Salimane Issifou, directeur national de SOS Villages d’Enfants au Bénin : « Depuis 2004, nous avons touché 8 000 familles et 32 000 enfants »

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Installé au Bénin depuis 1987, SOS Villages d’Enfants s’investit pour l’épanouissement des enfants à travers ces divers programmes. Aujourd’hui, le Bénin abrite trois Villages d’Enfants SOS à Abomey-Calavi, Natitingou et Dassa-Zoumè. L’employabilité des jeunes est désormais devenue une priorité pour l’Ong international qui innove constamment dans ses programmes en vue de leur autonomie. Famille de remplacement, renforcement de la famille, employabilité, ce sont les thématiques que nous abordons dans cet entretien exclusif avec Salimane Issifou, directeur national de SOS Villages d’Enfants Bénin. Bonne lecture !

Educ’Action : Comment se porte SOS Village d’Enfants au Bénin ?

Salimane Issifou : SOS Village d’Enfants grandit très bien. Aujourd’hui, en dehors des villes que vous avez citées, nous sommes aussi présents à Kandi et à Pèrèrè, où nous mettons en œuvre un programme d’aide d’urgence en faveur des personnes déplacées. C’est une nouvelle intervention avec le soutien du Ministère Allemand des Affaires Etrangères.

En plus de la charge des enfants, vos actions s’orientent de plus en plus vers l’employabilité des jeunes. Pourquoi cet investissement sur cette thématique ?

Pour nous à SOS Village d’Enfants Bénin, l’employabilité des jeunes signifie permettre aux jeunes d’acquérir certaines compétences qui vont leur permettre d’avoir un emploi et de le garder. Il s’agit également de créer son entreprise et de la conduire de manière durable. L’employabilité des jeunes est importante pour SOS Village d’Enfants parce que notre travail est unique en son genre. Nous nous occupons d’enfants et de jeunes et notre travail ne finit que lorsque l’enfant devenu jeune à 23, 24 ou 25 ans a une occupation professionnelle qui lui permet de subvenir à ses propres besoins. Lorsque l’enfant n’a pas atteint cette étape, cela signifie que notre travail n’est pas terminé.

Combien sont ces jeunes que vous avez dans vos divers programmes ?

D’une manière générale, aujourd’hui, nous avons 6 000 enfants et jeunes. Particulièrement, les jeunes sont autour de 2 000. Nous devons nous assurer que tous ces jeunes ont un emploi ou qu’ils ont créé une entreprise qui va leur permettre de subvenir à leurs propres besoins. Nous avons des jeunes qui vivent dans les Villages d’Enfants SOS (VESOS) et ceux qui vivent dans leur famille d’origine car, ils ont des proches qui sont encore vivants. Nous les identifions et nous leur apportons un appui.

Quels sont les défis de ces jeunes en matière d’employabilité ?

Ces jeunes ont d’abord un problème de formation. Ils sont sans prise en charge parentale, ils n’ont pas de formation de base. Nous nous assurons qu’ils aient cette formation de base. Elle peut être professionnelle ou technique. Parmi les jeunes, nous avons certains qui sont au niveau universitaire. Pour eux également, nous devons trouver les solutions pour les conduire vers l’employabilité.

Qu’est-ce qui particularise SOS Villages d’enfants en matière de démarche pour accompagner l’employabilité des jeunes ?

Ce qui nous aide, ce sont les partenariats que nous avons. Il s’agit de partenariats qui nous permettent vraiment d’avoir de la plus-value dans nos interventions. Nous avons par exemple un partenariat majeur avec DHL, qu’on appelle Go Teach. Grâce à ce partenariat, les employés de DHL font du mentorat en faveur des jeunes. Également, nous avons YouthCan. Dans ce programme, beaucoup d’entreprises sont ensemble pour permettre aux jeunes d’avoir un stage, d’être coaché pour trouver du travail.
Nous avons également un partenariat avec une entreprise danoise qu’on appelle Learnio. Il s’agit ici d’un partenariat pour la formation des jeunes dans le domaine du numérique. Ils deviennent des entrepreneurs numériques avec la conception, le développement web, la conception graphique. Ils bénéficient d’un mentorat et sont inscrits dans des bases de données aux États-Unis. Si bien que plus tard, lorsque les entreprises ou des particuliers auront besoin de leurs services, ils les contactent via les plateformes. C’est dire que ces jeunes sont au Bénin mais ils travaillent avec des entreprises américaines, hollandaises, australiennes, etc.

Quelles sont déjà les premières retombées de ces programmes ?

L’année dernière, nous avons 13 jeunes qui ont pu faire des stages professionnels. Il y en a 380 qui ont été formés sur diverses thématiques et d’autres encore qui sont accompagnés. Toutes ces actions leur permettent réellement d’avoir le bagage nécessaire pour trouver du travail. Il y a quelques jours, nous avons été contactés par l’un de nos partenaires qui avait besoin d’une trentaine de jeunes pour un stage qui débouche sur un emploi.
Nous avons des résultats encourageants qui nous permettent déjà d’être l’une des structures phares de SOS Village d’Enfants International. Lors de nos récentes évaluations, SOS Village d’Enfants Bénin est sorti premier des 138 pays devant des pays comme l’Allemagne, la France, etc.

Est-ce à dire que vous avez des jeunes qui sont sur le terrain, qui sont autonomes, qui peuvent constituer pour SOS une fierté ?

Beaucoup de jeunes sont une fierté pour nous. Parmi les premiers enfants que nous avons pris en charge, aujourd’hui nous avons des professeurs d’université, des ingénieurs agronomes, des ingénieurs en informatique, des coiffeurs, des charpentiers, etc. L’un de nos jeunes par exemple, a fait un test ici, et est sorti premier au Bénin et en Afrique. Il devait aller à l’université de Birmingham pour poursuivre ses études supérieures. Il n’a pas pu vite avoir le visa parce qu’il fallait aller à Lagos, au Nigeria. La rentrée avait commencé à Birmingham, alors nous lui avons proposé d’aller au Japon. Il a dit oui, cela ne le gêne pas. Le jour où il faisait sa soutenance à l’université, il a été recruté par l’une des 5 meilleures entreprises du Japon en matière de construction. Alors aujourd’hui, il s’est installé là-bas et a un job avec un revenu faramineux. Tous les six mois, il a un billet d’avion pour venir nous saluer. C’est vraiment l’un de nos succès.
Il y a un de nos jeunes qui est aujourd’hui à Washington. Ici, il était parmi les meilleurs. Il avait un poste à Lomé et après cela, il a eu un autre à Washington. C’est là-bas qu’il est consultant en finance verte. Nous avons des jeunes qui sont au Canada et ailleurs. Ils sont d’abord ici et quand ils vont là-bas, ce n’est pas pour aller balayer les rues, mais c’est vraiment des cadres de haut niveau que nous formons et qui servent leur pays et le monde.
Avant l’employabilité des jeunes, à l’origine, quels sont ces programmes de prise en charge des enfants que vous mettez en œuvre dans vos différents villages ?

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Il s’agit des programmes de renforcement de la famille et de celui des familles de remplacement. Alors, le programme de renforcement de la famille a été mis en œuvre pour la première fois en 2004. Pourquoi ? Parce que nous nous sommes rendus compte que, jouer le rôle de sapeur-pompier, c’est-à-dire attendre que les parents meurent avant d’aller chercher les enfants et les mettre dans les villages d’enfants SOS, n’était pas la meilleure approche possible. Il fallait jouer un rôle préventif. Il s’agit de travailler avec les autorités municipales pour identifier les familles qui ont besoin de soutien. Une fois cela fait, nous mettons en place des comités pour voir quels sont les enfants qui ont besoin de soutien. Une fois identifié, nous nous assurons que les droits de tous ces enfants sont respectés. Ensuite, nous renforçons les capacités de leurs tuteurs, parents, ceux chez qui ils vivent. Comme vous le savez, beaucoup de gens ont des enfants mais ils ne savent pas comment les éduquer. Alors que la prise en charge de l’enfant est un domaine qui nécessite des compétences indispensables. Nous faisons en sorte qu’ils aient ces compétences et nous nous assurons qu’ils aient un revenu qui leur permette de vivre. S’ils ont appris un métier, nous les renforçons pour qu’ils poursuivent ce métier. S’ils veulent faire du commerce, nous leur permettons l’accès au microcrédit pour qu’ils mènent leurs activités génératrices de revenus. Les familles restent dans ce programme pendant cinq ans. Après ces années, il y a un audit externe qui vient nous dire quelles sont les familles qui peuvent quitter afin que nous en prenions de nouvelles. Depuis 2004, nous avons touché 8 000 familles dans lesquelles vivaient 32 000 enfants. Nous avons fait en sorte que ces enfants se développent, qu’ils aient du boulot et qu’ils deviennent des membres à part entière de la société béninoise.

Et qu’en est-il du programme famille de remplacement dans les villages d’enfants SOS ?

Lorsque quelqu’un dans la communauté se rend compte qu’un enfant est orphelin, qu’un enfant a été retrouvé sur un tas d’ordure, etc., la personne contacte le Guichet Unique de Protection Sociale (GUPS), anciennement Centre de Promotion Sociale (CPS). Avec le GUPS, nous voyons si SOS Village d’Enfants est l’organisation la mieux placée pour s’occuper de cet enfant. Si oui, quelle est l’unité de programme dans laquelle l’enfant va mieux se développer : est-ce le renforcement de la famille ou bien la prise en charge de remplacement ?
La prise en charge de remplacement, c’est ce que nous faisons dans les villages d’enfants SOS dans lesquels nous avons construits des maisons. Dans chaque maison, nous avons une «Responsable de prise en charge» qui est la maman. Cette maman doit avoir au moins une trentaine d’années. Si elle a un mari ou ses propres enfants biologiques, ils peuvent venir vivre dans la maison. Ils s’occupent d’un nombre d’enfants compris entre un et huit. Les enfants vont à l’école ou ils apprennent un métier, selon l’âge. Chaque année, nous faisons ce qu’on appelle la révision de placement. Nous enquêtons pour voir si un parent de l’enfant qui a été admis dans le village entre-temps n’a pas été retrouvé. Est-ce que la situation de ses parents d’origine n’a pas changé ? Car, le meilleur endroit pour un enfant c’est sa famille. Lorsque les conditions sont réunies, nous nous assurons que l’enfant est inséré dans sa famille.
S’il n’y a pas d’autres alternatives pour l’enfant, il reste au niveau du village d’enfants SOS dans la même maison jusqu’à l’âge de 23 ans où nous commençons notre programme d’employabilité. Nous nous assurons qu’il ait un emploi afin de subvenir à ses besoins et qu’il puisse quitter la prise en charge. Ainsi nous pourrons prendre de nouveaux enfants.

Aujourd’hui, est-ce que vous avez des projets en matière de renforcement de la famille ?

Oui ! Aujourd’hui, nous avons un projet en matière de renforcement de la famille. Nous en avons à Abomey-Calavi, Dassa-Zoumé, Natitingou. En janvier 2022, nous avons commencé un nouveau programme que nous appelons le programme d’accompagnement des communautés pour la protection de l’enfant et le système de protection de l’enfant. Il s’agit d’une initiative soutenue par le Ministère des Affaires Etrangères du Luxembourg et SOS Village d’enfants Luxembourg-Monde. À ce niveau, nous nous assurons que des enfants de 300 familles qui sont dans des conditions très difficiles, parce qu’ils ont perdu leurs parents ou que leurs parents sont malades, aient tous leurs droits respectés. Aller à l’école par exemple. Nous faisons en sorte que ces communautés dans lesquelles nous intervenons soient capables de s’occuper d’elles-mêmes. Cela veut dire que nous poussons la communauté à prendre des mesures pour s’occuper des enfants. Ces communautés créent ce qu’on appelle des comités locaux de protection de l’enfant. Dans les quartiers, ce sont eux qui sont responsables. Quand il y a un problème par rapport aux enfants, ils interviennent. Nous avons aussi des clubs d’enfants. Dans ces quartiers, les enfants ont créé leur comité de droit de l’enfant et ils font la sensibilisation. Egalement, nous appuyons les conseils communaux de protection de l’enfant. Tout cela permet de créer dans l’environnement un cadre digne des enfants.

Aujourd’hui, quelles sont les stratégies envisagées par SOS Village d’enfants pour soutenir davantage les familles, les jeunes, les enfants ?

Ce que nous faisons, c’est principalement grâce à des partenariats. Comme vous le savez, SOS Village d’enfants ne vit que de dons. Les personnes de bonne volonté peuvent faire des dons. Nous avons notre plateforme www.sos-benin.org où les gens peuvent faire des dons en ligne. En dehors de cela, nous travaillons avec d’autres acteurs, qu’ils soient béninois ou étrangers. En plus, nous soumettons des projets à des bailleurs. Ces bailleurs nous permettent d’avoir des programmes durables.

Nous sommes au terme de cet entretien. Quel est votre message à l’endroit des Béninoises et Béninois ?

La prise en charge de l’enfant est l’affaire de tous. Nous devons nous assurer que dans nos familles, nos enfants soient pris en charge de manière positive. La prise en charge positive de l’enfant suppose qu’il y a beaucoup de dialogue avec l’enfant, que nous puissions donner des responsabilités à l’enfant et que nous puissions le consulter pour tout ce qui le concerne. Il faut bannir tout ce qu’il y a comme violences physiques, émotionnelles, etc. sur les enfants. Ce n’est pas du tout bon. Nous devons les bannir de nos pratiques éducatives. C’est ainsi que nous allons vraiment créer des cadres qui participent à la vie de notre pays. Et plus tard, des cadres qui vont prendre la relève dans le développement de notre cher pays, le Bénin.

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Propos recueillis par Adjéi KPONON

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