connaissances, c’est-à-dire des objets d’apprentissage que les apprenants peuvent restituer verbalement de mémoire. Et de quels objets d’apprentissage s’agit-il ? Cela peut être des informations isolées portant par exemple sur la terminologie, sur les faits, sur les circonstances spatio-temporelles des faits, sur les procédures, les processus, les techniques, les recettes, les méthodes, les théories et toutes autres représentations abstraites. La MECH est adéquate pour enseigner de telles connaissances. Dès lors qu’il y a un syllabus, un support de cours qui rapporte déjà l’essentiel du contenu du cours, il s’agit pour le professeur, lorsqu’il veut enseigner un chapitre par exemple, de concevoir un guide d’apprentissage à destination des étudiants. Le guide en question, c’est un questionnaire comportant une dizaine de questions qui épuisent l’essentiel du contenu informationnel du chapitre en question et qui respecte l’ordre du chapitre. En effet, il s’agit de questions directes. Lorsque le cours est programmé, au cours de la première partie, le professeur met le guide à disposition des étudiants et il leur donne comme consigne d’étudier le chapitre ou la section concernée en cherchant à répondre aux questions qu’il y a dans le guide. Donc, ce sont les étudiants qui travaillent à partir du questionnaire proposé. Et au fur et à mesure qu’ils étudient, ils doivent prendre des notes dans leur bloc-notes, dans leur cahier, de ce qu’ils ont retenu sur chaque question, ils ont une durée pour faire ce travail d’étude personnelle. Lorsque cette durée est épuisée, ils reviennent en plénière. Le professeur reprend son guide et il pose les questions les unes après les autres. Il appartient aux étudiants maintenant de dire publiquement ce qu’ils ont retenu et de partager les notions avec toute la classe. Un étudiant dira « voici ce que j’ai noté… », un autre pourrait dire « ce n’est pas exactement cela… ». C’est bien après que le professeur fait la synthèse. Il envoie le feedback sur ce qu’il fallait retenir exactement comme informations et connaissances sur la question abordée. Il fait des explications complémentaires. Et progressivement, nous abordons la question suivante jusqu’à épuiser l’ensemble du chapitre.

Quels sont les avantages de cette méthode pédagogique pour le système éducatif béninois, surtout que vous l’implémentez déjà au supérieur ?

Cette Méthode d’Enseignement des Connaissances selon Hounmenou (MECH), est utilisable non seulement dans les universités, mais également dans les classes avancées du secondaire général, technique ou professionnel. L’avantage, c’est que c’est une méthode active. Mieux, c’est une méthode interactive qui fait travailler les apprenants, qui ne les considèrent plus seulement comme des éponges qui absorbent ce qu’un professeur vient dicter comme cours. Cela les fait travailler au niveau mental, stimule leur capacité cognitive, stimule la motivation, et aussi la rétention de ce qui a été appris. C’est surtout là que les apprenants sont vraiment les artisans de leur propre apprentissage. Et tenez-vous bien, cette méthode donne de meilleurs résultats que le cours magistral. Lorsqu’on fait des évaluations, si un groupe A a appris quelque chose avec le cours magistral et le groupe B l’a appris avec la MECH, le groupe B a de meilleurs résultats que le groupe A.

Y a-t-il des outils dont nous aurions besoin pour véritablement appliquer cette méthode pédagogique de la MECH ?

Rien de particulier. Il faut faire remarquer que, bien que la méthode soit nouvelle, la communauté académique nationale, et celle académique africaine et mondiale ont reconnu l’efficacité et la pertinence de la MECH. L’étape qui doit intervenir à présent, c’est la formation. Il faut maintenant qu’on passe à la formation. Puisque cette méthode est désormais reconnue, il faut que chez nous, le Ministère de l’Enseignement Secondaire ou le Ministère de l’Enseignement Supérieur ou même d’autres institutions chargées de l’éducation mettent en place des sessions de formation à destination des enseignants pour qu’ils adoptent la MECH et qu’ils puissent commencer à l’appliquer dans les classes comme procédé d’enseignement pour enseigner les connaissances. Nous travaillons déjà à la vulgarisation de l’innovation MECH au plan international. Par exemple, la communauté scientifique internationale en a entendu parler. Car moi-même, j’ai eu l’occasion de présenter la MECH à un grand rendez-vous scientifique continental en octobre 2022. C’était au premier symposium continental africain sur la recherche et l’innovation en éducation. Et ce symposium s’est déroulé au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba en Éthiopie.

Pour cette innovation, vous venez de recevoir un prix lors de la deuxième édition des Journées des Sciences et de l’Innovation de l’Université d’Abomey-Calavi. Quels sont les sentiments qui vous ont animé à cette occasion ?

D’abord, c’est une agréable surprise. Même si en amont, mon équipe et moi avions pris toutes les dispositions pour présenter un bon dossier sur la MECH. Donc, nous savions qu’il y avait des chances que cette innovation retienne l’attention du jury. L’agréable surprise est naturellement couronnée de joie. Une joie pleine d’enthousiasme qui montre que nos efforts que nous faisons dans notre modeste laboratoire de pédagogie et de didactique des humanités à l’Ecole Normale Supérieure, ont retenu l’attention des plus hautes sommités scientifiques nationales. Je me rappelle que ce jour où, publiquement, le mérite de notre innovation est reconnu, c’est le conseiller spécial à la recherche du président de la République du Bénin, qui m’a remis ma distinction et le prix que j’ai gagné. Donc, c’était une bonne occasion. L’équipe du laboratoire est aussi très contente à la suite de cette reconnaissance qui accroît notre aura scientifique, notre réputation d’enseignants-chercheurs. De plus, cela nous donne plus de valeur, plus d’importance au plan national, au plan africain, au plan international. Je trouve que c’est un grand accomplissement à la veille de ma retraite. C’est le couronnement de ma carrière d’enseignant-chercheur, de professeur d’université. Tous les enseignants d’université n’ont pas cette joie-là. Je remercie Dieu pour avoir connu cette joie.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de vos collègues enseignants qui continuent de délivrer des cours magistraux dans nos écoles, dans nos universités ?

Ce que l’équipe de mon laboratoire et moi attendons, c’est que les gens se manifestent spontanément pour être formés à l’utilisation de la MECH et que les méthodes d’enseignement changent dans le bon sens dans notre système éducatif. Il suffit que les acteurs s’adressent à nous et qu’ils se rapprochent de l’Ecole Normale Supérieure et nous allons organiser des formations à leur intention. Pour preuves, nous avons déjà fait des formations ici à destination des collègues universitaires venus non seulement de l’UAC, mais également de l’UNSTIM pour être formés à l’utilisation de la MECH. Nous sommes vraiment disponibles à mettre en place des situations de formation pour permettre aux gens d’utiliser efficacement la MECH dans leurs enseignements.

Quel est votre mot de la fin ?

C’est d’abord de remercier la rédaction du groupe Educ’Action pour l’intérêt qu’elle a accordé à cette nouvelle de la promotion de cette innovation de la MECH par l’Université d’Abomey-Calavi et par notre système scientifique national. C’est également l’espoir que grâce à votre publication, davantage de gens connaîtront l’existence de cette méthode et voudront en savoir davantage et notamment se former, s’agissant de tous les enseignants, les universitaires comme les professeurs du secondaire général, technique ou professionnel. Tout le monde a besoin de la MECH pour enseigner les connaissances parce que c’est la meilleure façon d’enseigner les connaissances et de mettre les apprenants au travail. Pour enseigner les habiletés, ce ne sont pas d’abord les méthodes actives qu’on peut utiliser, parce que si vous voulez qu’un apprenant acquiert une capacité et une habileté, il faut d’abord qu’il y ait des démonstrations, nous devons démontrer l’habileté devant lui plusieurs fois afin qu’il observe, nous devons l’entraîner. Ce sont d’autres techniques pédagogiques qui entrent en ligne de compte, notamment la démonstration qui appelle de l’autre côté l’observation et l’imitation. Mais pour enseigner les connaissances, nous devons pouvoir laisser enfin le cours magistral pour adopter la Méthode d’Enseignement des Connaissances selon Hounmènou (MECH) encore appelée Pédagogie par l’apprentissage guidé qui a l’avantage de mettre au travail, les apprenants et de les préparer à chercher l’information pertinente dans un document.

Propos recueillis par Obed SAGBO

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