Au Bénin, ils sont nombreux, ces hommes et femmes de la communauté scolaire, à vitrioler sans réserve le programme d’études qualifié d’ ‘’Approche Par les Compétences (APC) ‘’, le rendant en partie responsable des échecs massifs. Il serait donc l’une des causes fondamentales des forts taux d’échec aux examens dans les sous-secteurs du primaire et du secondaire, surtout dans les établissements publics. Educ’Action, préoccupé et saisi par cette peinture peu reluisante, descend, dans ce dossier de la semaine, dans le labyrinthe des maux effritant le secteur de l’éducation pour en sortir un qui paraît, à plusieurs égards, anodin mais très déterminant pour le rayonnement de l’école au Bénin. Avec les autorités et personnes ressources rencontrées au cours de ce périple éducatif, votre journal a pu cerner l’univers cauchemardesque des emplois du temps bâclés, l’autre gangrène qui pourrit le système éducatif.
39,26% au Cep, 16% au Bepc et 30,14% au Bac. Ce sont là les résultats hallucinants produits par nos pathétiques candidats et l’ensemble des acteurs de l’école au soir des examens de fin d’année scolaire 2015-2016. Devant l’hécatombe, les gymnastiques intellectuelles ont fusé de partout, de tous les cercles d’intellectuels et mêmes des couvents pour tenter de justifier l’infamie. Les pseudo-éclairés du système comme de bons théoriciens, ont essayé suivant l’inspiration du jour, de situer les responsabilités : mauvaise implémentation de l’Approche Par les Compétences au sein du système éducatif, non qualification des enseignants encadreurs, absence de formations des professeurs, non motivation du corps enseignant, insuffisance d’infrastructures scolaires et des cadres pédagogiques, démission des parents d’élèves, inconscience doublée de l’irresponsabilité des apprenants, politisation de l’école, etc. Donc un chapelet de vices, de pratiques et de manquements graves à l’antipode de l’école mais qui, malheureusement, cohabitent avec l’école béninoise. Seulement, l’inspiration fertile des uns et des autres n’a pu faire le scanner du système en profondeur pour en sortir le mal flagrant que causent les emplois du temps bâclés. Aujourd’hui et depuis toujours, il se présente, en réalité, comme l’un des véritables problèmes et d’ailleurs le tout premier auquel il faut s’attaquer pour espérer, d’une part que le temps scolaire est effectivement respecté et d’autre, s’assurer que le programme des cours est intégralement exécuté. Hélas ! Au cœur du cercle éducatif, on s’y penche très peu par rapport aux autres difficultés de l’école. Heureusement, au travers de notre périple à Educ’Action, le bon sens semble gagner beaucoup de têtes qui, très humblement, arriment les échecs scolaires au non respect strict des emplois du temps. « Effectivement, je pense que le non respect des emplois du temps représente près de 30% des causes des échecs massifs des apprenants dans le système éducatif béninois. Cela ne saute pas à l’œil, mais c’est réel et il faut y pencher », a confessé à Educ’Action, un planificateur de l’école qui a requis l’anonymat. De l’avis de Joël Avocètien, administratif de l’école dans le sous-secteur du secondaire, malgré les conditions plus ou moins attractives dans le public, il est celui qui génère les faibles taux de réussite aux examens au plan national avec une longueur d’avance pour le privé qui arrive à positionner ses apprenants, très souvent, à la loge des scores. « Je déduis donc que certainement dans le privé où les enseignants ou professeurs ne sont pas aussi qualifiés que dans le public, il y a une organisation accompagnée de la rigueur qui permet de respecter scrupuleusement les emplois du temps établis », a-t-il précisé. Il ajoute, par ailleurs, que rarement dans le privé, les enseignants s’absentent ou manquent les cours juste pour un pépin. Pour Edgard Avogbannan, instituteur à la retraite, ‘’dans le public, l’insouciance et le syndicalisme sauvage ont fait que rapidement, on abandonne les classes et les apprenants, laissant en jachère l’emploi du temps. Toujours dans le public, d’autres pour des raisons politiques et électoralistes facilement délaissent leurs élèves ainsi que les cours pendant des jours. Et ce qui est malheureux, lorsque ces ‘‘djiadistes’’ de l’école reprennent les cours à leur guise et sans explications, ils ne tâchent même plus de rattraper le temps perdu ou les cours non faits, portant ainsi préjudice à ces âmes innocentes qui feront les frais lors des examens nationaux. Investiguer, vous allez découvrir que le cadre scolaire et pédagogique dans le public n’a rien à envier au privé, seulement c’est une question d’organisation et de cœur à l’ouvrage », a témoigné le septuagénaire.
Du système des heures libres ou classes volantes dans le public…
Le système des heures libres ou classes volantes semblent bien aussi l’autre apanage du public. Ce jour de classe alors qu’il sonnait environs 9h30 minutes, le jeune Berthelot, élève en classe de Terminale D au Ceg Godomey, un établissement public dans la commune d’Abomey-Calavi, département de l’Atlantique, s’offrait une partie de balade, cahier en main. Vêtu d’une culotte bigarrée avec une chemise manche longue, ce candidat potentiel à l’examen du baccalauréat 2017 désormais fixé pour le 19 juin, n’a pas idée de la situation que lui fait endurer le système. Approché, il déclare : «Je n’ai pas cours ce matin, j’ai plutôt cours à 14 heures ». Donc à 14 heures ce jour là, quand le soleil serait certainement au zénith, Berthelot serait au cours pour faire les sciences mathématiques. Quelle cohérence et pertinence de cet emploi du temps pour quel résultat? Et il n’est pas seul. La petite Mireille âgée de 9ans, élève au Ceg le Nokoué, un établissement public à Cotonou, s’occupe autrement pendant ces heures libres. « Je vais au marché pour ma maman qui vend de la tomate et les condiments au marché Godomey, non loin du commissariat de la localité. Quand je n’ai pas cours, je viens aider maman au marché et aujourd’hui, elle est allée à Dantokpa pour faire des achats. Donc je viens assurer l’intérim », a-t-elle témoigné d’un visage innocent. Comme eux, beaucoup d’autres élèves du public font l’expérience des heures libres et en usent autrement. Certains, certainement plus consciencieux, s’occupent à travers les révisions, d’autres pour aider les parents comme Mireille, d’autres encore pour nourrir leur plaisir à travers des activités peu éducatives. Ils sont livrés à eux-mêmes pour ainsi dire, posant ainsi le problème de la confection des emplois du temps. D’ailleurs, au Ceg Le Nokoué, un élève de la 6ième ou de la Terminale est soumis à plus de 6 heures libres en dehors des heures de repos formelles tandis que dans les établissements privés, l’enseignement est bien plus dense et couplé à des devoirs hebdomadaires. Ce qui, à titre comparatif, est plus bénéfique pour l’apprenant du privé qui est suivi et pris en compte dans le dispositif éducatif. Du coup, on ne doit pas s’étonner que le privé soit celui qui tire vers le haut le système éducatif béninois contre un public mal organisé, donc moins productif.
Des causes des heures libres ou classes volantes…
De l’avis des responsables des établissements rencontrés dans le public, les causes de cette liberté observée et décrétée au niveau des apprenants ne sont pas à chercher trop loin. Selon eux, ‘’c’est parce qu’il y a plus de groupes pédagogiques qu’il y a de salles de cours dans les centres éducatifs érigés par l’Etat’’. Pour Love Crucis Alladatin, censeur et directeur intérimaire du complexe scolaire Ste Félicité de Godomey, un établissement privé dans la commune d’Abomey-Calavi, il faut qu’il y ait un certain nombre de conditions réunies mis à part le quota horaire exigé au privé comme au public, avant que l’emploi du temps ne soit bien dense et que l’enseignement ne soit vraiment dosé. «Pour établir un emploi du temps, d’abord il y a le quota horaire exigé, il y a la succession des matières. Quand l’enfant a une matière scientifique déjà le matin de 7h à 10h, on doit faire en sorte qu’à partir de 10h, ça ne soit pas encore une matière scientifique, c’est-à-dire des matières qui demandent une forte concentration humaine pour la compréhension. De la même façon en série littéraire, on ne mettra pas forcément des matières qui demandent beaucoup plus d’investissements humains comme la philosophie, l’histoire-géographie. On doit donc impérativement éviter de les faire suivre. Si par exemple, on fait la philosophie à la première heure, on peut la faire suivre d’EPS ou bien par les mathématiques qui sont une matière subsidiaire en série littéraire. Ensuite, il faut tenir compte de la disponibilité du professeur», a-t-il expliqué avant de mentionner qu’au niveau de la contrainte de l’alternance des matières, il se pose un autre problème. «Il se fait que pour respecter la contrainte de la succession des matières, on est aussi confronté à la disponibilité des professeurs qui, l’un n’est libre qu’à une heure donnée. Là, on est obligé par exemple de faire les mathématiques de 7h à 10h et la physique de 10h à 12h, ce qui n’est pas l’idéal ». Hervé Houangni, directeur des enseignements scolaires du groupe scolaire ‘’Le Berger Fidèle’’ situé dans la zone du marché Dantokpa, a insisté, pour sa part, sur le fait qu’il faut également tenir compte de l’environnement ou du milieu dans lequel est logé l’école. «Nous sommes dans la zone de Dantokpa et donc, il ne faudra pas donner du temps aux enfants pour qu’ils sortent de l’école et s’amuser dans la rue ». Assis derrière son bureau en train de régler les derniers détails pour les devoirs prochains dans son établissement, le censeur du Ceg « Le Nokoué », Zacharie Kokou Hounsa, n’a pas démenti ce qu’ont dit ses prédécesseurs. Dans son établissement, en plus du quota horaire et de la disponibilité des enseignants, il tient également compte des salles de classes disponibles. «Nous en sommes à 65 groupes pédagogiques et nous n’avons que 44 salles. Le rapport fait 2/3 et donc, ça veut dire que nous avons 2 salles pour 3 à 4 groupes pédagogiques. Cela demande de notre part des gymnastiques. De là, vous allez constater que des élèves ont cours de 7h à 9h et ils attendent encore 17h avant de reprendre d’autres cours ; vous comprenez donc que c’est compte tenu de la disponibilité des salles», a-t-il fait remarquer pour ainsi montrer combien le manque ou l’insuffisance d’infrastructures scolaires a un impact négatif sur les résultats de fin d’année. Love Crucis Alladatin pointe d’un doigt accusateur le manque d’infrastructures dans les écoles ou établissements publiques. « On ne peut pas jeter la pierre aux autorités des établissements publics parce que c’est toute une gymnastique qu’ils font pour pouvoir faire dérouler les cours, alors qu’on a presque le double du nombre de classes par groupe pédagogique. Vous avez 30 groupes pédagogiques, mais vous ne disposez que de 10 ou de 15 salles de classes », a témoigné irrité ce censeur avant de féliciter tous ces directeurs qui arrivent malgré tout à faire fonctionner les établissements publics. Selon lui, ce sont ces situations qui nécessitent les nombreuses heures libres auxquelles on assiste dans les publics. Au complexe scolaire Ste Félicité, un établissement privé, les heures libres ne sont pas à l’ordre du jour. Les apprenants qui y sont inscrits, ont un emploi du temps bien serré. «Chez nous, nous avons constaté que les heures libres sont mal gérées par les apprenants. Ils flânent dans les rues, ils s’adonnent à des activités peu orthodoxes qui ne renforcent nullement leur connaissance. De ce constat, nous faisons alors plus que le quota normal, mais pas pour les cours, afin de garder les apprenants. Nous demandons alors aux professeurs d’organiser avec eux des séances d’exercices pour mieux les occuper au lieu de les laisser se promener. Nous avons aussi concocté des cours parascolaires comme le latin, le grec, le dessin, la musique qui viennent renforcer les connaissances des apprenants, mais qui ne sont pas des matières à évaluer aux examens», a informé le censeur du complexe scolaire Ste Félicité. Idem au groupe scolaire « Le Berger Fidèle » où le directeur des enseignements scolaires, Hervé Houangni, laisse comprendre que l’expression « heure libre » n’est pas inscrite dans son dictionnaire, même s’il reconnaît qu’il ne faut pas occuper les apprenants sans répis. « Chez nous, de 7h à 17h, nos élèves n’ont pas le temps, ils sont occupés par les cours et de 17h à 19h, ils sont occupés par les séances de révisions ou de compositions journalières. Donc, c’est comme cela que nous nous sommes entendus avec les parents d’élèves afin que les apprenants ne puissent pas sortir et s’amuser dans les autres écoles, surtout publiques». Même si de son côté, le censeur du Ceg Le Nokoué voudrait bien occuper ces élèves comme ceux des privés, il ne le pourra pas pour la seule et simple raison qu’il n’y a pas de salles de classes disponibles. « Lorsque vous n’avez que deux salles pour trois ou quatre groupes pédagogiques, ça ne se passe que comme ça. Ça devient encore plus compliquer dans la mesure où les classes d’examens ne sont pas roulantes, elles sont fixes. Nous en avons 8 en Terminale et 12 en Troisième, donc ça fait 20 salles. Sur les 44 salles dont nous disposons, 20 sont déjà fixes. Donc, nous disposons alors de 24 salles pour les autres groupes. C’est ce qui complique les choses. C’est pourquoi vous constatez qu’il y a cette dichotomie, cette discontinuité dans les cours. Ce n’est pas que les apprenants sont livrés à eux-mêmes. Si nous avons suffisamment de salles, nous pouvons faire venir les enfants de 8h à 12h et de 15h à 18h et les occuper comme il le faut », a-t-il ajouté, très préoccupé. Pour permettre à tous les groupes pédagogiques d’avoir leur tour de classes pour les cours, certains établissements publics font recours à des heures de repos formels des enfants, c’est-à-dire entre 12h et 15h. Au Ceg Le Nokoué dans un passé récent, ces cours s’observaient en grand nombre. Ce qui posait un autre problème, celui de l’assimilation des cours. A cette préoccupation, Love Crucis Alladatin a lancé désespéré ceci : « c’est la misère de la République, sinon normalement tous les apprenants devraient commencer à recevoir les cours de 7h parce que l’esprit est frais et déjà à midi, ils doivent avoir terminé et on n’a pas besoin d’aller jusqu’à 19h par exemple. Les apprenants peuvent terminer à 17h et de 17h à 19h, ils peuvent faire des matières beaucoup plus relaxes comme l’EPS qui est une matière forte, mais à caractère physique et récréatif. Mais comme l’Etat n’a pas fait suivre sa politique, du moins pour l’heure d’un plan exhaustif des investissements en infrastructures, le directeur est obligé de faire avec les moyens de bord ». Cette année par contre, ces heures de cours ont disparu du collège public Le Nokoué, selon les propos du censeur. « Dans certains établissements publics, les apprenants sont parfois obligés d’aller au cours de 13h à 15h, mais chez nous ici, nous avons tout fait pour ne pas avoir de cours de 13h à 15h. Les cours commencent de 7h à 13h et de 14h à 19h dans ce collège-ci. Généralement, quand on met les cours à 13h, c’est que les élèves avaient déjà fini les cours de la matinée à 10h, et ils ont dû se reposer jusqu’à 13h au moins. C’est rare », a-t-il nuancé. Pour pallier cet état de chose et redorer le blason du secteur de l’éducation au Bénin, il revient avant tout à l’Etat, selon les propos de ces responsables d’établissement rencontrés, de mettre les moyens infrastructurels à la disposition des établissements publics pour leur permettre d’occuper les élèves en temps réel. Mais pour l’heure, les emplois du temps demeurent un os dans la gorge du système éducatif béninois avec pour corolaire des taux d’échec massifs aux examens et l’absence de suivi et d’encadrement des apprenants.
Estelle DJIGRI