Entrer en possession de ses actes académiques n’est pas chose aisée pour les étudiants de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH) de l’Université de Parakou (UP). Depuis que le Ministère de l’Enseignement Secondaire a lancé le concours pour les Aspirants au Métier d’Enseignant (AME), auquel ils sont majoritairement intéressés, ces derniers ont pris d’assaut le décanat de leur faculté. Les autorités décanales, se retrouvant dans une situation délicate, tentent à tout prix de les satisfaire, une tâche loin d’être facile.
Malgré les menaces de dame nature, les étudiants sont déterminés. Leur objectif est clair : obtenir leurs relevés de notes, attestations de validation de Licence et autres pièces académiques essentielles, afin de participer au concours d’Aspirants au Métier d’Enseignant (AME). Mais sur leurs visages, c’est l’inquiétude et l’incertitude qui se lisent. Venus de différents départements de la FLASH, ils restent concentrés, chacun, selon la position qui lui est confortable. Certains, assis sur des briques cassées, d’autres adossés contre le mur de la clôture de l’université, ou encore debout, tous prêtent une oreille attentive à la lecture des noms, interrompue par moments. « Il faut s’inscrire sur une liste d’abord. C’est en fonction de cette liste qu’ils vont fouiller et venir lire les noms », explique un étudiant à un autre qui cherche à s’informer. Au même moment, un autre étudiant non identifié dans la foule, s’exclame : ‹‹ Non hein, la liste là ne sert à rien finalement. Il faut attendre et espérer. ›› Avec un peu de chance, ceux qui ont été servis s’en vont tout joyeux, tandis que ceux dont les noms n’ont pas été appelés, se rassoient, pensifs et impatients.
Des lots d’attestations de Licence non retirées
Le nombre d’étudiants demandeurs grimpe
Dans le lot, une file interminable d’étudiants continue de se former pour déposer les demandes de retrait des actes académiques, devant une fenêtre du secrétariat du décanat, spécialement ouverte pour l’occasion. De l’intérieur, une voix donne des instructions sur l’ordre et la disposition des pièces à fournir : « Suivez très bien ! Voici l’ordre pour disposer vos dossiers. Si quelqu’un ne suit pas l’ordre, son dossier sera rejeté. » Soudain, les étudiants se remettent à vérifier l’ordre des documents et les pièces qu’ils ont fournis. Ceux qui n’ont pas bien entendu les consignes se renseignaient auprès de leurs camarades pour se mettre au pas. Dans la foule, une étudiante en deuxième année de Lettres Modernes, ayant requis l’anonymat, explique la raison de sa présence : « Je suis là depuis 7 heures pour faire la demande de mon attestation de Licence 2 et retirer mes relevés de notes pour le dépôt des dossiers au test d’aspiranat, mais il y avait trop de monde et, en plus, ils n’ont pas ouvert tôt. Beaucoup ont même perdu espoir ; ils sont simplement là, mais pas sûrs de pouvoir retirer leurs documents », a-t-elle relaté. Concernant le dépôt, elle ajoute : « Nous sommes dans un rang, et nous passons par la fenêtre derrière le décanat pour déposer. Je veux effectuer le retrait pour passer le concours des AME. Mais je ne suis pas encore satisfaite. Je doute même de pouvoir retirer mes documents à temps. » Tout comme elle, Darri, est aussi étudiante, mais en troisième année d’Espagnol. Elle est également présente pour le retrait de ses actes académiques. Cependant, elle ne peut pas participer au concours des AME, faute de soutenance a-t-elle dit : « En Espagnol, ils nous ont exigé la Licence pour le dépôt, mais les soutenances ont été supprimées. Nous n’avons pas la Licence, donc nous ne pouvons pas postuler » confie-t-elle, visiblement préoccupée. Elle ajoute en expliquant : « J’étais venue au début du mois pour déposer les pièces demandées, on m’a dit de revenir en septembre. Deux semaines plus tard, une note sort du décanat stipulant que les retraits prennent fin aujourd’hui, mais à voir l’affluence ici, cela ne semble pas être le cas. La majorité est là pour le test des aspirants ».
Beaucoup d’autres étudiants partagent le même sort. Christophe a déjà soutenu sa Licence depuis 2022. Il fait savoir qu’il a déposé sa demande le 2 octobre 2022, mais jusque-là, il n’est toujours pas satisfait. « Je n’ai reçu que mes relevés de notes sans l’attestation qui est nécessaire pour postuler au concours des AME. Je fais des va-et-vient, mais rien jusqu’à présent », déclare-t-il triste.
D’autres étudiants effectuent le dépôt à l’arrière du décanat
Des raisons de non-satisfaction des demandeurs d’actes
Wilfried Tolokin est le président de l’Union Nationale des Étudiants de l’Université de Parakou (UNEUP). Rencontré sur les lieux, il n’a pas hésité à se prononcer sur la question. Avec cette affluence, martèle-t-il en tendant la main vers la foule d’étudiants, il serait difficile de satisfaire tout le monde, mais le décanat fait de son mieux pour y arriver. Néanmoins, il reconnaît qu’il s’observe quelques fois, une lenteur administrative au niveau du service de la scolarité de la FLASH. Pour lui, cette lenteur se justifie par l’insuffisance du personnel disponible face à l’effectif des étudiants de la FLASH. « Nous faisons plus de la moitié de l’Université. Je dirai que le personnel pour faire le travail n’est pas suffisant », a-t-il laissé entendre, avant de pointer du doigt, les étudiants eux-aussi qui ne facilitent pas la tâche au service administratif. « Il y a en qui ne viennent pas chercher leurs actes, parce qu’ils avaient fourni des numéros qui, au fil du temps, ne sont plus fonctionnels. Dans ce cas, les messages envoyés ne leur parviennent pas. On les contacte en vain », a-t-il expliqué. Il finit par saluer la disponibilité des membres du décanat qui malgré leurs congés, ont accepté se sacrifier pour satisfaire les étudiants dans le besoin urgent. Selon les informations obtenues du représentant des étudiants, la doyenne de la FLASH a mis en place un dispositif pour permettre de traiter les demandes d’actes académiques. Ce qui sera confirmé par Abikou, un étudiant en Lettres Modernes rencontré sur les lieux, « Le décanat a mis en place un dispositif pour nous satisfaire, mais je ne suis pas encore servi. Nous espérons que ce dispositif soit efficace », a-t-il souhaité. Mais de quel dispositif s’agit-il ? Comment fonctionne-t-il ? Parviendra-t-il à répondre à tous les besoins ?
Les autorités décanales à la rescousse des étudiants
Pour faire face à l’afflux de demandes de retrait des actes académiques, en vue du concours des AME, les autorités décanales de la FLASH ont pris des mesures. Reste à savoir si ces dispositions seront efficaces et pourront satisfaire les étudiants dans ce contexte critique. Dans une interview accordée à un média local, la doyenne de la FLASH, la Dr Clarisse Tama Imorou, a expliqué la mise en place d’une commission ad-hoc chargée de traiter les demandes. Cette commission est constituée de quatre membres dont deux du personnel administratif de la FLASH, une personne ressource d’appui et un autre administratif d’une entité sœur de l’UP. A l’en croire, cette commission a déjà établi environ 1 800 actes académiques, y compris relevés de notes, attestations de Licence professionnelle et de Master. Parmi ces actes, 1 221 ont été distribués, dont 1 196 pour la Licence et 25 pour le Master, dès le mardi 27 août 2024. La doyenne a profité de l’occasion pour inviter les étudiants, dont les actes sont prêts depuis plusieurs mois et qui ont été informés par message, à venir les retirer, car ils s’entassent au secrétariat. Elle précise que la liste de tous les anciens demandeurs d’actes, qui ne sont jamais revenus, malgré les messages envoyés par le secrétariat, est disponible à la scolarité. Cependant, malgré ce dispositif, de nombreux étudiants restent inquiets, craignant de ne pas finaliser à temps leur inscription au test des AME prévue pour prendre fin, hier, lundi 02 septembre 2024. Une affluence d’étudiants continue de se manifester malgré le temps qui passe, dans l’espoir d’obtenir les précieux documents qu’il leur faut. Un tour au décanat de la FLASH le samedi dernier, a permis de faire un constat clair : l’affluence des étudiants se trouvant devant le bâtiment n’a pas baisé. À l’intérieur du secrétariat, certains agents d’appui sont à pied d’œuvre pour l’enregistrement et la transmission des nouveaux dossiers. Pendant ce temps, d’autres s’occupent de la distribution des actes académiques déjà disponibles. Du côté de la scolarité, l’absence du chef de scolarité est bien remarquée. Selon des sources proches du service, il s’est absenté toute la journée du samedi pendant que plusieurs nouveaux dossiers sont encore en attente d’être délivrés. Les étudiants demandeurs d’actes seront-ils tous satisfaits ? Face à la situation actuelle, plusieurs questions méritent d’être soulevées. Pourquoi les autorités de la FLASH ont-elles attendu un tel moment critique pour mettre en place cette commission ad-hoc ? Pourquoi le retrait des actes académiques accuse-t-il un tel retard à la FLASH ? Si cela est véritablement dû au manque de personnel comme évoqué par le représentant du syndicat des étudiants, n’est-il pas impératif que les autorités concernées prennent leurs responsabilités ? Le service de la scolarité de la FLASH est-il débordé ou tout simplement défaillant face à l’énorme afflux d’étudiants ? Autant de questions qui restent sans réponse. Et pourtant, pendant notre descente sur les lieux, des étudiants ont confié avoir été bernés et grugés en soldant des sommes d’argent pour obtenir plus rapidement gain de cause.
Une file interminable d’étudiants en attente de faire le dépôt de dossier
Grugés dans le processus, des étudiants pris au piège de la corruption
Le processus de retrait des actes académiques censé être une formalité administrative, se transforme pour certains en un véritable calvaire. Plusieurs étudiants du département des Lettres Modernes ont témoigné sous anonymat de leur expérience malheureuse, dénonçant des actes de manipulation. Plusieurs étudiants ont été bernés lors du dépôt de leurs dossiers pour le retrait des actes académiques. Selon les témoignages recueillis, un individu se serait présenté comme capable de « faciliter » le processus moyennant une somme d’argent. « Il nous a dit que si nous avions de l’argent, il pouvait nous aider. C’est ainsi qu’il m’a pris 5 milles francs CFA, ainsi que chez d’autres étudiants. Nous étions quatre ce jour-là ; il y avait un gars accompagné de sa femme, le gars a payé 5 milles francs CFA et sa femme aussi a payé 5 milles francs CFA », racontent deux étudiants, visiblement déçus. Malheureusement pour eux, après avoir remis cet argent, les étudiants n’ont toujours pas reçu leurs actes académiques. « Il nous a dit que ce que nous avions rédigé comme lettre n’était pas bon et il a rédigé la lettre lui-même. Je ne sais même pas si cet homme a réellement déposé les dossiers. Ceux qui ont déposé en même temps que nous reçoivent déjà leurs actes académiques, mais rien de notre côté et en plus, rien ne confirme qu’il a vraiment déposé les dossiers », déplorent-ils. D’autres témoignages illustrent le désespoir des étudiants face à cette situation. Un étudiant qui n’a pas été grugé par la même personne que les deux premiers étudiants, expose son cas : « Pour une demande de 12 milles francs CFA, je lui ai finalement donné près de 20 milles francs CFA. Mais malheureusement, jusqu’à présent, je n’ai rien reçu. Il vient de me confirmer qu’il n’a pas eu de réponse favorable. » Cet étudiant explique avoir été motivé par les assurances données par l’intermédiaire : « Il nous avait assurés qu’il pouvait nous aider et c’est justement cela qui m’a motivé. Il m’envoyait des preuves de l’évolution du dossier, mais malheureusement, je n’ai pas eu gain de cause. » Face à cette situation, les étudiants grugés n’ont souvent d’autre choix que de constituer de nouveaux dossiers, dans l’espoir que cette fois-ci, le processus suive son cours normalement. « Nous avons dû faire une nouvelle demande mardi dernier. Nous avons constitué un autre dossier que nous avons déposé », explique l’un d’eux, tout en confiant son sort à Dieu.
Cette mésaventure n’est pas un cas isolé. Un autre étudiant raconte comment son grand frère a dû payer une somme de 10 milles francs CFA à quelqu’un pour l’aider à obtenir rapidement ses actes académiques. « Mon grand frère a une connaissance qui connaît quelqu’un à la FLASH et qui nous a assurés que nous obtiendrons nos actes si nous lui trouvions quelque chose pour accélérer le processus. Mon grand frère a remis les 10 milles francs CFA à son ami qui les a transférés à la personne concernée. Après cela, on nous a même assurés que les actes étaient déjà disponibles, mais qu’il ne restait plus qu’à obtenir la signature de la doyenne. Mais depuis, rien. Depuis lundi, je fais des allers-retours sans résultat reluisant. Nous avons appelé la personne, elle nous a dit que c’était toujours en cours, de ne pas nous inquiéter, mais toujours rien. » Ces témoignages reflètent l’angoisse et l’impuissance des étudiants face à une situation qui semble échapper à tout contrôle. Le favoritisme et les pratiques malhonnêtes semblent s’enraciner dans les rouages administratifs.
Le décanat se désengage et met en garde les concernés
Face aux témoignages des étudiants, la rédaction de l’hebdomadaire Educ’Action a joint par téléphone la première autorité de la FLASH, la Dr Clarisse Tama Imorou afin de recueillir son avis sur la question. N’ayant pas accordé une interview par voix orale, la doyenne de la FLASH a par contre exprimé sa profonde désapprobation face aux actes de corruption qui entachent sa faculté. « Ni moi, ni mon adjoint ne sommes impliqués dans cette dynamique de corruption ou de rançonnement. Ce que les gens font autour de nous, n’engage qu’eux », a-t-elle écrit dans une conversation via WhatsApp. Profitant de l’occasion, la doyenne a lancé une mise en garde sans équivoque à l’encontre de toute personne impliquée dans ces agissements. Elle a insisté sur le fait que des sanctions sévères seront appliquées aux responsables, afin de rétablir l’intégrité de l’institution et servir d’avertissement à quiconque envisagerait de perpétrer de telles pratiques à l’avenir. « Ils savent une chose : la personne qui se fera prendre par notre équipe paiera le prix fort pour servir d’exemple aux autres. », a-t-elle fait savoir, réitérant son engagement à éradiquer toute forme de malversation au sein de la FLASH. Toutefois, cette situation à la FLASH appelle une réaction urgente des autorités universitaires. Il est impératif que des mesures soient prises pour identifier et sanctionner les responsables de ces pratiques frauduleuses. De plus, il serait crucial de mettre en place un système de suivi transparent et efficace pour le dépôt et le traitement des dossiers académiques, afin d’assurer à chaque étudiant le respect de ses droits.
Jean-Luc EZIN