Solange Odjo Ahlonsou, DDEMP Ouémé/Plateau au sujet du CEP 2016 : « Nous avons tout le temps péché dans nos pratiques pédagogiques »

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Se confiant à Educ’Action au détour d’un entretien, la Directrice Départementale des Enseignements Maternel et Primaire (DDEMP) de l’Ouémé/Plateau, Solange Odjo Ahlonsou fait le diagnostic du fort taux d’échec enregistré au Certificat d’Etudes Primaires (CEP) 2016. C’est un rendement qui interpelle tous les acteurs de la chaîne éducative, fait-elle savoir, tout en félicitant les dirigeants du monde scolaire qui ont osé rendre publiques, cette année, les vraies performances des enfants. Lisez plutôt !

Educ’Action : Les résultats du CEP sont tombés, il y a quelques jours avec un fort taux d’échec des candidats. Comment expliquez-vous cela ?

Solange Odjo Ahlonsou : Vous faites bien de remarquer que cette année les résultats ont été catastrophiques. C’est national. L’Ouémé/Plateau est légèrement au dessus de la moyenne nationale. Le taux national est de 39,26% alors qu’au niveau de nos deux départements, nous sommes à 39,85%. C’est vrai qu’on ne peut pas se frotter les mains. Mais en tant qu’actrice du système éducatif, je pense que c’est un très bon départ parce qu’il faut quand même, à un moment donné, arrêter avec la ‘’tricherie’’. Nous avons tout le temps pensé qu’en haussant le taux de réussite, en étant favorable vis-à-vis des enfants jusqu’à un certain taux, on est en train de leur rendre service. Cela peut paraître tout de suite comme un service que nous rendons aux enfants mais tout en défavorisant, tout en fonçant dans la tombe le système éducatif béninois. Vous n’êtes pas sans savoir que le CEP représente le premier examen académique. Et si déjà l’enfant qui va à cet examen, au regard des résultats qui ont été proclamés, se dit ‘’ je n’ai pas besoin d’assez d’efforts’’, cet enfant banalise lui- même à l’avance, la portée de cet examen parce qu’il se dit, il suffit que je fasse quelques efforts dans quelques matières seulement pour sortir d’affaire. Je salue le courage de nos autorités au niveau du ministère qui ont pu respecter les textes.

Donc, on ne respectait pas les textes ?

En fait le problème qui se pose que beaucoup ne savent pas, c’est que les textes en la matière, n’ont pas été souvent respectés convenablement. Il y a cette fibre maternelle qui a toujours parlé à l’intérieur de nos autorités si bien qu’elles laissent une marge tout en contournant les textes. Cette fois-ci, nous avons dit qu’il faut arrêter et dire ce qui est vrai à nos différents acteurs. 39% sinon un peu moins de 40%, pour moi, je ne pense pas que cela soit autre chose que la réalité sur le terrain.

Dites-nous réellement vos impressions sur ces résultats du CEP 2016.

(Elle sourit). Mes impressions sont mitigées. Je peux me réjouir parce qu’on est arrivé, pour une fois à dire la vérité, à respecter les textes. Mais de l’autre côté, je me plonge un peu dans la tristesse parce qu’il y a plein de choses qui nous ont amené à cette fin-là. Ce n’est pas du jour au lendemain. Il faut remonter, il y a dix ans ou cinq pour savoir que nous avons réellement péché. Nous avons tout le temps péché dans nos pratiques pédagogiques, dans la manière dont nous faisons la gestion du système éducatif, la gouvernance même du système. Je vous assure, c’est toutes les dimensions qu’il faut questionner.

Illustrez vos propos pour nous permettre de mieux pénétrer vos pensées.

Je vous donne un exemple. Nous sommes ici dans les départements de l’Ouémé/Plateau. Le besoin seulement en enseignants, je vous assure, ce n’est pas reluisant. Et quand vous allez au niveau de ces enseignants, ça laisse à désirer. Dans l’Ouémé/Plateau, nous avons 15 circonscriptions scolaires. Sur les 15, j’ai 14. Et il faut dire que l’Ouémé/Plateau a eu la bonne part. Il y en a qui en manque davantage où le manque s’évalue à deux ou trois chefs de circonscriptions scolaires. Moi j’ai un seul qui cumule deux circonscriptions. Mais ce qui est écœurant au niveau de ces circonscriptions, ce n’est pas seulement l’inspecteur qui fait les suivis pédagogiques. Il faut qu’il s’entoure des conseillers pédagogiques (CP) et ces CP sont responsabilisés par zone. Cela signifie que s’il y a un CP qui manque, cette zone-là est laissée pour compte. Il n’y a personne pour faire le contrôle pédagogique. J’ai des circonscriptions où c’est le CCS seul qui joue le rôle d’inspecteur, qui fait les visites d’inspection, les visites de pratiques de classe. C’est lui seul qui conduit tout le volet administratif. Il y a un manque de personnel au plan pédagogique et administratif. Vous allez dans les bureaux des circonscriptions scolaires, vous voyez à peine des agents qui peuvent accompagner le CCS dans ses attributions. Et c’est un grand problème. En dehors de cela, il y a la qualité des enseignants, leur profil qui pose problème. Rappelez-vous, vers le début de l’année 2000, nous nous sommes lancé dans le concept « L’éducation pour tous ». Nous avons accru le taux de scolarisation. Il y a eu plus d’enfants qui ont fait leur entrée à l’école et cela a fait que nous avons senti le besoin en infrastructures et en personnel-enseignant. Sur ce dernier point, qu’est-ce qu’il fallait faire pour répondre à ce besoin ? On a fait recours à toute personne, aux enseignants de tout acabit. Il y en a qui ont de très bons niveaux. Mais il y en a dont le niveau est complètement à revoir. On ne peut pas semer sur un champ non défriché. Quelqu’un qui n’a pas un niveau académique assis, même si on lui apprend les méthodes pédagogiques, il ne peut rien donner. Les connaissances à enseigner, il faut un pré-requis, un préalable. Si la fondation d’une maison à bâtir n’est pas solide, cela pose un problème. Malheureusement, les enseignants que nous avons recrutés en ce moment, n’avaient pas le niveau intellectuel requis. Leur bas niveau explique leur difficulté à comprendre la pratique pédagogique, la conduite d’une séquence de classe. Nous avons cru qu’avec la réouverture des écoles normales d’instituteurs (ENI), on pouvait régler un tant soit peu cela. Mais ce n’est pas le cas. A priori, on ne va pas dans les ENI pour avoir une formation en culture générale. On y va pour apprendre à transmettre la connaissance, c’est la pédagogie qu’on vous y apprend. Donc avant d’y entrer, il faut avoir un niveau de connaissances acceptable, solide.

Ce n’est pas le cas de nos enseignants ?

Ceux qui y entrent, ont besoin de s’asseoir pour se faire enseigner les notions préliminaires si bien que quand ils sortent de ces ENI, ils ne répondent pas au profil adéquat pour pouvoir faire face aux apprenants. Donc tous ces éléments ont participé aux faibles taux de réussite que nous avons eu des années durant. Ce n’est pas seulement cette année. Je voudrais que tout le peuple se débarrasse de cette idée. C’est seulement cette année qu’on a eu le courage de publier les vrais résultats. Je pense que c’est un déclic pour nous acteurs à pouvoir nous donner réellement au système éducatif.

Que faut-il faire maintenant ?

Il faut investir dans l’éducation. Les enfants qui ont échoué cette année au CEP reviendront l’année prochaine. Nous aurons un fort taux de candidats l’année prochaine. Nous aurons plus de classes à créer, assez d’effectifs dans nos CM1 et CM2. Il nous faut construire plus de salles de classes ; il nous faut plus d’enseignants et il nous faut avoir plus de personnes devant jouer le rôle de contrôle et d’inspection. C’est de grands défis. Mais je sais qu’avec la capacité de notre ministre, la rigueur avec laquelle il a décidé de faire le travail, on peut espérer.

Des sanctions pour les écoles ayant enregistré 00% de réussite ?

Dès que les résultats sont donnés, nous sommes allés questionner chaque circonscription scolaire. Quand nous allons regrouper tous les résultats et tous ses aspects, nous allons prendre des mesures pour régler les cas indélicats. Quand vous êtes agents de l’Etat, vous avez des avantages, mais vous devez faire le travail pour lequel vous êtes payés. Nous allons obliger ceux qui ne veulent pas le faire, à mériter leur salaire. En matière de sanction, en son temps, nous allons aviser. Mais déjà, les directeurs d’écoles qui ont brillé par ces taux médiocres seraient en train d’imaginer mille et une sanctions dans leur tête. Je suis sûre que sur le plan moral, ils n’en seraient pas fiers. Nous verrons bien comment tenir ceux qui veulent rester à la queue.

Que dire pour mettre un terme à cet entretien ?

Rassurez-vous, il n’y a rien à craindre. Le système éducatif est dans les mains de techniciens. Je voudrais dire aux politicards de laisser les techniciens prendre le devant du système éducatif. C’est à cette seule condition que notre système éducatif pourra donner l’image qu’on lui reconnait dans la sous-région et dans le monde entier.

Réalisation : Esckil AGBO

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