Requiem pour ma grand-mère

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Le mois de novembre reste pour moi, une période de grande mélancolie sinon de réflexion intense sur l’immensité de notre finitude, têtue, exaspérante et incontournable. C’est le moment de passer en revue la liste des chers êtres disparus et lorsque vous avez fini d’enterrer père et mère ; beau-père et belle-mère, vous vous demandez si vous ne venez pas de vous positionner sur la liste !
Comme le souligne un passage du psaume 90 : les années augmentent et « leur nombre n’est que peine et mécompte ». Tout ceci ne prête guère à sourire mais, en même temps, la véritable évocation de ces êtres chers dans des moments de solitude voire dans le groupe familial, nous ramène à quelques traits de leurs esprits ou de leur caractère qui nous avait marqués.
La première chose qui a déclenché quelques souvenirs heureux chez moi, ce sont les posts de quelques ahuris et autres dévergondées qui, dans l’air du temps, ont mis sur leurs statuts, des dizaines d’émojis en pleurs avec des sous titres fleuris, émaillé de fautes et d’incorrections sinon d’incongruités. Une de ces sottes n’ayant pas encore perdu ses parents s’est écrié : « Ma tante ; tu nous manque trop tôt » ! Ces âneries ont tôt fait de me rappeler non pas mes ascendants directs mais ma grand-mère ; vendeuse réputée de sodabi devant l’Eternel. Et qui, pourtant, n’en buvait pas.
Lorsqu’elle daignait venir nous visiter, c’était dans le but de récupérer des fonds pour renflouer son commerce de la divine boisson qu’aucun whisky, quelle que soit sa qualité, n’a jamais égalé ! Hommes de peu de foi ! Vous n’aviez jamais bu cette eau chaude et forte de ma grand-mère qui réveillait les sens. Trop tard. Je vous aurais convaincu en soulignant qu’elle vivait dans un hameau tout près du village célébrissime de « Gogotinkponmè » dont l’évocation réveillait les corps, les cœurs et autres fantasmes. Avec le temps, je me demande si la distribution régulière et quasi gratuite de ce sodabi spécial n’explique pas le dynamisme de ce peuple tant en termes de culture que de peuplement. Il y a là une corrélation évidente à identifier par les chercheurs.
Car ma grand-mère surnommée « Tassi » par la population vendait son sodabi 24 heures sur 24. Il faut avoir vécu cela pour croire. Les habitués venaient taper à sa porte même à deux heures du matin, s’asseyaient et vidaient quelques verres. Ensuite se levaient et s’en allaient en demandant à leur « Tassi » de mettre la note sur leur ardoise déjà illisible. Comme la quasi-totalité semblait être ses neveux et autres cousins, c’était une affaire de famille.
Arrivé à Cotonou, un combat titanesque commençait avec ses enfants : encore de l’argent pour acheter du sodabi ? Où sont le produit des ventes et le bénéfice ? Quel est votre problème dans ma vente et les bénéfices. Je vendais avant de vous enfanter ! Vous n’allez quand même pas m’apprendre à faire mon commerce ? Et pourquoi alors as-tu besoin de nous ? Alors vous vous liguez contre votre vieille mère pour peu d’argent ! vous aurez ma mort sur la conscience ! Invariablement, elle regagnait son logis avec de quoi faire le plein de ses dames jeannes.
Pendant ces quelques jours, elle prenait le temps de me martyriser physiquement et mentalement lors de sa séance de petit déjeuner. Elle estimait que j’étais le mieux placé pour la servir ! Et j’assistait alors à ce rite paradoxal qui durait au moins deux heures. Après être assuré que les ingrédients étaient prêts : pain, cacao, lait etc. on démarrait par le choix de la tasse. Vous deviniez que ce n’est pas une tasse ordinaire ! Elle devrait être large pour contenir tout et surtout l’ensemble du pain. On partait d’une eau chaude ; on commençait à mettre les ingrédients, on y découpait dedans au minimum une baguette et on s’occupait avec la cuillère de bien les enfoncer pour recueillir assez du mélange. Le temps de finir de bien tremper tout cela le thé était parfaitement froid. Me perdant en conjectures, je posais toujours la même question : mais pourquoi avoir chauffé l’eau. Je recevais toujours la même réponse : petit impertinent !
Enfin, au bout d’une éternité, quand elle eut terminé de prendre ce fameux déjeuner, elle finissait, dans un soupir de satisfaction par dire : rien ne vaut quand même ma bouillie du village !
La morale de cette histoire pose une simple question : est-ce que ma grand-mère était simple d’esprit pour distribuer gratuitement son sodabi ? Mais non ; elle n’était pas dupe mais avait une famille à préserver et à promouvoir !

Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe

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