Répression des auteurs de grossesses en milieu scolaire : La résignation des parents comme obstacle à l’application des textes punitifs

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Les grossesses en milieu scolaire sont, de tout temps, considérées comme un fléau qui prive l’école béninoise de ses filles. Face à une telle réalité qui s’assimile à une injustice vis-à-vis de la gent féminine scolaire, Educ’Action s’est préoccupé du sort réservé, du point de vue juridique, aux auteurs des grossesses sur mineure ou apprenante. Hélas, il ressort des investigations qu’en dépit de l’existence des textes de lois, leur application rigoureuse contre les auteurs peine à se matérialiser à cause de la complaisance des parents ou parfois de leur complicité avec les auteurs. Enquête !

9.369. C’est le nombre de cas de grossesses recensés dans les établissements secondaires du Bénin de 2016 à 2020. Ces chiffres ont été annoncés par Mahougnon Kakpo ministre des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle, lors de sa présentation du mardi 05 janvier 2021 à l’hémicycle à Porto-Novo, devant les députés, pour ainsi montrer l’un des défis que doit relever le système éducatif béninois.Ces chiffres seront davantage détaillés par Blaise Djihouessi, directeur général de l’Institut National d’Ingénierie de Formation et de Renforcement de Capacités des Formateurs (INIFRCF), qui élucide sur les auteurs des grossesses. «Entre 2016-2017, nous avons eu 3.045 cas de grossesses en milieu scolaire avec pour auteurs, 37 enseignants, 307 élèves, 2.701 artisans. Entre 2017-2018, l’effectif des auteurs a été réduit mais pas considérablement. Nous avons eu 2.912 grossesses en milieu scolaire et parmi les auteurs, nous avons 30 enseignants, 371 élèves et étudiants et 2.511 artisans et autres. Entre 2018-2019, il y a eu 1.122 cas de grossesses dont 07 enseignants, 185 élèves et étudiants et 930 artisans et autres comme auteurs», a-t-il précisé pour ce qui est des années 2016 à 2019. Ainsi, enseignants, élèves, étudiants et majoritairement artisans et autres sont assis au banc des accusés. Ils doivent conformément aux dispositions juridiques en vigueur au Bénin, répondre de leurs forfaitures.

De l’existence des textes punitifs des auteurs de grossesses

Les dispositions légales, aussi bien nationales qu’internationales, reconnaissent à l’enfant (mineur) le caractère d’une personne sacrée, inviolable. Ce qui impose à l’Etat une obligation de respect et de protection vis-à-vis de l’enfant. L’Etat se doit donc de le protéger contre tout ce qui pourrait être un handicap à son développement humain, harmonieux et durable. Plusieurs textes de lois sont donc votés pour protéger le mineur contre tout ce qui pourrait le nuire sur divers plans dont les grossesses en milieu scolaire. En effet, « dans la construction des normes juridiques relatives à la protection des enfants mineurs contre les grossesses aussi bien en milieu scolaire que dans d’autres milieux, le législateur a pris des dispositions, aussi bien les lois stricto sensu (les lois ordinaires) que les textes réglementaires », déclare à Educ’Action Erick Martial Hachémé, juriste, spécialiste en protection des droits de l’homme et de l’enfance à la direction des droits humains et de l’enfance. Au nombre des lois stricto sensu évoquées par le juriste, il y a la loi n° 2011-26 du 09 janvier 2012 relative à la prévention et à la répression des violences faites aux filles ; la loi n° 2015-08 portant Code de l’enfant en République du Bénin, adoptée le 15 janvier 2015 et promulguée le 08 décembre 2015 et la plus récente, la loi n° 2018-16 du 14 janvier 2019 portant Code pénal en République du Bénin. La directrice de la Famille, de l’Enfant et de l’Adolescent au Ministère des Affaires Sociales et de la Micro finance, Grâce Carine Kouton, ajoute à cette série de lois, la loi n° 2006-19 du 05 septembre 2006 portant répression du harcèlement sexuel et protection des victimes en République du Bénin.
Quant aux textes réglementaires, les deux cadres de la protection de l’enfant citent l’arrêté n° 2015-154 portant sanctions infligées aux auteurs de violences sexuelles dans les établissements publics et privés d’enseignement général, technique et professionnel, signé le 17 mars 2015 puis modifié en 2016, devenu arrêté n° 2016-154 du 31 mars 2016 portant sanctions à infliger aux auteurs de violences sexuelles dans les établissements publics et prives d’enseignements secondaire général, technique et professionnel, notamment en ses articles 19 à 24. On peut également citer l’arrêté n° 2015-501/MESFTPRIJ/CAB/SGM/DPS/SA du 17 décembre 2015 portant institution de la Charte de bonnes pratiques pour la protection des élèves contre les abus sexuels. A en croire Erick Martial Hachémé, ces deux arrêtés sont ajoutés à la liste des lois parce que les violences sexuelles ont, des fois, pour conséquence les grossesses. Il indique au travers d’une interview le jeudi 04 février 2021 que : « tous les textes parlent des préventions, des répressions. Mais nous allons mettre le focus sur la loi n° 2015-08 portant Code de l’enfant. En son article 180, ce code stipule que l’enfant mineur de sexe féminin doit être protégé contre toute grossesse jusqu’à l’âge de 18 ans. La grossesse est interdite chez l’enfant mineur. »

Des sanctions punitives…

Vêtu d’une tenue locale Bohoumba au fond bleu, le spécialiste de la protection des enfants n’a pas manqué de renseigner sur les sanctions que courent les auteurs de grossesses sur filles mineures. « Toute personne qui aurait enfreint aux dispositions de l’article 180 sera seule responsable des conséquences. A ce propos, cette personne doit veiller sur la grossesse jusqu’à terme. Elle doit veiller sur la fille jusqu’à l’âge de 18 ans, elle doit veiller sur la santé de la fille. Elle doit s’occuper des frais occasionnés par la grossesse et doit s’occuper de la fille et de l’enfant qui va naître de cette grossesse. L’auteur de grossesse doit veiller sur la fille pour qu’elle puisse poursuivre ses études. La loi en elle-même est suffisamment claire », fait-il remarquer. Nul doute alors que les textes existent bel et bien en République du Bénin pour punir les auteurs de grossesses sur mineures. Mais la population est-elle suffisamment informée sur ces textes afin de faire la démarche nécessaire et aider à leur application stricte ?

Analphabétisme comme frein à l’application des textes

« La vulgarisation de ces textes se fait chaque année tant dans le milieu éducatif qu’en communauté par le personnel qualifié des Services Sociaux Spécialisés et des Centres de Promotion Sociale », martèle Grâce Carine Kouton, Directrice de la Famille, de l’Enfant et de l’Adolescent (DFEA). D’une taille forte enveloppée d’un corps à la peau claire, elle rassure de ce que l’Etat met, chaque année, à la disposition de ces services cités, des moyens appropriés pour la vulgarisation. Propos approuvés par le juriste Hachémé qui, cependant, fait observer un facteur qui constitue un handicap à la vulgarisation des textes de lois.« Je dirai que le Bénin a une particularité. La vulgarisation se fait, mais il se pose également un problème de lecture. Nous avons une population analphabète à près de 90%. Les intellectuels qui doivent lire et faire des relais, ne le font pas. Donc, il faut changer de méthode de vulgarisation. Les gens ont compris et le font par des sketchs, des affiches, un certain nombre de mécanismes pour porter le message aussi loin. Cependant, j’ai l’impression que les gens viennent écouter attentivement mais l’instant d’après la vulgarisation, ils se penchent encore sur d’autres problèmes qu’ils supposent être prioritaires », a expliqué l’homme de droit tout en reconnaissant qu’un travail reste à faire ; des réflexions doivent être menées afin de faire bouger les lignes pour une application stricte et rigoureuse de ces lois en vigueur contre les auteurs de grossesses en milieu scolaire. S’il est vrai que les textes existent et n’attendent que d’être appliqués, il n’en demeure pas moins que certaines pratiques ne permettent pas leur application.

Le refus de dénonciation des parents : l’autre blocage

Au cours d’une de ses descentes dans les établissements publics dans le cadre d’autres travaux, Educ’Action a été témoin d’une discussion entre le directeur d’un établissement public et un parent d’élève accompagné de sa fille, devenue nouvellement maman. Suite à la question du directeur demandant si une plainte a été déposée contre l’auteur de la grossesse de la jeune fille, voici la réponse du parent d’élève : « Directeur, pardon je ne veux pas me mettre dans ça. Si l’homme va en prison, cela suppose qu’il va perdre son travail. Qui va prendre soin de l’enfant dans ce cas ? J’ai déjà du mal à prendre soin de ma fille, une autre charge serait de trop. Au moins, l’auteur de la grossesse prend soin des deux et ma fille reprend l’école, c’est déjà bien », a expliqué résigné le parent d’élève, refusant de porter l’information devant les instances judiciaires compétentes.
L’attitude de ce parent d’élève s’observe dans la majorité des cas, informent les deux responsables de la protection des enfants rencontrés. « Ma direction est confrontée au manque d’informations et à l’insuffisance de dénonciations. Si nous sommes au courant des faits, nous donnons le meilleur de nous-mêmes, en collaboration avec d’autres services compétents pour que les auteurs soient punis », a laissé entendre la DFEA. Erick Martial Hachémé dira, lui aussi, que certains pesanteurs sociaux ne favorisent pas parfois l’application de la loi. Entre autres pesanteurs, le manque de la culture de la justice, la résignation, le refus de dénonciation. « Parfois, les parents prétendent connaître la personne qui est l’auteur de la grossesse. Ils disent que c’est l’enfant de telle personne donc, ils ne peuvent pas mener une action en justice et ils étouffent le sujet. Il y a aussi que certains parents, du fait de la pauvreté, refusent de dénoncer l’homme sous prétexte qu’il entretient la famille. La fille même dit que c’est son copain », a exposé le juriste Hachémé.
Le manque d’informations sur les procédures de dénonciation et d’accompagnement des victimes ; la peur de représailles ou de discrimination de la victime par les pairs et les parents de l’auteur puni ; la précarité des conditions de vie qui fait qu’on préfère protéger l’auteur afin qu’il assume ses responsabilités parce que les parents se demandent qui va prendre en charge la grossesse et le nouveau-né au moment opportun ; l’assurance d’un bon parti pour leurs enfants, certains parents estimant que leurs enfants ont trouvé la bonne situation de vie, sont autant de raisons qui, selon la directrice de l’enfant et de l’adolescent, sous-tendent le refus de dénonciation. Néanmoins, le spécialiste de la protection des enfants, Erick Martial Hachémé rassure de l’application des textes dès que le problème est porté à l’attention des personnes avisées. « Pourquoi a-t-on généralement l’impression qu’il n’y a pas eu justice dans ce domaine ? Je dirai qu’il faut voir le sujet sous deux angles. Le premier est qu’au niveau des établissements, il y a ce que nous appelons les sanctions administratives qui se font régulièrement par les directions départementales ou au niveau du cabinet du ministre mais qui ne sont pas publiées. J’en veux pour preuve le fait qu’on lise sur les réseaux sociaux que tel directeur ou enseignant a été relevé de ses fonctions pour avoir enceinté une élève », a-t-il expliqué.

L’espoir est permis…

Par ailleurs, il précise qu’une procédure judiciaire peut être engagée au-delà des sanctions administratives. Lesquelles sanctions entraînent souvent la prison. Aussi, informe-t-il, que le SIDOFFE nouvelle génération mis en place par le Ministère des Affaires Sociales et de la Micro finance ainsi que le Système Intégré de Production d’Analyse de Données Statistiques sont des plateformes qui renseignent sur les statistiques des personnes poursuivies. Tous les deux cadres de la protection des enfants restent convaincus que l’éradication de ce fléau qui rend l’avenir incertain pour certaines jeunes filles, a des chances de prospérer à partir des mesures répressives prises contre les auteurs des grossesses. Ils ne manquent pas d’informer sur la démarche à suivre pour dénoncer.

De la procédure de dénonciation à adopter…

« Le gouvernement a mis en place le numéro 138 qui est la Ligne d’Assistance aux Enfants (LAE). C’est une ligne gratuite, qu’on peut appeler dans l’anonymat et avoir automatiquement des conseillers qui diront quoi faire afin que le cas soit traité avec diligence, célérité pour décourager ce genre de chose. Aussi, l’Unicef a-t-il aidé le gouvernement dans la mise en place d’un mécanisme de référencement composé des chefs religieux, des élus locaux, des médecins, les Centres de Promotion Sociale (CPS), l’Officier de Police Judiciaire et un juge des mineurs dans chaque commune pour permettre à un individu lambda ayant connaissance d’un cas, d’alerter en cas de besoin », a informé Erick Martial Hachémé qui précise que la généralisation du mécanisme de référencement reste à faire dans toutes les communes du Bénin.
De son côté, Grâce Carine Kouton martèle que la « dénonciation peut se faire, d’une part, au niveau du personnel administratif et/ou enseignant des établissements qui ont l’obligation de ne pas étouffer les faits. D’autre part, la dénonciation peut se faire au niveau des Centres de Promotion Sociale installés dans chaque commune du Bénin. La dénonciation peut se faire également au niveau des Services Sociaux Scolaires qui sont des structures spécialisées du Ministère de l’Enseignement Secondaire chargées de l’accompagnement psychosocial des élèves et autre personnel confronté à des difficultés de tout genre ou auprès des comités de veille de chaque établissement ».
Cela dit, chaque acteur de la justice, des services sociaux, de l’éducation et les parents d’élèves ont un travail à faire pour réduire progressivement le nombre de victimes, à défaut de l’éradiquer. Pour ce faire, nul n’est censé ignorer la loi, dira Hachémé.

Estelle DJIGRI

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