Depuis son adhésion à la convention des droits des enfants en 1990, le Bénin a fait des pas de géants en matière de protection de l’enfant. Cependant, des poches de violation persistent, notamment sur le plan de l’exploitation et du travail des enfants. Dans cet entretien, Rose Aude Agwu, juriste et chargée de projet “Briser les Chaînes du Travail et de l’Exploitation Domestique des Enfants”(BC-TEDE) au Bénin et au Burkina Faso pour CIPCRE-Bénin, évoque des actions entreprises pour venir à bout de ces phénomènes. Bonne lecture !
Educ’Action : Parmi les droits de l’enfant les plus bafoués au Bénin figurent le travail et l’exploitation. Qu’est-ce qui explique la persistance de ces deux phénomènes ?
Rose Aude Agwu : Suivant les données statistiques, l’enquête MICS de 2014 révèle que le Bénin avait plus de 52% de ses enfants qui étaient en situation de travail. Certains étaient même dans les pires formes de travail. Ce qui a été une situation interpellative. L’État, aussi bien que les Organisations de la Société Civile (OSC), ont uni leurs forces pour déclencher un combat contre ce phénomène. Grâce aux efforts des uns et des autres, le Bénin est passé de 52% à 19,9% en 2022, avec l’enquête MICS de 2022.
Nous constatons la persistance de ces phénomènes d’abord, parce qu’on pense que l’enfant a l’obligation d’aider ses parents dans les travaux. On pense que l’enfant doit aussi contribuer aux ressources de la famille. C’est un phénomène qui est normalisé. Quand on voit un enfant en train de travailler, on se dit que c’est normal. Sûrement qu’il vient d’une famille vulnérable, que les parents n’ont pas les moyens ou bien qu’il a des parents invalides. Certes, l’enfant peut aider, l’enfant peut faire des travaux, mais des travaux socialisants, des travaux qui l’aident à se former, à se forger lui-même. Mais, pas des travaux qui constituent une entrave pour son évolution scolaire, sa scolarisation, sa santé, son développement mental, physique, psychologique. Dans ces cas-là, nous ne sommes plus en face d’un travail socialisant, mais plutôt d’un travail de l’enfant, voire d’une exploitation économique de l’enfant.
Ce sont des pratiques que nous avons dans notre culture qui amènent à tolérer le travail des enfants. Normalement, cela devrait être combattu quand cela constitue une entrave au développement, au bien-être de l’enfant.
Quelles actions l’Etat a mis en œuvre pour endiguer ces deux phénomènes ?
C’est le rôle régalien de l’État de veiller à la protection des enfants, mais cela se fait en synergie d’actions avec les autres acteurs de la chaîne de protection, que sont notamment les Organisations de la Société Civile. Les actions qui sont menées pour endiguer ce phénomène sont, entre autres, des actions de sensibilisation dans les différents lieux où la main d’œuvre infantile se fait toujours exploiter : les marchés, chez des artisans, sur les carrières et autres. Il y a des descentes inopinées également des inspecteurs du travail sur ces différents lieux où des enfants sont récupérés et confiés à des structures compétentes. Ces dernières veillent à leur appui-accompagnement, même si ce n’est pas intégral. Cela se fait suivant l’urgence et les besoins des enfants. En 2023, il y a eu la campagne Tolérance Zéro aux pires formes du travail des enfants. C’était une grande campagne de sensibilisation dans les marchés, les différents lieux où les enfants sont utilisés avec la présence d’inspecteurs du travail, des Organisations de la Société Civile, des Officiers de Police Judiciaire (OPJ). Ces séances ont ensuite été suivies d’une répression. Les enfants qui sont récupérés sur ces lieux de travail sont réinsérés, soit à l’école s’ils ont encore l’âge de fréquenter, soit dans des ateliers d’apprentissage en milieu professionnel, afin qu’ils puissent assurer leur avenir.
En tant qu’Organisation de la Société Civile, vous avez initié le projet “Briser les Chaînes du Travail et de l’Exploitation Domestique des Enfants” (BC-TEDE) au Bénin et au Burkina Faso. En quoi ce projet est une réponse à ces phénomènes ?
C’est un projet qui travaille spécifiquement avec les enfants en situation de travail notamment de travail domestique. Avec ce projet, nous donnons l’opportunité aux parents de mieux s’informer sur les conditions de travail de leurs enfants qu’ils envoient vers d’autres lieux, vers les villes, à la recherche d’un avenir meilleur. Les rêves, les situations qu’on leur miroite, ne sont vraiment pas le vécu quotidien de ces enfants-là. De par nos actions de sensibilisation, nous amenons les parents à mieux comprendre les réelles conditions de vie de leurs enfants une fois dans les familles d’accueil.
Le projet BC-TEDE appuie également ces familles qui envoient leurs enfants en ville ou dans d’autres familles d’accueil. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’elles le font, c’est généralement parce qu’elles ont des problèmes et des difficultés. Nous appuyons ces familles sur deux points. D’abord, sur le plan technique, le projet a prévu dans les zones d’intervention un Centre d’Apprentissage et de Perfectionnement des parents, qu’on appelle CAP/Parents. Ce centre contribue au renforcement des capacités des parents afin qu’ils jouent mieux leur partition. Ainsi, il leur permet de mieux cerner les droits des enfants, de mieux comprendre leur rôle vis-à-vis de leurs enfants et d’être des parents responsables. En dehors de ce cadre d’échange, d’expérience, de formation, de renforcement de capacités, nous avons également des appuis logistiques que nous apportons aux familles. Elles sont constituées en association villageoise d’épargne et de crédit que nous accompagnons afin qu’elles puissent avoir leur autonomie financière pour mieux s’occuper de leurs enfants.
Le projet BC-TEDE accompagne également les enfants qui sont en situation de travail dans des conditions pénibles, que nous récupérons. Ces enfants sont appuyés pour une réinsertion socio-professionnelle et également pour leur réintégration en famille. Le projet a prévu également agir pour le renforcement du cadre légal.
C’est vrai que le Bénin dispose d’un cadre légal très favorable à la protection des enfants. Cependant, il y a certaines conventions internationales qui pourraient davantage renforcer ce cadre qui ne sont pas encore ratifiées, notamment la convention 189 de l’OIT sur les travailleurs et travailleuses domestiques, la convention 129 de l’OIT sur l’inspection du secteur agricole. Ces différentes conventions, une fois adoptées, devaient permettre de renforcer les actions de l’inspection du travail dans les familles où vivent des enfants qui sont placés et qui ne devraient pas être un personnel domestique parce que les normes en la matière au Bénin sont très claires. Le travail domestique fait partie des travaux dangereux pour l’enfant et aucun enfant ne devrait y être en tant que personnel domestique. Il faut avoir au moins 18 ans pour faire ce travail.
Les règles de droits communs qui protègent aussi le domicile privé font que les inspecteurs de travail, n’ont pas toujours l’opportunité d’élargir leurs compétences dans ces maisons où ces enfants sont enfermés pour faire du travail. La ratification de la convention 189, qui met l’accent sur l’âge de 18 ans avant d’accéder au travail domestique, offre également l’opportunité aux inspecteurs de travail de se rendre dans les familles afin d’inspecter les conditions dans lesquelles le travail domestique se fait. Cette convention est très importante pour l’élimination du travail domestique des enfants.
La 129 également est aussi une convention très importante que le Bénin doit ratifier pour permettre de soustraire également les enfants du travail dans le secteur agricole qui n’est pas un secteur destiné aux enfants. Avec la 129, les inspecteurs de travail auront la capacité d’exercer correctement les tâches qui leur reviennent.
Quels sont les résultats, les changements qui sont survenus grâce à la mise en œuvre de ce projet ?
Après deux années de mise en œuvre de ce projet, nous avons quand même déjà engrangé des résultats et observé des changements de comportement. Les changements de comportement se font surtout observer dans les familles qui participent au CAP/Parents. Ces familles ne cessent de témoigner de l’importance de ce cadre pour elles car cela leur permet désormais d’éduquer leurs enfants dans une unicité d’actions entre conjoints. Ainsi, les droits des enfants sont respectés et les enfants sont protégés.
On note une prise de conscience des parents dans les zones de départ des enfants, mais surtout dans les zones d’intervention du projet. Grâce au projet, nous sommes également en train de contribuer à la réinsertion scolaire des enfants. Car, bon nombre de parents qui entre temps avaient déjà fait le projet ou bien avaient même déjà enlevé les enfants des écoles pour les envoyer dans d’autres lieux, les ont ramenés. Grâce au projet, les normes en matière de travail des enfants sont connues de la population. Aujourd’hui, dans les lieux d’intervention du projet, ils savent que l’âge minimum pour qu’un enfant soit envoyé en apprentissage ou pour aller vendre est 14 ans.
Quel est votre message à l’endroit des parents ?
Le droit de l’enfant commence à la maison. Il revient à nous en tant que parent d’œuvrer pour le respect des droits des enfants. Les droits des enfants sont indispensables pour leur développement et leur épanouissement.
Propos recueillis par Adjéi KPONON