Théophile Gbègninou Kodjo-Sonou, à propos des réformes dans les EPES:« Les EPES se sont vidés des étudiants au profit des universités publiques »

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L’avènement du régime de la Rupture a entraîné de nombreuses réformes dans l’Enseignement Supérieur. Frappés de pleins fouets par les réformes, les Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (EPES) essaient de survivre en se mettant au diapason du rythme tutélaire. Examens nationaux de Licence et de Master ; régimes de création, d’ouverture, d’agrément, d’homologation ; fonctionnement interne, recrutement d’enseignants et d’étudiants ; régime d’imposition et fiscalité. Bref … A travers cet entretien réalisé le vendredi 10 janvier 2020, Educ’Action fait le point de la vie des EPES dans la tempête des réformes en tendant son micro à Théophile Gbègninou Kodjo-Sonou, Président-Fondateur de l’Institut Universitaire Panafricain, Président de l’Association des Grandes Ecoles, Instituts et Universités Privées du Bénin, qui saisit aussi l’occasion pour présenter ses vœux à la communauté universitaire. Lisez plutôt !

Educ’Action : Quel bilan faites-vous de la vie des EPES en 2019 ?

Théophile Gbègninou Kodjo-Sonou : 2019 a été une année très difficile parce que nous nous sommes rendus compte que dès lors que les examens ont été lancés, les EPES se sont vidés. Donc, l’effet qu’on escomptait n’est pas celui qu’on a eu. Il y a eu un effet boomerang, c’est-à-dire que le gouvernement a lancé les reformes pour que, in fine, on puisse faire la distinction entre les EPES qui offrent des formations de grande qualité et ceux qui ne forment pas bien pour qu’ils puissent mieux s’organiser et faire en sorte que la qualité de leur formation respecte les normes. Cet objectif est atteint. Mais l’autre objectif qui n’est pas atteint, c’est le désengorgement des universités publiques qui était, je crois, l’objectif du gouvernement lors du lancement de ces réformes. Malheureusement, les examens nationaux de Licence que nous avons soutenus durant les trois ans, étant donné que nous restons dans l’esprit du décret 194 du 29 mars 2017, nous avons eu l’effet contraire parce que les EPES se sont vidés des étudiants au profit des universités publiques. C’est cela que nous déplorons. Le 02 novembre 2018 à Parakou, lorsque le professeur Marie-Odile Attanasso, alors ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, lançait l’année universitaire à l’occasion de la rentrée solennelle, j’ai représenté tous les EPES et je lui ai notifié publiquement devant plus de 4000 personnes que nos établissements se sont vidés. Lorsqu’on a fini les trois ans des examens nationaux de Licence, je crois qu’après la première édition déjà, il aurait fallu que le gouvernement commence à orienter systématiquement dans nos établissements, les jeunes bacheliers. Je ne dis pas qu’il faut nécessairement payer, c’est vrai qu’on pourrait donner une petite subvention même si c’est l’inscription qui est payée par le gouvernement, les parents auront une idée de la qualité des établissements. Donc, les gens auront plus confiance, car le problème qui se pose vraiment est un problème de confiance. Parce qu’il y a des établissements qui se créent et qui forment de façon médiocre. C’est cela que le gouvernement est en train de corriger mais malheureusement on n’a pas orienté les étudiants dans les EPES et c’est une insuffisance majeure. L’autre insuffisance, c’est qu’on avait dit entre temps que les services de communication avaient mal fonctionné. Le directeur des Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (DEPES) a fait ce qu’il peut, car c’est quelqu’un qui travaille bien. Mais la communication, c’est en ligne, c’est par Whatsapp. C’est par téléphone qu’on nous appelait pour emmener des documents lors des agréments. Donc, il a fait ce qu’il peut avec les moyens dont il disposait, soutenu par nous tous, nous qui avions voulu que ces réformes naissent pour assainir le secteur afin que la qualité soit.

Qu’en est-il des autres difficultés des EPES notamment la qualité du personnel enseignant et les infrastructures ?

Je suis moi-même maître-assistant des universités du CAMES. Nous avons aussi fait le port de toge à trois maîtres-assistants de l’IUP et nous ne sommes pas seuls. Il y a d’autres établissements qui ont des cadres chevronnés qui sont des formateurs. Je veux dire des professionnels et même des professeurs de rang magistral qui sont inscrits au CAMES. Nous par exemple, dès lors qu’on a lancé les réformes, nous avons compris et avons commencé à inscrire nos enseignants permanents au CAMES. Les EPES ont fait un effort louable pour revoir leur personnel et sa qualité. Pour que la qualité soit quand on parle d’école, c’est d’abord les infrastructures où les étudiants peuvent s’asseoir et recevoir les cours. Mais aussi les enseignants qui ont le savoir et qui doivent le dispenser comme cela se doit. Enfin, les parents qui doivent accompagner, le gouvernement aussi pour le cadrage juridique, technique et administratif. Le problème majeur a été les effectifs. Nous avons fait des efforts, car nous nous adaptons à ce que les réformes nous recommandent. Seulement que là où on dit qu’il faut 60 % des enseignants permanents, cela sera difficile à faire si les étudiants ne sont pas orientés. Cela va être très difficile. Même les universités publiques n’ont pas 60 % dans certaines entités.

Qu’en est-il du financement des EPES ?

Il y a zéro financement. Le financement, ce sont les fondés eux-mêmes, c’est la contribution des étudiants. Ce qui est vraiment insuffisant, c’est même insignifiant parce nous sommes obligés d’aller faire des prêts un peu partout et ça fonctionne comme cela malheureusement. C’est seulement au Bénin que ça fonctionne de cette façon. Dans la sous-région, vous ne verrez dans aucun pays où le gouvernement ne va au secours des universités privées ou n’oriente les étudiants dans ces universités avec un peu de financement que les parents complètent pour la qualité de la formation. Quand vous êtes en filière journalisme, en étude de la langue française ou de la langue anglaise, ce n’est pas la même chose. Le journalisme est plus professionnel, a besoin de stages pratiques, voire de laboratoires de radio ou de télévision, ce qui n’est pas une affaire de deux ou trois millions, mais de beaucoup de millions. Donc, pour qu’on ne continue plus d’envoyer les étudiants à l’étranger pour aller étudier le journalisme, il va falloir les former sur place. Cela se fait déjà, mais il faut que le gouvernement accompagne et sache que les cadres formés au Bénin sont des cadres qui maîtrisent les techniques, les rouages, les systèmes béninois et répondront mieux professionnellement que d’autres qui sont formés ailleurs. Il faut payer les impôts, car nous sommes un pays de fiscalité.

Quelle est votre appréciation du système d’imposition des EPES ?

Nous vivons les impositions très mal parce que c’est très agressif. Nous avons rencontré le directeur des impôts en 2016 et en 2017 pour lui dire d’arrêter un peu. Les EPES rendent un service social. Ce sont des charges sociales de l’État qu’ils accomplissent. Ils essaient d’accompagner l’État dans ses fonctions de formation puisque la Constitution a dit que c’est l’État qui régularise et organise la formation de ses cadres. Nous, nous sommes délégués à travers les autorisations que nous avons obtenues pour accompagner ce que l’État fait. Donc, ce sont des charges sociales. Il va falloir que quelque part le gouvernement nous accorde des subventions. Cela peut être fait en don de matériels didactiques : tableaux, ordinateurs ou selon les formations avec des laboratoires de langues, des livres, etc. Lorsqu’un Béninois publie un livre ou lorsque des documents sont publiés, le gouvernement peut dire pour les privés j’en achète 1000 ou 2000. Tout cela participe au développement de l’éducation dans notre pays et de la qualité de ce que veut le gouvernement. En même temps que le gouvernement veut des réformes et nous avons répondu en disant que nous voulons accompagner le gouvernement dans ces réformes, il va falloir étudier le contour, faire l’évaluation et dire mais attention pour que cela marche bien, il faut apporter ci, il faut apporter ça. C’est cela qui manque parfois, mais nous sommes en train de communiquer et nous sommes sûrs que le gouvernement saura répondre à ces demandes et doléances.

Quels sont alors vos défis et chantiers pour 2020 ?

Le grand chantier, c’est d’abord que les EPES non homologués soient homologués. Pourquoi ? Nous avons commencé les réformes avec des EPES qui devraient être agréés. Le décret 818 du 31 décembre 2008 stipule que les EPES fonctionnent sous quatre régimes : régime de création, d’ouverture, d’agrément et d’homologation. Régime d’ouverture, lorsque vous êtes ouvert, l’article 23 stipule que vous êtes placés sous tutelle d’une université publique. C’est-à-dire que vous devez signer un accord avec une université publique qui vous accompagne. Mais dès lors que vous êtes agréés, c’est fini. Vous avez quitté la tutelle, vous opérez de façon personnelle, indépendamment des autres structures. En 2017, nous avons fourni des tas de documents pour montrer la qualité de ce qui se fait. Sur près de cent (100) EPES qui ont déposé, j’exagère avec les chiffres peut-être, je sais que vingt ont été agréés. L’Institut Universitaire Panafricain en fait partie. On a publié les résultats le 12 ou le 13 novembre 2018. Deux ans après, ces vingt agréés ne sont pas homologués. C’est une insuffisance qui ne rentre pas dans l’esprit du décret 194 du 29 mars 2017 qui a lancé les examens nationaux de Licence puisque c’est dit clairement qu’à la fin de la troisième édition on aura homologué les EPES qui auraient respecté les normes prescrites en la matière. C’est un défi parce qu’on n’a pas pu. La dernière fois, la ministre a dit à la télévision que l’évaluation est faite, que c’est bon, on reconduit les examens pour trois ans. Mais non ! Elle a évalué avec qui ? On n’est pas va-t’en guerre et on voudrait bien la rencontrer pour discuter avec elle. Parce que s’il y a des cadres autour d’elle qui ne lui disent pas la vérité, nous on va lui dire la vérité. Parfois, on ira dans les médias pour dire la vérité. La vérité parce qu’on peut vérifier. Les résultats ont été publiés le 13 novembre 2018, mais aucun arrêté n’a été pris ni aucun décret. Ce qui est une insuffisance majeure. On ne peut pas dans une République publier les résultats d’un travail aussi sérieux, d’une commission aussi sérieuse qui a travaillé sur les EPES et ne pas valider cela par un arrêté. Il n’y a pas aussi de note de service. Le 29 novembre 2019, l’actuelle ministre, le professeur Eléonore Yayi Ladékan a signé une notification d’information sur laquelle on retrouve la liste de 31 EPES agréés. Si c’est le cas, il va falloir qu’on passe à l’homologation. Les EPES qui sont homologués ne feront plus d’examen, car ils seront reconnus par décret présidentiel. Ils ont atteint un sommet où ils peuvent délivrer leurs diplômes. Le premier défi, c’est l’homologation avant fin mars 2020 sinon on ne serait pas resté dans le décret signé par le Président Patrice Talon que j’aime bien.

Quels sont alors les autres défis ?

Autre défi, c’est que les EPES qui ne sont pas agréés doivent passer à l’agrément. On a donné un sursis d’un an parce qu’on a estimé que c’était un peu trop à la va-vite. Donc, d’octobre 2019 à octobre 2020, c’est terminé. Cette année, on va lancer encore le dépôt des dossiers pour ces écoles qui ne sont pas agréées, quitte à ce que les écoles agréées continuent et évoluent de façon autonome. Alors, les contrôles peuvent venir puisque le DEPES est le garant de la qualité. Tout cela est prévu dans les articles ! L’article 66 du décret 818 du 31 décembre 2008 stipule que lorsque l’EPES homologué ne fonctionne pas bien, il est placé sous tutelle. Tout est organisé dans ce décret, mais je ne sais pas pourquoi on ne respecte pas comme cela se doit. Troisième défi qui me paraît important, c’est l’orientation systématique des étudiants. C’est une demande permanente. On a fait les examens en août 2017 et jusqu’à présent les étudiants n’ont pas eu leurs diplômes. Les étudiants des EPES qui sont déclarés admissibles, n’ont pas eu leurs attestations ni leurs diplômes jusqu’à l’heure où je parle. De 2017, première édition, 2018, deuxième édition et 2019 troisième édition, ils n’ont pas eu de diplômes. On leur a donné des attestations de 2017 qui précisent une année de validité. Ces attestations ont été servies en novembre 2018 c’est-à-dire que c’était presque obsolète avant qu’on ne leur donne. Ceux de 2018 n’ont pas encore eu leurs attestations et ceux de 2019 aussi. Nous avons soutenu ces réformes, mais il faut que les étudiants aient leurs parchemins. Je crois qu’ils y travaillent actuellement, selon les échos qui nous parviennent. [Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a publié un communiqué invitant les admis aux examens nationaux de Licence et Master à déposer leurs dossiers de demande d’attestation et diplômes à compter du jeudi 16 janvier 2020, 6 jours après la réalisation de l’interview, Ndr]. Selon les normes de l’UNESCO, quand vous formez des étudiants, il faut que trois mois après, ils aient leurs parchemins, mais le maximum, c’est six mois. Le quatrième défi, c’est la fiscalité. Il faut que cela s’arrête. Nous avons écrit à l’autorité pour lui dire que nous voulons bien payer, mais pas toutes les formes puisque nous ne sommes pas des entreprises qui gagnons de l’argent. Non ! Nous sommes en train d’assister l’État dans la formation des cadres de ce pays. C’est un service social que nous rendons à l’État. On ne saurait nous vilipender, nous traiter de voyous, rentrer dans les EPES et fermer tout en disant donner de l’argent comme dans les entreprises. Non ! Nous ne sommes pas des entrepreneurs de l’éducation comme les gens le pensent. On est formateur, on est des gens différents, on a un statut différent. On a presque le statut des universités publiques parce que lorsque vous êtes homologués, vous êtes reconnus par décret. Nous formons des cadres, les EPES sont des personnes morales qui forment des cadres de qualité pour le développement de ce pays parce que sans éducation, il n’y a pas de développement.

Quels sont vos vœux en cette année à l’endroit de la communauté universitaire pour conclure cet entretien ?

Je voudrais présenter aux étudiants partout où ils sont mes meilleurs vœux de prospérité, de bonheur et de succès surtout. Je leur demande d’être assidus pour le succès. Je présente aussi mes vœux les meilleurs aux enseignants et aux promoteurs d’EPES. Je présente aussi mes meilleurs vœux au professeur Marie-Odile Attanasso avec qui on a commencé les réformes, et aussi au Professeur Eléonore Yayi Ladékan qui l’a remplacée. A travers elle, je présente mes vœux les meilleurs à tout son cabinet et au Président de la République.

Propos recueillis par Adjéi KPONON

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