Recrudescence des grossesses en milieu scolaire : 9.369 cas entre 2016 et 2020 Quelle thérapie pour inverser la courbe ?

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Les nombreuses luttes menées, ces dernières années, par les acteurs spécialisés du système éducatif béninois semblent ne pas prendre le dessus sur l’épineux problème des grossesses en milieu scolaire. Même si le ratio a fléchi, les efforts sont encore infructueux au regard des statistiques récemment rendues accessibles par l’instance appropriée du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle (MESTFP). Alors, c’est le lieu de s’interroger sur les solutions diversement proposées et scrutées pour arriver à bout du phénomène. Pour en savoir davantage, Educ’Action s’est fait proche de certains acteurs éducatifs qui continuent, in fine, de croire en la force des propositions éparses pour réduire le fléau des grossesses en milieu scolaire. Lisez plutôt !

«Ma connaissance du sexe est intervenue à l’âge de 14ans.Je n’étais qu’une adolescente qui ne comprenait encore rien. Mais c’est l’acharnement et la rigueur trop poussée de mon père qui m’ont conduite dans le piège de la grossesse. Je tiens mon père responsable de mon erreur et pour cause : mon père est l’un des rares parents capables d’espionner leurs enfants. Il avait pour habitude de nous suivre (ma sœur et moi) discrètement juste pour voir si on se rendrait au CEG le Nokoué où nous étions inscrites. Il est le genre de père qui nous reproche des choses que nous n’avions pas faites. Il m’était impossible de faire le chemin avec mes amis quand on sort de l’école. Il a toujours des gens qui lui font le compte rendu de nos faits et gestes avant même que nous ne rentrions chez nous. Lorsque je devrais discuter avec mes camarades, surtout les garçons dans mon quartier, c’est avec la lanière qu’il débarque pour me tabasser au vu et au su de tout le monde. Les gens du quartier disaient parfois qu’il en fait de trop et demandaient si c’est lui-même qui nous prendrait, moi et ma sœur, pour épouses. Pourtant, il était convaincu que c’est la meilleure manière de nous traiter afin de nous protéger des hommes. Il nous insultait et nous traitait de prostituée, je dirai de tous les noms à chaque fois qu’il nous voyait discuter même avec les tontons qu’on respectait dans le quartier. Mon père est capable de me suivre quand je dois puiser de l’eau et il le faisait effectivement et moi, je suis très têtue. Quand on dit de moi que j’ai fait quelque chose que je n’ai pas fait, je prends alors la résolution de le faire pour rassurer mes détracteurs. Je le disais tantôt, je ne savais rien du sexe même si mes camarades en parlaient beaucoup. Mais les agissements de mon père ont poussé ma curiosité. Je voulais savoir ce que mon père me cachait et c’est comme cela que j’ai connu le sexe en classe de 4ème. Ce n’est pas mon premier acte sexuel qui m’a mise enceinte, mais c’est quand même arrivé. Comme vous pouvez vous en douter, mon père m’a renvoyée de la maison. Ma mère et ma sœur ont été traitées de tous les noms d’oiseau. J’ai passé une nuit au-dehors jouxtant la voie avant que l’auteur de ma grossesse ne me retrouve. Quelques membres de ma famille ont souhaité que je revienne à la maison en attendant que l’auteur de ma grossesse ne fasse le nécessaire. C’est après six (06) mois que mon père a cessé de m’insulter réalisant enfin que le vin est déjà tiré. Comme moi, ma sœur collégienne elle aussi, est également tombée enceinte, quelques temps après ». Cette histoire réelle et enivrante est bien celle d’une jeune fille nommée Colette (prénom attribué) qui s’est ouverte à Educ’Action dans le cadre de ce travail. Elle renseigne à travers cette histoire pathétique, les raisons qui l’ont poussée vers le sexe. Ce qui n’est pas resté, précise-t-elle, sans conséquences sur sa vie. « J’ai fini par abandonner les classes et n’ayant aucune expérience dans le domaine, je suis tombée une seconde fois enceinte, un an après mon premier accouchement », informe-t-elle, attristée. A l’instar de Colette, beaucoup de jeunes filles, surtout élèves, partagent la même expérience douloureuse du sexe, avec un avenir hypothéqué pour cause de grossesses en milieu scolaire. Chaque année et depuis toujours, le milieu scolaire, qu’il soit public ou privé, est éprouvé par des cas de grossesses. Les statistiques en disent long.

Plus de 9.000 cas de grossesses entre 2016-2020

Au micro de Educ’Action, à la faveur d’une interview, Blaise Djihouéssi, directeur général de l’Institut National d’Ingénierie de Formation et de Renforcement de Capacité des Formateurs (INIFRCF), fait le constat que des milliers de cas de grossesses sont enregistrés chaque année. Avec chiffres à l’appui, le directeur Blaise Djihouessi renseigne qu’« entre 2016-2017, nous avons eu 3.045 cas de grossesses en milieu scolaire avec pour auteurs, 37 enseignants, 307 élèves et 2.701 artisans. Entre 2017-2018, la courbe a légèrement baissé. Nous avons eu 2.912 cas de grossesses en milieu scolaire et parmi les auteurs, nous avons 30 enseignants, 371 élèves et étudiants et 2.511 artisans et autres. Entre 2018-2019, on peut se réjouir de la baisse drastique. Il y a eu 1.122 cas de grossesses pour 07 enseignants, 185 élèves et étudiants et 930 artisans et autres comme auteurs ». Chiffres confirmés par le ministre Mahougnon Kakpo, lors de sa présentation solennelle, le mardi 05 janvier 2021, à l’hémicycle à Porto-Novo, devant les députés. Le ministre en charge des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle ajoute, par ailleurs, à la lumière des chiffres, que le taux de grossesses a encore, mais hélas, connu une hausse entre 2019-2020 et s’élève à 2.290 cas de grossesses malgré l’arrêt des cours observé pendant le confinement dû à la Covid-19. Une augmentation qui n’a pu être justifiée au décryptage des propos du ministre Mahougnon Kakpo. Si les causes ayant contraint Colette et même sa jeune sœur à aller au sexe sont liées à une curiosité poussée et forcée par le comportement de leur géniteur, elles sont de divers ordres dans d’autres cas et sont imputables à des acteurs bien précis.

Tous les acteurs de la chaîne éducative tenus pour responsables

Grossesses en milieu scolaire : qui faut-il blâmer ? Cette question a été posée à diverses personnes du secteur de l’éducation. Parents d’élèves, enseignants et étudiants ne manquent pas de porter le chapeau à celui qui, selon eux, est responsable de cette dérive qui bat son plein dans le système éducatif béninois. En première loge des acteurs à blâmer, les parents qui, à cause de la pauvreté, n’arrivent pas à subvenir aux besoins de leurs enfants, en l’occurrence les filles. « Un parent qui met beaucoup d’enfants au monde alors qu’il n’a pas les moyens de s’en occuper est responsable de ce fléau », soutient Apollinaire Yèbè qui fait observer que, « la fille qui a du mal à joindre les deux bouts, si elle trouve un homme qui l’aide financièrement, elle ne peut que se laisser à lui et bienvenue les dégâts ». Les propos de ce père de famille seront appuyés par ceux du jeune diplômé en communication des organisations, Fidèle Prudence Adjigbè. « Ce fléau qui accentue la déperdition dans le cercle scolaire est un sujet d’intérêt capital qui devra être considéré comme un facteur majeur d’enchainement du cycle de la pauvreté », a laissé entendre le communicant. Ce dernier pense également que la responsabilité incombe à la jeune fille car, explique-t-il, « l’adolescente enceinte est d’abord peu ou prou moralement fautive d’avoir fait une bêtise. Elle n’a pas su cerner les contours de la chose sexuelle. Pour ma part, la responsabilité incombe à la jeune fille car, il y a trop de méthodes contraceptives qui sont protectrices pour la jeune fille collégienne pour qui son devenir est le premier couplet qu’il faille exécuter à tout hymne ». Faux !, semble répliquer Pancrace Sossou-Houéssou, statisticien économiste pour qui, la fille ne saurait cerner les contours de la chose sexuelle sans l’aide des ainés. « Ce problème renvoie essentiellement à la question de l’éducation sexuelle et qui doit donner cette éducation ? Les parents sont les premiers concernés. C’est aux parents d’aborder un certain nombre de sujets sur la sexualité avec les enfants afin de les préparer efficacement à affronter la vie dans ce sens », informe Pancrace Sossou-Houéssou. Mais malheureusement, fait-il observer, dans beaucoup de familles encore, la sexualité continue d’être un sujet tabou même si entre temps, les mentalités ont évolué par endroits. Tout à fait d’accord, répond l’enseignant d’Anglais, Stéphane Yèhouénou Tessi qui se laisse entendre. « Il est vrai que l’enfant est plus influencé par ce qu’il voit et entend de ses amis, mais s’il ne reçoit pas ce qu’il faut de ses parents, il le cherche ailleurs et l’irréparable survint. Les parents sont donc à blâmer et ne doivent pas renoncer à leur rôle premier qui est de donner une bonne éducation à leurs enfants. Ils doivent démystifier le sujet et les conseiller sur les comportements sexuels à avoir pour ne pas tomber dans les pièges », a détaillé l’enseignant d’anglais.Autre acteur susceptible d’être tenu pour responsable, selon ce statisticien économiste, le système éducatif en lui-même.Pour Giscard Cakpo-Bessé, aussi bien les parents d’élèves, les élèves, les enseignants et le pouvoir public sont à blâmer. « Sont responsables des grossesses en milieu scolaire, les parents qui ignorent comment communiquer avec les enfants sur ces sujets considérés encore comme tabou. Les enfants qui, quant à eux, se laissent éduquer sur le sujet par la rue au travers des mauvaises fréquentations, l’internet, les médias et qui tentés par l’excitation dans leur ignorance, se font plaire aux enseignants et camarades garçons par des moyens provocateurs. Ceux-ci aussi dans leur inconscience, abusent de la faiblesse et de l’ignorance de leurs apprenantes, de leurs élèves, de leurs camarades », a martelé l’étudiant Cakpo-Bessé qui ajoute que : « le pouvoir public sans actions concrètes pour réguler ce phénomène à travers des lois strictes pour sanctionner les auteurs des grossesses en milieu scolaire, serait également tenu en blâme ». Les raisons des nombreux cas de grossesses en milieu scolaire sont légion et les différents acteurs de la chaîne éducative sont responsables de ce fléau qui hypothèque l’avenir des apprenantes. Mais face à cette réalité, que faut-il faire, quelles solutions apporter pour que le système éducatif béninois ne se vide pas de ses élèves filles ? Cette question trouve des réponses aussi bien du côté des acteurs éducatifs à la base que des gouvernants.

De la généralisation de l’Education à la Santé Sexuelle au port de Kaki

On ne le dira jamais assez. Les grossesses en milieu scolaire sont l’une des gangrènes dansles pieds du système éducatif au Bénin. Face à cette triste réalité qui rend l’avenir incertain pour des milliers de filles chaque année, des solutions sont proposées pour, à défaut d’éradiquer le mal, réduire le taux. Pour le Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle, la généralisation de l’Education à la Santé Sexuelle serait la solution. C’est ce qu’a annoncé Mahougnon Kakpo à l’Assemblée nationale, le mardi 05 janvier 2021. L’Education à la Santé Sexuelle, faut-il le rappeler, est un programme qui a vu le jour suite à l’amer constat du taux élevé de cas de grossesses en 2016. Blaise Djihouéssi, directeur général de l’Institut National d’Ingénierie de Formation et de Renforcement de Capacité des Formateurs (INIFRCF), dira pour sa part, que : « c’est un programme qui a un impact positif sur le fléau ». Le ministre Mahougnon Kakpo exprime également le besoin du vote d’une loi qui va permettre de sanctionner les auteurs extrascolaires de grossesses. Les représentants du peuple estiment que rendre le port de Kaki obligatoire dans toutes les écoles publiques comme privées est la solution idéale car, affirment-ils, « les uniformes des collèges privés seraient à la base de la persistance des grossesses chez les élèves malgré le combat mené par le gouvernement pour y mettre un terme ». Les acteurs à la base, quant à eux, ne restent pas indifférents à ce fléau.

Des pistes de solutions selon les acteurs à la base…

La Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT) est résolument engagée depuis bien des années aux côtés de l’école béninoise pour essayer d’éradiquer un certain nombre de fléaux qui affectent négativement le système éducatif. Les grossesses en milieu scolaire en sont un. Les acteurs des différentes organisations que comporte cette coalition n’ont pas manqué de réfléchir à comment résoudre le problème des grossesses, phénomène qui fait sortir plus tôt que prévu les filles des murs de l’école. Hervé Kinha, coordonnateur de la CBO-EPT portant la voix de toutes les organisations de la coalition, renseigne sur les solutions qui pourraient sortir l’école de cette impasse. « Pour éviter les grossesses en milieu scolaire, les parents doivent éduquer la fille sur l’importance de son corps dès sa naissance tout en lui mettant l’accent sur les parties sensibles dont il faut absolument prendre quotidiennement soin. Ils doivent accorder du temps à leurs filles à la maison pour des causeries-débats autour de l’Education à la Santé Sexuelle Reproductive. Aussi, sont-ils appelés à faire un suivi régulier de la fréquentation de leurs enfants ; se faire ami à leurs enfants en particulier les filles ; subvenir aux charges scolaires et alimentaires de leurs enfants ; privilégier des sorties en groupe de leurs enfants ; séparer les chambres des garçons de celles des filles », a proposé Hervé Kinha de la CBO-EPT. Il ajoute par ailleurs que dès les premières menstrues, les parents devront mettre en confiance la fille et mettre en place un mécanisme d’échanges permanents avec elle (les mamans ont un rôle plus déterminant à jouer à ce niveau) ; apprendre aux filles les signes avant-coureurs du harcèlement sexuel et les mécanismes d’auto-défenses et de dénonciation, pour ne citer que ces solutions. Pancrace Sossou-Houéssou, en sa qualité de statisticien économiste, va dans le même sens que le MESTFP, en faisant observerqu’il est nécessaire de mettre l’accent sur l’éducation sexuelle. « Dans les collèges, mettre en place un système d’accompagnement avec des sociologues, des psychopédagogues. Il faudra également intégrer les parents dans ce processus, les former à la bonne attitude à avoir pour la gestion des comportements d’adolescents », pense le statisticien. Un autre acteur très engagé dans la chose éducative mais qui préfère taire son identité à cette occasion, trouve que la société entière doit faire de cette question de grossesse en milieu scolaire son cheval de bataille. « C’est un grand champ à labourer et la société doit faire de cette question une cause commune, nationale. Il faut qu’ensemble, on mobilise les énergies, les différents acteurs pour faire des sensibilisations dans les écoles et en milieu d’apprentissage. « Il faut qu’à travers les statistiques, on puisse détecter les zones les plus touchées par le phénomène et organiser de véritables campagnes de sensibilisation qui pourront vraiment toucher les apprentis et apprenants. Les acteurs, les ONGs, chacun doit se mobiliser dans les zones détectées pour faire des sensibilisations quartier par quartier afin de donner directement l’information aux jeunes et adolescents ». Il pense également que ces séances de sensibilisation doivent être couplées de séances d’écoute parce qu’il pourrait y avoir des questions particulières que les élèves filles voudront poser sans être jugées. Ces campagnes, poursuit-il, doivent être menées par des acteurs autres que les acteurs traditionnels de l’école : des personnes extérieures à savoir les psychopédagogues, les psychologues, les assistantes sociales. Autres solutions proposées par ce dernier, des émissions radiophoniques de sensibilisation destinées aux parents. « Ces émissions pourront leur permettre de savoir comment encadrer leurs enfants, comment parler de sexualité et comment être plus attentif aux besoins de leurs enfants». A ce propos, il est souhaitable de l’avis de cette personne ressource que : « les politiciens ne soient pas impliqués parce que la perception qu’on a d’eux, c’est que ce sont des gens faux, des menteurs et des voleurs, des gens qui n’ont aucune morale et la vie politique est assez illustrative de ce phénomène de perte de moralité dans le milieu politique. Impliquer les politiciens serait dénaturé le combat ». La conception et la distribution des prospectus, des brochures explicatives des conséquences et des répercussions sur l’avenir de la jeune fille doivent être envisagées de son point de vue. Pour finir, face au véritable défi de la pauvreté, il préconise que déjà à partie de la classe de 4ème, on encourage les filles à mener de petites activités génératrices de revenus, afin qu’elles puissent se passer des aides venant des hommes qui en profitent pour abuser d’elles.

Réalisation : Estelle DJIGRI

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