Travail et exploitation des enfants : Le calvaire des ‘‘Vidomégon’’ au marché de Ouando

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Dans plusieurs communautés, les enfants sont encore livrés au travail et à l’exploitation domestique et économique. Il est loisible d’en observer dans les marchés et dans les maisons. Ce sont des enfants appelés ‘‘Enfants placés’’ ou ‘‘Vidomégon’’. Ils sont souvent maltraités et subissent parfois des traitements dégradants. Sur les faits et facteurs qui conduisent à ce phénomène du travail des enfants, constat de terrain !

Vaste plateau de tomates et divers condiments sur la tête, D.T., une fillette de moins de 10 ans circule dans les ruelles du marché de Ouando à Porto-Novo. Soleil brûlant, il est presque 13 heures dans ce marché qui grouille de monde et qui accueille d’ailleurs nombre de personnes venant de plusieurs horizons pour des achats et des ventes d’articles ou de marchandises. Nous rapprochant de D.T. pour nous enquérir de sa situation. Elle est originaire d’une commune du département du Plateau et serait orpheline de père. Sa mère n’ayant pas les moyens de prendre en charge une famille de sept enfants, elle a dû l’envoyer à son oncle qui l’a ensuite confiée à la femme d’un de ses amis résidant à Porto-Novo. « Je n’ai pas été scolarisée, je fais le petit commerce pour ma tutrice qui me tient durement, et mon quotidien c’est la vente au marché. Je souffre auprès de ma tutrice mais je n’y peux rien », déclare la petite innocente D.T.

Landjou Laniba Choukourath, Présidente des marchés de Porto-Novo

Elle n’est pas seule dans ce grand marché à se soumettre à une activité presque quotidienne de vente ambulante. D’autres comme D.T. portent sur leur tête des marchandises plus ou moins lourdes ou pesantes (ignames, savons détergent, produits cosmétiques, sachets d’eau, bouteilles de boissons, etc.) à transporter malgré les intempéries. En réalité, ce sont des enfants placés communément appelés dans notre jargon local « Vidomégon ». Ces enfants, qui sont pour la plupart des filles, se retrouvent dans les grandes villes du pays, alors qu’ils proviennent des villages voisins et sont souvent confiés à de tierces personnes pour être éduqués. Mais malheureusement, ils finissent par être exploités à travers le phénomène du travail des enfants. Pour Milka Soudé, animatrice d’Ong à Porto-Novo, le constat de la situation sociale de ces enfants placés qu’on retrouve dans les marchés et dans les rues est écœurant : « ils travaillent dans des conditions dangereuses, ils y sont exploités et sont sans repos, sans rémunération et au détriment de leurs droits les plus élémentaires. »

Milka Soudé, Animatrice d’Ong

Parallèle entre le travail des enfants, le placement et la traîte

Ces enfants qui sont placés subissent généralement le travail des enfants. Le placement, c’est lorsque l’enfant est remis par ses parents ou tuteurs à d’autres tuteurs sous l’autorité desquels il se retrouve placé. Ainsi, les enfants placés sont sans doute issus de zones défavorisées et provenant de familles assez pauvres. « Ces enfants ou adolescents sont souvent à la recherche du mieux-être, à travers un travail par lequel ils peuvent satisfaire leurs besoins primaires, accomplir leurs projets de vie ou s’éloigner des conditions de pauvreté de tout genre qu’ils subissent dans leur localité de départ », laisse entendre la juriste Rose Aude Agwu qui précise tout de même que pour la plupart des cas, ce sont les parents au village qui livrent leurs propres enfants à l’exploitation domestique ou économique pour en tirer quelques revenus à périodicité déterminée avec les tuteurs ou les recruteurs d’enfants. Quand on parle du travail des enfants, le phénomène pourrait être assimilé à la traite, alerte la juriste qui évoque l’article 3 de la loi du 10 avril 2006 portant Condition de déplacement des mineurs et répression de la traître d’enfants en République du Bénin. « Sont qualifiées de traîte d’enfant, toute convention ayant pour objet d’aliéner, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, la liberté ou la personne d’un enfant. On entend également par traite d’enfants, le recrutement, le transport, le transfert, le placement, l’accueil ou l’hébergement d’un enfant aux fins d’exploitation quel que soit le moyen utilisé ».

Quelques faits sur le phénomène de ‘‘Vidomégon’’

Si le phénomène du travail des enfants est bien observé dans nos communautés, il existe des faits qui émeuvent lorsque vous faites un tour dans les marchés et autres espaces publics. « Malgré les actions de sensibilisation que mènent les pouvoirs publics, les Ong et nous-mêmes, nous continuons d’observer les enfants maltraités. Quand vous voyez leurs conditions en situation de vente au marché, cela vous fait pitié », se désole Landjou Laniba Choukoura, présidente des marchés de Porto-Novo. Décrivant certaines conditions des enfants placés, Milka Soudé, cette animatrice d’Ong confie que la majorité de ces enfants placés n’ont qu’un repas par jour avec au plus cent francs pour s’acheter quelque chose. Quand ils font les ventes, ils n’ont même pas la possibilité d’y prendre un copeck pour s’acheter de l’eau de 25 francs ou n’importe quoi s’ils le désirent, même si c’est au coût de 10 francs. Pire, ils sont bastonnés au retour lorsque le compte financier n’est pas bon ou lorsqu’ils perdent un centime.
Par ailleurs, le phénomène du travail des enfants s’observe avec acuité dans les maisons où ces enfants font l’objet d’exploitation domestique. Reine Djossou, institutrice de formation fait savoir que certains tuteurs sont méchants envers les enfants placés qui ne bénéficient d’aucune attention en comparaison à leurs propres enfants. « Des enfants qui se réveillent très tôt pendant que les propres enfants des tuteurs dorment encore, ils sont assujettis aux travaux domestiques de toutes sortes, cravache en main pour les réprimer à la moindre erreur, et ces mêmes enfants placés dorment très tard après que tout le monde soit couché. Pire, ils ne sont pas scolarisés, ils sont mal vêtus et sans un minimum de soins de confort », se plaint l’institutrice. A Porto-Novo, il est loisible d’observer cette maltraitance des enfants en situation de travail chez les dames dite « Aladja », commerçantes dans les grands marchés. Certaines d’entre elles s’arrangent pour toujours avoir des enfants sous leur garde, et qu’elles exploitent allègrement. Vous en verrez dans les véhicules taxis tôt le matin qui quittent Porto-Novo pour rejoindre le marché Dantokpa, et une fois là-bas ce sont des corvées à vendre toute la journée presque affamés, nous informe Reine Djossou.

Les facteurs d’incitation au travail des enfants

Dans notre société, il existe bien de facteurs d’incitation et d’attraction du travail des enfants. C’est ce que révèle une récente recherche sur le travail des enfants, étude commanditée dans le cadre du projet « Briser les chaînes du travail et de l’exploitation domestique des enfants au Bénin et au Burkina Faso », et réalisée par des universitaires béninois et burkinabé.
Comme facteurs, on y trouve la nécessité économique. Dans les régions à taux de pauvreté élevés, en particulier les zones rurales et certaines communautés urbaines, le travail domestique des enfants apparaît souvent comme une stratégie de survie pour les familles. Les trafiquants d’êtres humains exploitent ce désespoir financier, en offrant de l’argent aux parents afin de prendre l’enfant comme « Vidomegon » gratuitement, promettant une éducation et de meilleures conditions de vie aux parents qui acceptent d’envoyer leurs enfants pour être ‘‘Vidomegons’’. Cependant, ces enfants finissent souvent par être exploités et victimes de traite, contrairement aux promesses faites à leurs familles. Il faut signaler qu’une croyance largement répandue soutient que la migration urbaine offre des opportunités économiques, perpétuant le cycle du travail des enfants.
L’autre facteur d’incitation au travail des enfants serait les préférences de l’employeur prêt à récupérer un enfant auprès de lui pour le travail. Il apparaît que les employeurs optent souvent pour le travail des enfants, en particulier les enfants âgés de 5 à 14 ans, plutôt que pour l’emploi des adultes pour de multiples raisons socio-économiques. Les enfants sont perçus comme moins susceptibles de contester les mauvais traitements et plus malléables aux désirs de l’employeur. Cette préférence se traduit souvent par une durée de service plus longue de la part des enfants employés.
Les déplacements provoqués par les changements climatiques et les conflits sont également au cœur du travail des enfants. Les phénomènes climatiques extrêmes tels que les sécheresses et les inondations déclenchent des migrations à l’intérieur et entre les zones rurales et urbaines, rendant les enfants plus disponibles pour le travail dans les régions nouvellement peuplées. De même, les conflits entraînent souvent des déplacements internes et des séparations familiales, qui contribuent indirectement à l’augmentation du travail des enfants dans les zones urbaines.

Rose Aude Agwu, Juriste

En outre, les superstitions et les peurs contribuent au phénomène du travail des enfants. Car les faits de sorcellerie peuvent conduire les familles à renvoyer leurs enfants. Souvent, les parents considèrent l’envoi de leurs enfants dans d’autres ménages comme une forme de protection contre ces peurs et superstitions communautaires.
Si le phénomène Vidomégon est encore d’actualité autour de nous, la pratique pourrait être plus humanisée. Mais il n’en demeure pas moins que des dispositions juridiques en termes de protection de l’enfance existent au Bénin. Et si nul n’est au-dessus de la loi ! Des actions de sensibilisation sont à engager pour convaincre les acteurs à cesser les pratiques qui détruisent l’avenir de l’enfant.

Obed SAGBO

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