Beaucoup se font l’idée que le destin parfait se construit exclusivement grâce à l’école. Le mythe de ‘’Akowé’’ a dû formater des esprits qui ne vivent que par la bureaucratie. Dame Eugénie Faïzoun, bardée de connaissances académiques et universitaires, a inversé les croyances et forcé l’admiration, en se hissant comme un modèle de piscicultrice au Bénin. Séduit, Educ’Action fait une incursion dans le monde de celle qui était prédestinée à une carrière de gestionnaire ou de comptable. Des chiffres à la pisciculture, sur les traces d’une femme exceptionnelle.
Elle n’impressionne guère par sa forme. Souvent calme, dame Eugénie Faïzoun, aujourd’hui âgée de 55ans, a réussi à construire son avenir dans la pisciculture malgré son diplôme du Brevet de technicien supérieur (Bts) en Gestion-comptabilité obtenu en Côte d’Ivoire. A l’époque, personne ne lui pronostiquait un métier de piscicultrice. Comme beaucoup de jeunes de son temps, on la voyait plus apte au bureau, dans les chiffres. Mais le coup du destin en a décidé autrement. Usant de ses potentiels, elle est arrivée à se faire une étoffe remarquable de femme battante, un modèle de piscicultrice au Bénin. Pour elle, l’agro-pisciculture est d’abord une passion avant de devenir un ‘’business’’. « Depuis mon enfance, j’aime planter les légumes, j’élevais les poules de la basse-cour. Donc, c’est déjà une passion dès la base. Mais quand j’ai obtenu mon Baccalauréat, puis après mon diplôme de Brevet de technicien supérieur (Bts) en Gestion-comptabilité en Côte d’Ivoire, j’ai commencé à traîner comme tout jeune diplômé sans emploi ; mon mari à l’époque architecte ne voulait pas aussi que j’entreprenne. Mais j’ai fini par obtenir ce que je voulais à savoir la professionnalisation de ma passion d’enfance. C’est ainsi qu’en 1995, j’ai entrepris la création d’un complexe agro-piscicole à Zinvié sans vraiment penser au volet pisciculture », a-t-elle témoigné.
Du Complexe…
Le complexe agro-piscicole, construit en retrait du village de Zinvié, à environ 40 kilomètres au nord-est de Cotonou, la capitale économique, est un centre d’exploitation unique. Il comporte plusieurs zones d’activités tels que l’agriculture, l’élevage, la pisciculture, et le maraîchage. «Zinvié n’est pas très loin de Cotonou. En y installant le complexe, c’est parce que je visais les marchés de Cotonou et d’Abomey-Calavi. La terre est aussi propice pour la culture maraichère, l’élevage et la pisciculture », a répondu la quinquagénaire, justifiant le choix de cette localité du Bénin pour abriter le centre. Ce complexe qui porte les prénoms de sa première fille défunte « Johan Estève » occupe une grande place dans la vie de dame Eugénie qui, pour rien au monde, ne pense s’en séparer. « Depuis 1995 que j’ai démarré ce projet, je m’y suis totalement investie et continue d’y consacrer la grande partie de ma vie », lâche-t-elle, le regard tourné vers deux de ses employés qui faisaient le couplage des poissons tilapias, ce lundi du mois de février. Sur le site de plus de 4 hectares, le volume du travail est important. Les sept employés permanents engagés par cette promotrice douée en chiffres, doivent s’assurer au quotidien que les différentes espèces (poules pondeuses, moutons, chèvres, lapins, canards, poissons, etc.) ne manquent pas d’engrais bio et ne souffrent de rien. « Le travail sur ce site est énorme et difficile ; il nécessite de notre part la prudence, la vigilance et beaucoup de soins. La petite erreur peut conduire à la perte de plusieurs têtes de bovins, ovins et même de poissons. Quand on commence notre journée le matin, c’est le soir qui nous rattrape », a témoigné Grégoire Kouffèkan, 40ans, l’un des employés du site, renseignant ainsi sur l’immensité du travail à abattre au quotidien.
Des espèces…
A l’entrée du complexe, du côté gauche, se trouve un vaste champ de bananiers. A l’intérieur, plusieurs cabanes sont construites par les soins de dame Eugénie et servent de poulaillers pour ses 3500 têtes de poules pondeuses. Plus loin, plusieurs étangs sont érigés pour le couplage et la production des poissons ‘’tilapias’’ et ‘’clarias’’ ainsi que les alevins. « Je fais aussi l’élevage des bovins, le maraîchage à travers les cultures de contre-saison. J’ai aussi une plantation de palmier à huile qui me permet de produire de l’huile rouge localement. Pour les alevins, ces derniers mois, la production du tilapia s’est accrue, avoisinant les 128.600 têtes et celle du clarias est estimée à 75.000 têtes. Actuellement, je suis en train de creuser un bassin pour davantage empoissonner (produire davantage de poissons). Les efforts en cours et les investissements permettront, les prochains mois, d’augmenter la quantité de la production des poissons », a confié dame Eugénie, indiquant être déjà à plus de 75 millions francs CFA d’investissement.
De sa découverte de la pisciculture…
A ses débuts, dame Eugénie n’avait aucune connaissance de la pisciculture. « Au cours d’une de mes promenades avec mon mari, mon premier soutien dans ce projet, j’ai fait la connaissance d’un pisciculteur qui a réussi à me mettre l’eau à la bouche. Depuis lors, j’ai décidé de m’investir entièrement dans la pisciculture et les résultats aujourd’hui sont encourageants. Au moment où je m’installais, le site de Zinvié était déjà un site piscicole. Il y avait moins d’un hectare avec 7 étangs de 100 mètres carrés chacun appartenant à un groupement de pisciculteurs qui ont fini par renoncer parce que le projet ne prospérait pas. Et lorsque je suis venue reprendre le site à travers une acquisition normale, j’ai fait le vœu de réussir là où des hommes ont échoué », a confessé dame Eugénie qui dit avoir bénéficié, durant son parcours, de la technicité et de l’expertise des cadres du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche qui l’ont beaucoup assistée, accompagnée et orientée dans l’implantation et la gérance du site. Cette réussite de dame Eugénie Faïzoun passe aussi par les subventions et accompagnements de la Banque mondiale et d’autres projets de formation en pisciculture dont elle a bénéficié.
Des subventions et financements…
« Grâce au Projet d’appui à la diversification agricole (PADA) de la Banque mondiale, j’ai bénéficié d’une subvention à hauteur de 14,6 millions francs CFA qui m’ont permis de construire 5 bassins piscicoles pour produire des alevins de tilapia et de clarias, d’acheter un groupe électrogène de grande capacité et de réaliser un forage », a-t-elle déclaré, citant le projet PROVAC qui lui a permis de renforcer ses capacités en pisciculture en Egypte en 2010. « C’est vraiment en 2010 avec le projet PROVAC que j’ai compris que ma réussite dans le secteur est garantie. Avec les différentes formations, j’avais une confiance inégalable en moi-même. Plus rien ne m’arrêtait et cette peur qui m’animait par le passé, s’est totalement dissipée. J’ai pris de la confiance et je discutais d’égale même avec les hommes qui étaient dans la pisciculture avant moi », a-t-elle témoigné, satisfaite. Si actuellement, les difficultés de la quinquagénaire se résument essentiellement au financement des gros projets du site (le complexe agro-piscicole étant financé à plus de 60% sur fonds propre), les difficultés du départ étaient liées à la situation du site.
Des difficultés et couronnement…
« Au départ, le site était une mangrove, donc un domaine naturel des reptiles, varans, caïmans qui facilement se nourrissaient des produits d’élevage, de pisciculture et même du maraichage. Les poissons aussi se reproduisaient de façon anarchique, ce qui fait qu’ils ne grossissaient pas. Moi-même, je dois parcourir, tous les samedis, près de 40 kilomètres à moto pour arriver sur le site. Du coup, je tombais de temps à autre malade », a-t-elle martelé. Mais ses efforts ont été couronnés puisqu’en 2013, dame Eugénie Faïzoun a été récompensée par l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) qui lui a décerné le prix de la meilleure piscicultrice. Ce qui lança à nouveau cette passionnée de la pisciculture. S’agissant des défis, elle ambitionne empoissonner davantage pour accroître sa production, mais également veut s’investir dans la production de gros poissons.
Des perspectives…
« Mon rêve est de devenir, les prochaines années, la principale piscicultrice du Bénin. Je veux me faire remarquer par la qualité de mes poissons », a-t-elle formulé. A l’en croire, le marché de poissons existe au Bénin et même dans la sous-région. ‘’Les gens viennent beaucoup sur le site pour s’approvisionner en poissons parce que je fais du poisson bio, très succulents’’. « Pour le moment, j’ai du mal à prendre les grandes commandes des restaurants parce que je n’arrive pas encore à satisfaire tous les ménages qui affluent vers moi pour la qualité de mes poissons », a-t-elle affirmé, conseillant qu’ « en toute chose, il y a des hauts et des bas. Devant les difficultés, il ne faut jamais renoncer. Seules les battantes comme moi, arrivent toujours à réussir ». Eugénie Faïzoun, teint bronzé et native de Savalou (centre-Bénin), s’est mariée à l’âge de 29 ans. Elle est mère de deux filles qui poursuivent actuellement leurs études au Canada.
Serge-David ZOUEME