C’est un secret de polichinelle que les sujets liés à la sexualité intéressent plus que jamais jeunes et adultes. La curiosité sur ces questions dans le rang des apprenants est manifeste. Ce qui les amène d’ailleurs à souvent télécharger des images érotiques voire pornographiques. Cet épanchement précoce pour le sexe est dû à plusieurs causes et ses conséquences ne sont pas des moindres. Le professeur Yélindo P. Houessou, actuellement vice-recteur de l’Université d’Abomey-Calavi répond ici à nos questions.
Educ’Action : Qu’entend-on par film érotique et film pornographique ?
Prof Yélindo Houessou : Le film érotique décrit des rapports intimes entre un homme et une femme, mais de manière suggestive, c’est-à-dire que l’acte sexuel est simulé. La différence d’avec la pornographie, c’est qu’elle ne simule pas comme dans le film érotique ; bien au contraire, la pornographie zoome sur les organes génitaux en pleine action. Dans un film pornographique, les visages importent peu, le plus important est le sexe en action.
Aujourd’hui, les adolescents sont davantage portés vers ces images. Qu’est-ce qui pourrait justifier cela ?
Les causes de l’intérêt précoce des apprenants pour ces films sont biologiques, scolaires et sociales.
Pour les causes biologiques, lorsque l’enfant atteint l’âge de la puberté, la naissance des signes secondaires de la sexualité déclenche en lui un désir de mieux connaître son corps qui change. Des modifications s’observent aussi bien au niveau du garçon que de la fille. Et l’enfant a envie, au fur et à mesure que le temps passe, de découvrir les changements de corps au niveau du sexe opposé. C’est la raison pour laquelle, tout adolescent en pleine puberté ou croissance à un moment donné, développe des comportements de voyeurisme. Par contre, lorsque l’enfant est dans un environnement éducationnel stable et positif, il traverse ces phases sans développer des comportements pathologiques inquiétants. Biologiquement, c’est donc normal que l’enfant s’intéresse au développement du corps du sexe opposé et cherche à le découvrir. Mais lorsque l’environnement éducationnel n’est pas positif, il peut développer à ce stade, des pathologies comme un voyeurisme excessif. Lorsqu’à cette étape de sa vie, il tombe, volontairement ou non sur des films pornographiques, à priori, il est normal qu’il s’y intéresse parce que justement cela fait partie des préoccupations du moment qu’il a et qui ne sont pas toujours exprimées. Il s’y intéresse pour voir ce qui se passe, ce que son corps en changement est appelé à faire. A priori, voir un film pornographique pour un enfant, peut être un comportement normal, naturel, selon l’âge qu’il a. Mais quand il n’y a pas une éducation qui s’en suit et que l’enfant développe une addiction, cela devient un vrai problème pathologique. Un enfant soumis très tôt à cela, a des chances d’avoir une sexualité complètement dérégulée.
Pour évoquer quelques causes scolaires, il faut faire observer qu’aujourd’hui, nous avons opté pour une Approche Pédagogique basée sur les Compétences (APC), dans lequel l’enfant doit construire son savoir et faire des recherches avec les moyens modernes de communication dont l’internet. Par exemple, en physique-chimie-technologie (PCT), si vous voulez montrer aux élèves les propriétés du ‘‘nylon’’ avec lequel les femmes se tressent et que vous lui dites d’aller faire des recherches sur internet, celui-ci va innocemment tomber sur des images pornographiques car ‘‘nylon’’ est malheureusement un mot sexuellement connoté. C’est le cas des mots comme ‘‘femme’’ ou ‘‘entraineuse’’ qui proposent des liens pornographiques parmi les réponses proposées. Or, les images pornographiques sont très prégnantes car elles vous captivent complètement. Si les adultes y résistent difficilement, ce ne sont pas les enfants qui échapperont à ses emprises, eux qui sont encore très malléables. L’enfant qui découvre les images pornographiques, est à la fois choqué et subjugué par leur douce violence. A travers ces images interdites, il découvre ce que font les adultes et cela lui donne le sentiment que rien qu’en regardant, il devient adulte. Son corps changeant et ayant envie de devenir adulte lui-aussi, il continue à regarder et là il tombe accidentellement dans le piège infernal de l’addiction. Voilà comment même les modèles pédagogiques pour lesquels nous optons, détruisent nos enfants lorsque des précautions ne sont pas prises.
Et pour finir, la société a sa part de responsabilité. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que nos sociétés sont hyper sexualisées aujourd’hui. Cette forte sexualisation transparaît à travers les images publicitaires affichées ça et là, à travers la légèreté des mœurs dans les dynamiques relationnelles et la nudité des femmes, érigée en normalité, dans les clips des chansons diffusés en boucle sur les chaînes de télévision. Même les dessins animés, prioritairement destinés aux enfants, comportent de plus en plus d’allusions sexuelles et promeuvent ouvertement l’homosexualité comme droit sexuel. Par ailleurs, lorsque le niveau de vie des parents est très modeste et qu’ils sont obligés de vivre dans un espace réduit avec leurs enfants, ceux-ci découvrent très tôt les rapports sexuels simplement parce qu’ils surprennent régulièrement les parents en train d’en avoir. Pour les parents dont le niveau de vie permet la séparation claire de leurs chambres d’avec celles des enfants, il arrive régulièrement que ces derniers soient en permanence confrontés à la nudité de leurs géniteurs quand ceux-ci ne tiennent pas compte des changements physiologiques de leurs enfants. Beaucoup de mères pensent qu’elles n’ont pas besoin de cacher leur nudité à leur enfant alors que celui-ci est en puberté. Lorsque ces différentes situations sont exacerbées, elles n’aident guère l’enfant à construire sainement mais progressivement. C’est la raison pour laquelle les parents aujourd’hui ont eux-mêmes besoin d’être rééduqués. Notre système éducatif doit pouvoir proposer des repères psychopédagogiques et des comportements indiqués dans le cadre d’une éducation familiale auto-référencée.
Quelles conséquences peuvent alors découler de l’intérêt précoce des enfants pour le sexe ?
Que les causes soient biologiques, scolaires ou sociales, les conséquences sont pratiquement les mêmes. Quand il y a un intérêt précoce pour le sexe, la possibilité qu’il y ait une addiction est grande. Des étudiants m’ont déjà demandé de l’aide pour sortir de leur addiction aux films pornographiques à la suite du cours « Education et médias ». Ils m’ont avoué ne plus être soucieux d’avoir une copine car la masturbation les satisfaisait amplement. Avec la pornographie, la femme intériorise son infériorité en tant qu’objet sexuel, ce qui la dépersonnalise. La bestialité observée dans les scènes pornographiques donne aux jeunes une impression de normalité et ils tentent de reproduire cela sur leurs copines. La conséquence fondamentale de tout cela, c’est une méconnaissance totale de ce que sont le sexe, la sexualité et l’acte sexuel.
Je voudrais quand même être prudent en faisant la part des choses sur le plan pédagogique. Aucune enquête, à ma connaissance, n’a démontré qu’un jeune homme qui court après une jeune fille, ne travaille pas bien. Il y a des intuitions que…, des impressions que… Mais concrètement, le discours consistant à dire aux jeunes, d’être sourds à l’appel naturel, l’appel biologique de leurs corps afin d’être plus intelligents est un discours maladroit dans la logique d’une bonne formation psychosexuel de ces derniers. L’intérêt pour le sexe opposé à partir d’un certain âge ne rend pas incompétent, un jeune qui, à la base, est compétent. De façon générale, si une fille compétente a un dépit amoureux en cours d’année, cela devrait pouvoir se comparer à une maladie contractée qui peut faire rater quelques cours mais pas une année : il y aura une absence ponctuelle, passagère qui ne durerait pas longtemps. Au demeurant, un dépit amoureux peut forger le caractère des jeunes en les rendant moins faibles psychologiquement.
L’éducation morale et les religions abrahamiques qui font passer le sexe pour un péché, un acte mauvais et sale, sont dangereuses et maladroites pour la formation psychosexuelle des jeunes. La pression sur le jeune pour l’obliger à ne pas penser au sexe est inutile car, c’est comme chasser un naturel. Or, le proverbe ne dit-il pas que « chassez le naturel, il revient au galop ». Et Freud nous prévient que le retour d’un naturel trop contenu peut être violent (le retour du refoulé est toujours violent). Quand le naturel ne revient pas au galop, le développement des comportements pathologiques s’invite dans les rapports sociaux. Il appartient aux parents d’éduquer et d’accompagner leurs enfants à savoir comment gérer cet appel du corps. On ne peut pas mettre une croix là-dessus lorsque l’enfant entre dans la puberté. Il faudrait sans doute dire aux parents : éduquez vos enfants et laissez leurs corps s’exprimer.
Que faire alors pour aider les enfants à ne pas tomber dans ce piège ?
C’est un problème social qu’il sera difficile d’éradiquer, ça fait plus de 50 ans que les films pornographiques sont sur le marché. Le rôle des parents, c’est de veiller autant que possible et le plus longtemps possible que les enfants n’aient pas accès à ces films pour adultes, qui sont d’une violence captivante, et qui après peuvent développer une accoutumance, une addiction chez le jeune. Mais en retour, qu’ils aient accès à une éducation sexuelle. Les parents ne doivent pas réprimer l’appel du corps mais éduquer à une meilleure compréhension et gestion de cet appel du corps. Ce qui suppose que les parents soient de plus en plus ouverts mais suffisamment pudiques pour montrer le vrai chemin à leurs enfants. Les études montrent que les enfants sont particulièrement sensibles à ce que leurs disent leurs parents lorsqu’il y a une bonne dynamique communicationnelle.
Propos recueillis par Estelle DJIGRI
