Une problématique essentielle nous interpelle de nos jours. Il s’agit de déterminer ce qui identifie, définit et réalise l’homme, entre le travail et le loisir. Il s’agit de comprendre et d’accepter ce qui est primordial pour fonder l’être et tout l’être.
La question devient cruciale dans un monde en constante mutation, qui semble donner la priorité au loisir sur le travail ; au ludique sur l’utile. Naguère, il s’agissait de travailler pour se réaliser car tout le monde s’accordait sur le fait que le réconfort est au bout de l’effort. De nos jours, le travail serait-il juste une larme nécessaire dans un océan de divertissement ?
Pourtant, toutes les traditions ont magnifié la valeur du travail même si son étymologie latine renvoie à la notion de … torture ! L’importance accordée au loisir est en fait récente. Ce que les civilisations recherchaient c’était plutôt un temps de repos conséquent et des accompagnements sociaux et médicaux en cas d’indisponibilité. Imaginez qu’il fallut attendre les années 1960-1970 pour que le sociologue français Joffre DUMAZEDIER commence à théoriser la civilisation des loisirs dans Vers une civilisation du loisir ? puis une sociologie empirique du loisir. Il postulait que le loisir allait devenir le vecteur central de la société. Et aujourd’hui, en à peine un quart de siècle, le loisir semble avoir remplacé le travail comme valeur première dans la mondialisation.
Tout semble le montrer : on ne vit même plus pour manger ou encore on ne mange même plus pour vivre. Non, voilà que nous existons pour jouir à l’infini de plaisirs divers procurés par des loisirs sans cesse renouvelés et décomplexés. La plupart des individus travaillent aujourd’hui presque mécaniquement en préparant le moment où ils se libèreront pour s’adonner à leur loisir. Il faut souligner que la révolution industrielle avait fortement contribué à faire voir le travail comme le lieu de l’aliénation humaine de telle façon que les parcelles de repos et donc de liberté se sont arrachées contre une industrialisation socialement négative. En même temps, comment comprendre cette course effrénée vers ce monde de loisir où le maître mot est cette jouissance qui ne vient plus comme une récompense de l’effort qui est désiré, voulu et maitrisé mais comme un besoin égoïste et narcissique de retour à l’enfance pour laisser libre cours aux pulsions ? En attendant de mieux comprendre les ressorts psychosociologiques de l’être qui refuse semble-t-il un monde qu’il ne comprend pas, qui l’effraie et le dépasse pour s’effacer et se dissoudre dans des succédanés, on se surprend à penser qu’il y a pire !
On peut comprendre et accepter la formule « métro, boulot, dodo » du monde industriel et unidimensionnel de l’occidental moyen, mais on se perd en conjectures dans notre microcosme africain où ceux qui ne travaillent pas et qui apparemment n’ont même pas de quoi se nourrir correctement une fois par jour, sont encore les plus addictifs au loisir. En effet, dans un monde où la grande majorité est dans un chômage qu’on cache pudiquement sous le vocable de « sous-emploi » arguant du fait que le secteur informel impressionnant de dynamisme nourrit hommes, femmes, enfants et couvée, on se demande comment et pourquoi on peut se reposer, se délasser et se perdre dans ce qui ne relève d’aucun effort. Comment se reposer quand on n’a pas de travail ? Comment savourer les délices de loisirs multiples et de plus en plus futiles. Le pire, comme le CFA, comme la quasi majorité de tout ce que nous consommons, ce loisir est exporté et payant, vidant nos poches des maigres pécules trouvés on ne sait où ! Comment peut-on se contenter de vivre de l’inutile et dans l’inutile ? Passe encore qu’on travaille pour qu’on puisse nous reprocher de trop nous amuser. Il y a là un renversement délétère qui appauvrit voire détruit le principe de l’effort vivifiant, du projet enrichissant et de la réussite sociale et individuelle qui aide à se réaliser.
Vous comprenez alors les ratés de notre éducation qui est sans projet de vie et sans compétence d’entreprise. Nous avions échoué à travers des curricula lourds et improductifs qui ne donnent pas prise sur la vie matérielle, la promotion de nos ressources endogènes et de nos valeurs de solidarité, d’effort et de respect. Vivement des lendemains qui chantent à travers la promotion de l’enseignant, du cultivateur et de l’artisan béninois !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe