La stabilité émotionnelle de l’apprenant dans son cursus scolaire est un facteur de réussite. Diverses approches issues des sciences de l’éducation sont utilisées dans certains pays pour garantir cette stabilité. C’est le cas de la prise en charge des apprenants par le même enseignant durant leurs années à la maternelle ou au primaire. Educ’Action a tendu son micro aux spécialistes de l’éducation pour s’enquérir de ce qu’il en est et des expériences vécues.
Individualisation ou personnalisation des parcours, enseignement individualisé, pédagogie différenciée ou adaptée, etc. Toutes ces approches, méthodes et autres théories pédagogiques, soulignent la nécessité d’accorder de l’importance à l’apprenant à qui est destiné le savoir. Désormais, ce dernier passe du stade passif au stade actif dans l’acquisition des connaissances. Tous les acteurs du système éducatif sont mis à contribution pour la construction de cet apprenant de type nouveau qui ne reste plus dans les nuages pendant que son enseignant se tord les pouces afin qu’il acquière le savoir. La question qui se pose, c’est comment faire le suivi de l’apprenant tout au long de son cycle, malgré tout ce qu’il capitalise dans chaque classe. La solution trouvée par certains pays, notamment scandinaves, qui sont parmi les meilleurs en termes d’éducation, c’est la sédentarité des enseignants auprès des apprenants. Ainsi, lorsque les apprenants intègrent un cycle de scolarité, comme la maternelle, le même enseignant garde la promotion jusqu’à sa sortie du cycle. Dans notre cas, c’est dire que l’enseignant qui accueille les apprenants en classe de CI, garde la même promotion jusqu’au CM2. Si la recherche en Sciences de l’éducation en est arrivée à ce point, c’est dire que la méthode a certainement des avantages qu’il est utile de présenter.
Les avantages du suivi de l’apprenant sur un cycle entier
« Lorsque ça se passe comme cela, il y a un meilleur suivi de l’apprenant. Lorsque l’enseignant suit l’apprenant dans son cursus, il a le temps de le connaître et par conséquent, il peut mieux agir dans le sens de l’aider dans l’acquisition des connaissances qu’on lui enseigne », confie Dr Moussiliou Akpa L’Ara Moustapha, enseignant-chercheur au Département des Sciences de l’éducation et de la Formation de l’Université d’Abomey-Calavi. Opinion partagée par Parfait Amoussou, directeur de l’école primaire du Groupe d’Actions Sociales (GAS) d’Abomey-Calavi, anciennement école primaire Hermann Gmeiner de Village d’Enfant SOS Abomey-Calavi, qui renchérit que l’avantage principal de cette méthode, c’est une meilleure connaissance de chaque apprenant. En effet, reconnaît l’enseignant qui cumule déjà vingt-cinq (25) années d’expérience, cette méthode s’inscrit dans la droite ligne de la personnalisation de l’enseignement sous divers aspects qu’il rappelle, d’une voix experte : « Normalement, l’enseignement devrait être individualisé puisque, si vous connaissez l’apprenant, vous devez pouvoir l’accompagner davantage ». La preuve, continue l’enseignant chevronné, « j’avais géré le CE2 et j’ai accompagné la promotion au CM1. Je connaissais mieux les enfants et je savais mieux comment les prendre ».
Sur le même chapitre, Dr Moustapha souligne que cette méthode met aussi l’apprenant en confiance, surtout lorsque l’enseignant crée les conditions de sécurité et de travail adéquat à l’enfant. Du point de vue de la stabilité émotionnelle, il indique qu’il y a une sorte de stabilité de l’enfant dans le processus de son évolution : « orsque l’enfant a affaire à quelqu’un qui le rassure, cela lui procure la stabilité et la sécurité. L’enfant devient plus confiant et il peut s’ouvrir à son enseignant. Celui-ci peut lui apporter l’accompagnement adéquat. C’est très avantageux pour l’apprenant de ne pas se retrouver dans une situation où chaque fois, il doit se demander quel est l’enseignant que je vais avoir cette année ».
Cette manière de procéder dans le suivi des apprenants par le même enseignant durant tout leur cycle vient combler une lacune du système éducatif, à en croire l’enseignant-chercheur. Et pour cause, « normalement on devrait avoir des fiches de suivi des apprenants depuis qu’ils sont entrés à la maternelle, mais nous n’avons pas cette tradition », fait savoir Dr Moustapha, avant de présenter une application concrète : « c’est une approche répandue dans des pays scandinaves. En Russie par exemple, c’est une pratique qui est en vogue. Là-bas, l’enfant fait quatre (4) ans à la maternelle avec le même enseignant. Cette pratique est beaucoup recommandée à la maternelle où l’encadrement des enfants exige beaucoup de soins pour les tout-petits ».
Aucune œuvre humaine n’étant parfaite, les personnes ressources lèvent aussi le voile sur d’éventuelles tares de cette façon de faire.
La personnalité de l’enseignant, pièce maîtresse du puzzle
Malgré tous les avantages que peut présenter cette approche, son principal inconvénient est la capacité de l’enseignant à transmettre ses mauvais traits de personnalité à ses apprenants durant leur cursus scolaire. « Si l’enseignant a des défauts, les élèves copient ces défauts sur six (06) ans », martèle le directeur de l’école primaire du GAS,
Parfait Amoussou, assis droit dans son fauteuil bourré. Le même point de vue est partagé par Dr Moustapha en ces termes : « si l’enseignant a des traits négatifs assez marqués, l’enfant va subir. Il n’a pas la possibilité de changer d’enseignant. Il va copier les tares de l’enseignant ». Cependant, pour l’enseignant-chercheur, il n’y a aucune méthode qui soit exempt d’inconvénients. « Il y a toujours un côté positif et un côté négatif des choses. C’est à nous de voir lequel des côtés pèse le plus. » , ajoute-t-il.
Sur cette note de fin, la question de la préférence a été posée : le système actuel de la variation des enseignants en cours de cycle est-elle meilleure à celle de sédentarité des enseignants tout au long du cycle pour accompagner une promotion d’apprenants ? Chacun donne son point de vue selon ses expériences et sa connaissance du système éducatif béninois.
Quelle option choisir pour un bon suivi des apprenants ?
Pour Dr Moustapha, enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation, « on ne peut pas dire véritablement ce qui est meilleur que l’autre. Il y a trop de situations imprévues qui peuvent infléchir les choses dans un sens comme dans l’autre. L’hypothèse qu’on émet, c’est qu’il faut procurer une stabilité de condition et d’évolution à l’enfant », explique le formateur d’enseignants dans les écoles normales. Par contre, Parfait Amoussou préfère le statu quo. Voici sa position : « ce que nous faisons maintenant présente comme avantage la variation dans l’encadrement. Les enfants connaissent plusieurs enseignants au cours de leur cycle, avec plusieurs comportements, plusieurs manières de transmettre le message. Cela enrichit plus l’enfant que dans l’autre cas ». Le directeur de l’école primaire GAS préfère que la priorité soit donnée à la formation des enseignants afin qu’ils aient les outils pour mieux identifier les difficultés des enfants. « Il faut former les enseignants à identifier les difficultés de chaque apprenant et à mettre en place l’accompagnement qu’il faut en maintenant une étroite collaboration entre la famille et l’école », pense le directeur.
Tout en reconnaissant l’importance d’un bon suivi des enfants, le chercheur jette les jalons d’une application de l’approche au Bénin. « Si les enfants sont bien encadrés, les programmes qui leur sont destinés vont être mieux assimilés. Ils vont acquérir beaucoup de choses qui vont améliorer leurs comportements, leur intégration dans le milieu social, en un mot leur socialisation », explique Dr Moustapha, avant d’aborder les conditions de l’application au Bénin : « Il faut beaucoup agir sur les enseignants si nous voulons mettre cela en pratique chez nous. Il faut les entretenir sur les manières de faire pour que cette pratique puisse procurer le plus d’avantages possibles aux enfants ».
Le suivi des apprenants dans leur cursus est un véritable défi. Les méthodes et les outils existent pour le faire. La décision de les expérimenter et de les implémenter appartient aux acteurs du système éducatif.
Adjéi KPONON