Système éducatif béninois : Les sources des litiges domaniaux en milieu scolaire (Des écoles et collèges publics entre insécurité et contre-productivité)

  • 0
  • 173 views

La cohabitation difficile due aux litiges domaniaux entre établissements scolaires et propriétaires terriens est toujours d’actualité dans le cadre éducatif béninois. Les causes sont bien légion avec des conséquences inestimables. Dans ce deuxième numéro du mois sur cette thématique, Educ’Action fait un focus sur les sources de litiges ainsi que les conséquences sur le fonctionnement des écoles et collèges concernés et relevant de l’Etat. C’est à travers ce reportage !

Dans le 6ième arrondissement de la ville de Cotonou, se dresse, majestueux, le quartier Sainte Cécile. Il se distingue par l’imposante église catholique de Sainte Cécile, jouxtant la voix pavée, mais surtout par la nature et la qualité des habitations de fortune construites aux abords du lac. Ici, logent depuis les années 1631, les premiers occupants que sont les Xwla, de grands pécheurs. A cette communauté originelle, s’identifie la cour royale Azangbé d’Ahouansori, de la dynastie royale Liya Adjahwa. Une dynastie qui a bien une histoire, un territoire et une langue, des conditions primaires donc pour légitimer une royauté au Bénin. L’actuel roi de cette dynastie royale, sa majesté Togbokandji Kpohazoun Linzé III, secrétaire général du Haut Conseil des Rois de l’Ouémé et du Plateau, et secrétaire général des Rois de la Vallée, en parle avec précisions et conviction. « Quand on parle d’histoire, il faudrait qu’il y ait des reliques, qu’il y ait des choses qui prouvent qu’à cet endroit, il s’était passé des choses. J’ai derrière moi quelque chose qui peut vous prouver que c’est la tombe d’un ancien roi, le dernier, celui à qui j’ai succédé. Donc, nous avons une histoire. Aujourd’hui, pour parler de la royauté, il faudrait que nous ayons une histoire, un territoire et une langue. Des conditions à remplir pour prétendre être un roi au Bénin. Ce que nous remplissons d’ailleurs », a déclaré à Educ’Action sa majesté Togbokandji Kpohazoun Linzé III, successeur du Roi Adjiffon Tognon Vava, décédé et inhumé depuis 1958 sur cette terre d’Ahouansori Agué, abritant le quartier Sainte Cécile. Seulement, depuis quelques années, cet espace de terre considérable à l’origine et dont la dynastie royale Liya Adjahwa se réclame être les propriétaires terriens, s’est étiolé avec l’installation en 1981, du Collège d’Enseignement Général du Lac. D’où l’origine du quiproquo lors du premier mandat du feu président Mathieu Kérékou, entre la dynastie et l’Etat central à travers les responsables de l’établissement scolaire qui se sont succédés. « Ce n’est que la royauté, les propriétaires terriens dans le cas d’espèce qui peuvent concéder des espaces ou domaines pour y ériger des édifices, en l’occurrence des écoles ou collèges publics pour nos enfants, les enfants du Bénin. Ce que nos parents avaient gentiment fait. Mais alors, décider aujourd’hui de nous arracher de force le reste de nos terres avec l’option de nous faire déguerpir manu militari, cela pose un problème. Nous avons des preuves, au moins quelque chose ici qui prouve que notre installation précède celle du collège », a dit à Educ’Action le roi de la dynastie royale Liya Adjahwa, soigneusement paré de ses attributs. Ainsi, il s’interprète que la donation du domaine qu’occupe le CEG du Lac, est faite par cette dynastie royale. Seulement, le litige domanial est bien ouvert entre cette collectivité familiale et l’établissement éducatif de l’Etat. D’ailleurs, sur le terrain, quelques feuilles de tôles avachies, aussi vieilles que cette histoire de litige, séparent la cour du CEG du Lac et les concessions de la dynastie. Cette cohabitation difficile n’est pas sans conséquences sur la gouvernance et la vie de l’école, à en croire les explications du directeur du collège d’enseignement général.

L’insécurité : Conséquence directe de la cohabitation famille-école

Cette proximité à polémiques des habitations de la dynastie avec les installations du collège pose prioritairement le problème de l’insécurité. C’est ce qu’il importe de relever des propos du directeur du CEG du Lac. Assis dans son fauteuil au bureau, Justin Sessou, le premier responsable du collège, a dit avoir hérité de cette situation de litige domanial après sa mutation à la tête de l’établissement scolaire. « Il y a de l’insécurité en ce sens que des individus entrent facilement dans le collège et volent nos biens. Même si on ferme le portail du collège, c’est tout comme si rien n’est fait puisqu’il y a des ouvertures ailleurs. Des individus peuvent prendre par ces ouvertures, et c’est un peu gênant », a déclaré à Educ’Action, Justin Sessou.
Dans cette situation litigieuse, les parties en conflit (collectivité familiale et collège) n’ont pas manqué de mener des démarches à l’endroit des autorités pour une sortie de ‘‘crise’’.

Vaines démarches en direction des autorités étatiques

Exhibant divers documents de la parcelle et autres au journaliste de Educ’Action, les membres de la dynastie royale Liya Adjahwa ont confié avoir mené des démarches sous feu président Mathieu Kérékou à ce jour, mais en vain. Barthélémy Hounga, fils de la dynastie royale, indique que des démarches ont été menées en direction de la mairie de Cotonou, la préfecture de Cotonou, voire le Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle et d’autres structures étatiques, sans pour autant réussir à conjurer le mal. « Au moment où ils ont fait la clôture du collège, nous avons écrit aux autorités pour leur notifier que nous sommes du territoire et qu’ici, vit une famille royale et par conséquent, on ne saurait chasser un roi de son territoire. Chaque fois qu’un nouveau président s’installe, il décide de venir nous déloger. Mais à chaque fois, nous leur montrons tous les papiers concernant le domaine. Au moment où le recasement et autres ont été faits, nous avons eu des papiers pour notre maison et on connaît les limites de notre domaine. Nous savons où commencent et finissent nos terres », a expliqué, écœuré, Barthélémy Hounga pour qui tout frise la brimade envers la collectivité.
Du côté des responsables du collège, des actions sont aussi faites, a confié le directeur du CEG du Lac. Hélas ! « Nous avons été voir l’ancien maire de la ville de Cotonou Isidore Gnonlonfoun qui connaît très bien le collège et qui a promis régler le problème. Malheureusement, il n’a pu le faire avant de partir. Notre plainte est allée plus loin. J’ai adressé une requête à la direction départementale qui a fait monter au plus haut niveau et la Présidence de la République a envoyé une délégation qui est descendue sur le terrain », a renseigné Justin Sessou, montrant que face à la situation, le CEG du Lac n’est pas resté inactif. Seulement, conclut-il, cette descente de la délégation de la Présidence de la République n’a pas eu l’effet escompté. Entre autres raisons, l’établissement n’a pas de papiers, dira-t-il. « La délégation de la Présidence est venue effectivement mais il n’y avait pas de papiers pour le collège. Ils ont alors dit que tant que le CEG n’a pas de papiers, ils ne peuvent pas se mettre à faire quoi que ce soit, de peur que les habitants se soulèvent un jour et se sera plus compliqué », a expliqué à Educ’Action, le directeur Justin Sessou. Face à la situation qui n’a que trop duré aux yeux des uns et des autres, les voix ne cessent de monter vers les autorités compétentes pour une résolution définitive du litige.

Le dédommagement comme ultime solution au litige domanial ?

Le litige domanial entre le CEG du Lac et la dynastie Liya Adjahwa a trop duré, se désolent les deux parties en conflit. Cette situation pourrait trouver une fin dès lors que l’Etat aura dédommagé la famille sans pour autant détruire le sépulcre dans lequel repose son ancêtre, le roi Adjifon Tognon Vava. « C’est nous qui avons octroyé des espaces au CEG, à l’école primaire et au centre de santé du quartier. Nous ne faisons pas d’histoire avec l’Etat, c’est l’Etat qui possède tout jusqu’à ma personne. Tout ce que nous demandons, c’est que justice soit faite », a formulé Barthélémy Hounga au nom de la famille à l’endroit des autorités. « Même si sur les papiers, nous avons constaté qu’ici, c’est un domaine réservé, il faudrait quand même nous trouver ailleurs, mais tout en préservant ici parce que c’est historique. Nous voulons sincèrement que le gouvernement actuel prenne au sérieux ce dossier parce que cela a trop duré. Nous attendons avec calme et sérénité que ce problème soit réglé pour que d’ici là, nous puissions avoir gain de cause, parce que nous ne sommes pas prêts à quitter la terre natale. C’est ma racine et je ne suis pas prêt à quitter », a laissé entendre l’actuel roi de la dynastie royale, sa majesté Togbokandji Kpohazoun Linzé III.
La même requête sera adressée par Justin Sessou, directeur du CEG du Lac, qui espère que ce problème va être pris très au sérieux pour que la solution vienne sous peu. Les regards sont donc tournés vers l’Etat pour un dénouement pacifique de cette situation litigieuse.

EPP Gbodjè-Womey : Une cohabitation difficile depuis 2009

Tout comme au CEG du Lac, la situation n’est pas reluisante à l’Ecole Primaire Publique Gbodjè-Womey. Située dans l’arrondissement de Godomey, commune d’Abomey-Calavi, au quartier Gbodjè, non loin de la Route Nationale Inter-Etats (RNIE 1), Cotonou-Lomé, et à quelques encablures du marché de Cococodji, l’école vit aussi ses réalités en matière de litige domanial. Les directrices des groupes A et B, respectivement Horrhus- Hoanou Iris Véra épse Aro et Mariam Boukary née Sidi Salifou, tentent de s’accommoder depuis leur prise de service. « Je suis arrivée ici en 2018. Mon prédécesseur m’a fait un petit rapport de ce qui se passe concernant ce litige. Il m’a dit que le bâtiment qui se trouve derrière l’école, est une parcelle appartenant à l’école et qui est du domaine de l’école. La famille qui est là ne veut pas quitter alors que la mairie l’aurait déjà dédommagée. Elle refuse de rejoindre sa nouvelle parcelle sous prétexte que c’est très loin d’ici. Donc, les membres de la famille ne veulent pas aller sur le nouveau site et jusqu’à présent, ils sont ici, ils ne veulent pas quitter. C’est ce que mon prédécesseur m’a donné comme information », a détaillé à Educ’Action la directrice du groupe B, Mariam Boukary. Avec sa collègue, elle introduit ainsi le sujet de ce litige domanial qui oppose la famille encore présente dans le domaine de l’école et les autorités administratives de la commune, voire l’Etat central. Approchée par la journaliste de Educ’Action, Thérèse Amoua, épouse du défunt père de la famille, donne sa version des faits. « C’est mon défunt mari qui a acheté cette parcelle depuis trente (30) ans. Le papier existe. Ils ont recasé tout le monde dans la zone mais arriver à notre niveau, ils ont dit qu’il n’y avait plus de place. Nous avons alors porté le dossier au niveau de la mairie d’Abomey-Calavi qui nous a dit qu’il se peut que la parcelle légalement achetée soit vendue par des tiers, et donc d’occuper la parcelle actuelle jusqu’à ce que l’agence en charge du recasement nous trouve une solution. C’est ce que la mairie nous a donc dit et nous sommes ici. Des années après, on vient encore nous dire de libérer l’espace qui doit abriter désormais une école publique et c’est ce qui nous opposait jusqu’à ce que mon époux tombe malade et décède plus tard »,
explique veuve Thérèse Amoua, elle qui vit encore avec sa petite famille dans ce domaine qui abrite également l’EPP Gbodjè-Womey.

Les causes du mal

Dans le cas de la veuve Thérèse Amoua, au bout de plusieurs démarches menées, la mairie d’Abomey-Calvi a finalement décidé de lui attribuer une nouvelle parcelle. « Peu de temps après cette nouvelle décision de la mairie, nous avons effectivement eu droit à une autre parcelle. Seulement, cette nouvelle parcelle est la propriété d’une autre personne. A l’époque, mon mari était encore vivant. Au début, après l’attribution de la parcelle, nous avons aussitôt fait le nécessaire pour l’intégrer. Mais très rapidement, nous avons été accueillis par les menaces de mort et même les affrontements des propriétaires. Nous sommes donc revenus de nouveau nous réinstaller ici. Depuis ce temps, ils promettent de nous trouver un autre emplacement jusqu’à ce jour, mais rien. Le frère de mon mari ne s’est pas donné de répit et se rend régulièrement à la mairie. A la mairie, on lui dit qu’on doit rester ici d’abord et qu’on va nous trouver un autre emplacement mais depuis, il n’y a rien », a témoigné veuve Thérèse Amoua. La question du dédommagement, Educ’Action l’a aussi posée à veuve Thérèse Amoua. « La mairie ne nous a aucunement dédommagés. La mairie ne nous a rien donnés, pas même un franc », va-t-elle marteler, très irritée, le regard un peu évasif comme pour se remémorer les anciens souvenirs.
Sans dédommagement et sans attribution d’une nouvelle parcelle, il sera donc impossible pour cette famille de libérer le domaine de l’école. Pour la veuve, cette situation ne serait plus d’actualité si seulement la mairie avait pris la peine de les dédommager ou de leur attribuer véritablement un espace.

Une cohabitation avec ses conséquences

Quoi que veuve Thérèse Amoua et sa petite famille ne se soient installées de plein gré dans le domaine de l’école, il n’en demeure pas moins que cette cohabitation litigieuse perturbe le bon déroulement des activités pédagogiques dans l’établissement scolaire. La directrice du groupe B, Mariam Boukary, renseigne à propos : « Cela nous crée beaucoup d’ennuis parce que les bâtiments de l’école sont juste derrière les chambres de la famille et quand les femmes font la cuisine, il y a la fumée qui gêne les enfants, les maîtresses et la famille aussi jette des ordures derrière et vraiment cela salit une partie de l’école. Ils font parfois du bruit dans la maison et cela gêne les enfants. C’est surtout la fumée qui nous gêne ». Par ailleurs, l’EPP de Gbodjè-Womey n’a pu être totalement clôturée du fait de cette cohabitation difficile qui expose élèves et enseignants à tout venant, notamment aux animaux domestiques. « Les animaux domestiques affluent par ici, surtout les chiennes qui viennent se cacher pour mettre bas. Quand elles mettent bas, elles deviennent très agressives et elles ont tendance à mordre les enfants. Les chats ainsi que les moutons nous côtoient. Vraiment, ce n’est pas bien. Comme l’école n’est pas clôturée, ces animaux, sans oublier de vils individus, entrent facilement », a informé la directrice du groupe B. « Mon prédécesseur m’a dit qu’il est allé poser le problème à la mairie d’Abomey-Calvi. Jusque-là, on n’a pas de suite. Même le chef de d’Arrondissement (CA) de Godomey était de passage pour nous promettre la clôture parce que nous n’en avons pas. L’école est accessible à tout le monde, à tout venant. Seulement, cette affaire de litige domanial a émoussé ses ardeurs », a-t-elle ajouté à Educ’Action.
Les exemples cités dans ce papier de terrain ne sont pas exhaustifs. Bien d’autres écoles, collèges publics sur l’ensemble du territoire national partagent cette dure réalité. Il faille donc que l’Etat trouve une solution à ces nombreux litiges domaniaux, afin de permettre aux apprenants d’étudier dans de bonnes conditions et en toute sécurité et sérénité.

La Rédaction

Bruno Messan, à propos des alternatives aux châtiments corporels à l’école : « Nous avons développé une alternative qui est l’écoute empathique des enfants »
Prev Post Bruno Messan, à propos des alternatives aux châtiments corporels à l’école : « Nous avons développé une alternative qui est l’écoute empathique des enfants »
Mikhael Mazu, Président Directeur Général de MyBeatus : « Les solutions de MyBeatus accompagnent les écoles dans la performance »
Next Post Mikhael Mazu, Président Directeur Général de MyBeatus : « Les solutions de MyBeatus accompagnent les écoles dans la performance »

Laissez un commenntaire :

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Vous n'avez pas le droit de copier ce contenu !