L’humour facile, la parole toujours mesurée, le sourire généreux, le professeur émérite de philosophie des universités nationales du Bénin, a l’insigne honneur d’être désigné par le Chef de l’Etat pour diriger le Conseil National de l’Education. Un rôle de coordination du système éducatif béninois que le ministre honoraire assume, avec grande conscience et large dévouement malgré le poids de l’âge. Il revient dans cet entretien exclusif accordé à votre Journal Educ’Action, sur le rôle, la mission et les méthodes d’action du CNE. Rencontre avec un grand homme…
Educ’Action : Professeur HOUNTONDJI, que retenir lorsqu’on dit : Conseil National de l’Education ?
Professeur HOUNTONDJI : Le Conseil National de l’Education est une institution créée par la loi d’orientation de l’éducation nationale du 11 Novembre 2003, et les missions de cette institution ont été clairement définies dans cette loi. Mais le décret d’application de la loi n’a été pris qu’en Février 2009 et c’est à la suite de ce décret que le Chef de l’Etat m’a nommé en mars 2009.
Quelles sont les missions du CNE ?
Les missions essentielles du CNE sont, d’une part, de veiller au respect des grandes options éducatives du Bénin et à l’application de la loi d’orientation de l’éducation nationale, et d’autre part, de veiller à la coordination de tout le système éducatif national. Cette deuxième mission prend tout son sens dans le contexte actuel où la gestion du secteur de l’éducation est une gestion éclatée ou saucissonnée entre différents Ministères ; il y a le Ministère de l’Enseignement Maternel et Primaire , le Ministère de l’Enseignement Secondaire, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique et un quatrième Ministère qu’on oublie trop souvent qui est le Ministère de la Culture de l’Alphabétisation de l’Artisanat et du Tourisme qui a, sous son autorité, la direction de l’Alphabétisation et de l’éducation des adultes qui n’est rien d’autre que le secteur de l’éducation non formelle. Donc, la mission essentielle du CNE est une mission de coordination qui prend toute son importance dans le contexte actuel caractérisé par le saucissonnage de la gestion du secteur de l’éducation.
Quelle est méthode de travail le CNE adopte ?
Notre méthode d’action consiste à chaque fois inviter les Directeurs techniques, et autres hauts cadres des différents Ministères concernés pour les écouter, pour discuter avec eux, pour analyser avec eux, les problèmes et faire nos propositions. Le décret qui nous régit justement nous fait obligation d’adresser tous les ans au Président de la République, de faire un rapport établissant le bilan du système éducatif et pour faire un rapport crédible, nous avons absolument besoin d’entendre les cadres, les cadres en poste dans les différents Ministères et les Ministres eux-mêmes. Je signale d’ailleurs au passage que les quatre Ministres qui sont en charge des quatre sous-secteurs de l’éducation sont aussi membre de l’assemblée Générale du CNE. Mais nous sommes conscient du fait qu’ils n’ont pas toujours le temps de s’asseoir deux jours durant aux Assemblées Générales semestrielles du CNE et nous comprenons tout à fait qu’à chaque fois après la séance d’ouverture qu’il se fasse représenter.
Depuis 2009 à ce jour, quelles sont les actions phares qu’on peut compter au mérite du CNE ?
Le CNE n’est ni un Ministère ni à plus forte raison un super ministère. Nous gardons le profil bas. Nous laissons au Ministre toutes les actions opérationnelles dont ils ont la charge. Le CNE est et se comporte avant tout, comme un laboratoire d’idées et notre mission essentielle est une mission de coordination et c’est dans ce cadre que depuis quatre ans et demi que nous sommes en place, nous nous sommes employés à repérer les problèmes, les difficultés souvent non aperçues ou difficilement perceptibles par les Ministres et par les hauts cadres des Ministères directement engagés dans les actions et confrontés jour après jour, aux difficultés propres à l’opérationnel. Nous avons identifié un certain nombre de problèmes, comme par exemple, la question des langues maternelles. Nous avons effectué en 2010 une tournée dans les Ecoles Normales d’Instituteurs ; nous nous sommes à chaque fois amusés à demander, entre autres, combien d’élèves instituteurs ou élèves professeurs savaient lire et écrire dans leurs langues maternelles! il y en avait toujours moins de 10%, il y en avait en moyenne 5% et l’idée nous est venue qu’il serait bon que chaque enseignant sache au moins lire et écrire dans sa langue maternelle, et des expériences ont été faites dans divers pays qui montrent que quand on sait lire et écrire dans sa propre langue on apprend beaucoup plus facilement et on maitrise beaucoup plus rapidement les autres langues d’où la proposition que nous avions faite de mettre en place un vaste programme de formation des enseignants y compris des quarante deux milles instituteurs que nous avons au Bénin, à la lecture et à l’écriture de leurs langues maternelle. Nous pensons que ce serait une action absolument fantastique qui changerait considérablement le paysage éducatif du Bénin. Autre exemple , nous avons observé entre tout autre chose au cours d’une réunion interministérielle que nous avons organisée dans la salle de conférence du CNE, le 08 février dernier que l’application des nouveaux programmes d’études posait énormément de problèmes. Et elle posait tellement de problèmes que les concepteurs eux-mêmes ont cru devoir, à un moment donné, formuler des mesures correctives en Français et en Mathématiques. Parmi les mesures correctives, il y a l’exercice de la dictée rendue obligatoire selon des modalités qu’on peut encore discuter. Nous avons encore discuté au cours d’une réunion que nous avons tenue avec les cadres des ministères directement concernés qu’il serait bon de veiller à ce que l’épreuve de la dictée soit effectivement rétablie et que l’enseignement systématique de la grammaire soit effectivement rétablie et nous avons dit que le meilleur moyen de contrôler cela était de faire en sorte qu’ au Certificat d’Etudes Primaires et au BEPC session de juin 2014, eh bien il y ait une épreuve obligatoire de dictée suivie de questions de grammaire. Avons-nous été entendus, je n’en sais rien, je ne suis pas sûr que nous ayons été entendus. Nous avons écrit bien entendu aux Ministres compétents et nous attendons toujours la réponse. Voyez-vous c’est un exemple qui montre le genre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Nous avons besoin de beaucoup de persévérance, de beaucoup d’esprit de suite pour arriver à réaliser quelques petites choses. Toute la question des programmes d’études actuelles et l’approche dite par compétence a fait l’objet justement d’un des douze ateliers que nous venons d’organiser en préparation du 2ème forum national de l’éducation.
Est-ce que vous n’avez pas le sentiment que les maux sont les mêmes et que finalement les solutions proposées par les cadres que vous regroupez ne sont pas toujours suivies ?
Il faut investir ; nous sommes un petit pays avec beaucoup de problèmes. Il faut engager une somme d’énergie absolument fantastique pour régler les petits problèmes. Il ne faut pas se décourager. Un forum national sur le secteur de l’éducation a été organisé en février 2007. Le conseil national de l’éducation n’était pas encore en place. Alors au terme de ces quatre années d’expériences, au terme des nombreux constats que nous avons fait, au terme des analyses que nous avons conduites, nous avons proposé qu’un deuxième forum national de l’éducation soit organisé courant 2013, six ans après le premier. Nous avons été heureux que le conseil des ministres en sa séance du 20 février dernier ait adopté cette idée. Les dates retenues étaient la période du 07 au 09 novembre, et deux semaines avant, le jeudi 24 octobre, il a été annoncé que le deuxième forum était reporté. Au conseil national de l’éducation, nous sommes prêts ; mais nous mettrons à profit le délai supplémentaire créé par ce report pour augmenter, pour enrichir, pour compléter notre information et affiner nos analyses sur les problèmes transversaux que nous avons identifiés comme les plus importants.
Le deuxième forum donnera certainement lieu à de nouvelles recommandations. Le CNE a-t-il les moyens aujourd’hui, d’exiger l’application de ces recommandations ?
Tout ce que peut faire le Conseil national de l’Education est d’attirer respectueusement l’attention du président de la République sur un certain nombre de questions et de lui soumettre des recommandations. Vous pouvez compter sur moi, en tout cas, parce que le Président m’a fait confiance et m’a fait l’honneur de me nommer président de cette institution tout en sachant qui j’étais. Vous pouvez me faire confiance pour le harceler tant que je serai convaincu qu’il est nécessaire de faire telle chose ou telle autre. Après avoir écouté, après avoir largement écouté les ministres concernés, les hauts cadres des ministères directement concernés, je conçois le conseil national de l’éducation comme un lieu d’écoute et de libre discussion. Je le conçois un peu, je vous l’ai dit tout à l’heure comme un laboratoire d’idées où chacun doit mettre son amour propre dans la poche et accepter la critique et l’auto critique constructive pour dégager ensemble les meilleures solutions possibles pour le système éducatif. Mais le CNE n’a aucun pouvoir de coercition ; il n’est pas dans l’opérationnel, non. Il fait des recommandations, il fait des propositions. Mais c’est déjà une bonne chose qu’il existe dans le pays, par rapport au système éducatif, une institution de veille qui a pour mission de coordonner tout le système éducatif. Et si les uns et les autres acceptaient cette mission de coordination dévolue au CNE, eh bien, nous aurions fait un grand pas en avant. Merci à vous.
Propos recueillis par Ulrich Vital AHOTONDJI