Les difficultés d’apprentissage ont toujours été une source de préoccupation pour les enseignants et les parents, soucieux de la réussite scolaire de leurs enfants. Regroupées sous le vocable ‘‘Troubles d’apprentissage’’ ou encore ‘‘Troubles dys’’, elles constituent un blocage permanent pour l’évolution scolaire des apprenants, si rien n’est fait. Ces difficultés ne sont perceptibles que lorsqu’on se retrouve en présence de certains signes. Educ’Action vous propose, à travers cet article, d’aller à la rencontre de l’un de ces troubles : «La dyscalculie». Voici ce que disent les spécialistes sur ses causes, manifestations et conséquences.
«Bonsoir chers maîtres ! Je viens vous voir pour le cas de mon enfant Roméo (Prénom attribué). Il est très jeune et peut réussir dans ses études. Mais il ne fait rien en classe, si je m’en tiens aux observations de son maître d’école. Pour le répéter, mon enfant ne fournit aucun effort en classe, surtout en ce qui concerne les mathématiques. Il estime que malgré tout ce qu’il fait pour l’aider à s’en sortir, il n’a jamais gain de cause. Même ses camarades essaient de l’aider en lui réexpliquant, à leur tour, ce qui a été fait en classe mais rien ne bouge. Il est même devenu le plus grand dans la salle à force de redoubler. Comme nous sommes tous de la même paroisse, j’espérais vous en parler pour que vous puissiez discuter avec lui. C’est votre petit frère, peut-être qu’en le conseillant, avec l’aide de Dieu, il vous écoutera et pourra prendre la résolution de travailler désormais. Sinon, je n’ai pas les moyens pour l’envoyer dans une autre école». Ce sont les propos d’une mère visiblement désespérée à l’endroit à d’un petit groupe de maîtres catéchistes, pour tenter de trouver une solution au cas de son jeune garçon âgé de 10 ans et apprenant en classe de CE2. Réunis à la fin de la catéchèse un samedi du mois d’octobre 2021, sous l’un des manguiers d’une église catholique très connue de Cotonou, ces catéchistes viennent ainsi d’être sollicités pour aider cette maman à jouer pleinement son rôle d’éducatrice. Ils doivent désormais garder un œil sur ce jeune garçon et le contraindre, par tous les moyens, à réussir. C’est l’essentiel de la requête formulée par cette maman.
Pour notifier leur totale adhésion à cette cause, l’un des catéchistes joue sa carte d’intimidation sur le jeune Roméo. «Donc comme cela, tu ne fais rien en classe. Si tu n’excelles pas à l’école, tu n’auras pas ta communion, tu sais cela au moins ? Et au petit de répliquer : «Je travaille un peu. C’est la mathématique que je n’arrive pas du tout à comprendre.» Comme pour appuyer les propos de son enfant, la mère reprend de plus belle en langue Fon (langue locale parlée dans le sud du Bénin), afin d’attirer l’attention de tous les passants par sa forte voix. «Il ne sait même pas compter l’argent que tous les enfants de son âge comptent. On ne peut pas l’envoyer acheter et espérer qu’il rentre avec la totalité de la monnaie», a-t-elle fait savoir avant que l’un des catéchistes ne lui demande de rentrer en la rassurant de ce qu’ils en font leur préoccupation désormais.
Ces révélations faites par la mère et son enfant ont attiré l’attention de l’équipe de Educ’Action présente sur les lieux, sur l’un des troubles d’apprentissage dont pourrait souffrir ce jeune garçon. Ce qui met la puce à l’oreille, c’est cette phrase du petit garçon : «Je travaille un peu. C’est la mathématique que je n’arrive pas du tout à comprendre.» Le trouble d’apprentissage lié au calcul, la dyscalculie pourrait être la cause du problème de Roméo.
Troubles d’apprentissage, lever le voile de l’ignorance
La réussite scolaire d’un apprenant peut être éprouvée par l’existence de différents troubles d’apprentissage, connus ou non, des géniteurs. Au nombre de six (06), ces troubles constituent un obstacle majeur pour l’évolution de l’enfant malgré son désir de prospérer sur le plan scolaire. Encore appelés troubles ‘‘dys’’, ces troubles d’apprentissage sont, entre autres, les dyslexies, la dysphasie, la dyspraxie, la dysorthographie, les troubles d’hyper activité, et enfin la dyscalculie. Cette dernière, sur la liste fournie par l’orthophoniste Mickaël Viègbé, est définie ici par les spécialistes selon qu’ils sont pédopsychiatre, psychologue ou orthophoniste. Se référant la cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM5), Mickaël Viègbé explique que ce sont «les difficultés d’apprentissage ressorties par des tests standardisés dont les résultats n’équivalent pas au niveau réel auquel on s’attendait de la part de l’enfant, sans qu’il y ait perturbation au niveau organique ou au niveau scolaire». C’est dire donc que le cerveau de l’enfant n’est pas perturbé, l’essence de perception, qu’elle soit auditive ou visuelle, n’est pas perturbée. Au niveau scolaire, il n’a pas de difficulté particulière, il est fréquent et régulier à l’école, pourtant il a des difficultés. Son collègue psychologue, Elwis Assogba, va lui emboîter le pas en exposant son point de vue. De façon plus claire, il dira que «les troubles de l’apprentissage constituent une difficulté persistante qu’éprouve un enfant lors de l’apprentissage quel que soit l’origine, la nature ou le degré de celui-ci».
Dans son développement, il regroupe ces troubles en deux grandes parties, à savoir les troubles spécifiques et les troubles secondaires. Les troubles spécifiques font allusion, à l’en croire, aux dysfonctions dans le processus de développement de la psychomotricité, de la perception, du langage, des aspects cognitifs de la mémoire ou la concentration. Il poursuit dans ses envolées explicatives faisant observer que ces dysfonctions provoquent un décalage entre les résultats effectifs et les résultats potentiels lors de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul chez les enfants dotés d’une intelligence normale sans déficience sensorielle, sans lésion corporelle. Par contre, pour les troubles secondaires, il faudra vérifier si au niveau de l’enfant, il n’y a pas un trouble consécutif à un déficit intellectuel ; sensoriel grave, ou à un déficit moteur important. Du moins, c’est ce qu’on peut retenir des propos du psychologue.
A son tour, le docteur Racine de Pascal Viou, pédopsychiatre, tente d’abord de faire comprendre que les troubles de l’apprentissage regroupent des difficultés dans l’acquisition des compétences dans certains domaines. Compétences qui ne sont pas spontanées dans le développement de l’enfant, mais qui résultent d’actions pédagogiques méthodiques. Dans sa définition de la dyscalculie, le pédopsychiatre précise que «c’est untrouble des compétences numériques recouvrant aussi bien des difficultés de calcul proprement dites que des difficultés dans la compréhension des chiffres et des symboles arithmétiques ainsi que leur manipulation». Définition à laquelle adhère complètement Elwis Assogba. La présence de certains signes chez l’enfant peut déjà mettre la puce à l’oreille de sparents et enseignants sur l’existence d’un éventuel trouble.
Difficulté de rétention de tout ce qui relève des maths, la principale manifestation
Nul doute que nos écoles sont remplies d’apprenants touchés par des troubles d’apprentissage. Tout comme Roméo, plusieurs d’entre eux affichent des insuffisances aussi bien dans le domaine du calcul que de la lecture, de l’écriture et de l’orthographe. Mais il y a des signes qui peuvent déjà attirer l’attention des parents et enseignants sur une probable existence de l’un de ces troubles chez l’enfant. Pour ce qui nous concerne ici, la dyscalculie, peut d’ores et déjà être soupçonnée chez un enfant dès la manifestation de certains signes. Selon les explications de Dr Racine de Pascal Viou, ces manifestations peuvent être retrouvées précocement de la grande section de maternelle au CE1 (entre 4 ans et 8 ans) en faisant référence aux objectifs pédagogiques dans notre pays où les bases doivent être fixées de la grande section de maternelle à la classe de CE1. «L’enfant ayant une dyscalculie éprouve les plus grandes difficultés à saisir la logique numérique et à utiliser de manière rationnelle les chiffres», a expliqué le spécialiste de la santé mentale des enfants et adolescents. Vêtu d’un complet ‘‘Good Luck’’ de couleur grise sombre et assis dans son fauteuil, il ajoute qu’on constate chez ces types d’apprenants, « Des difficultés d’intégration et de manipulation du système numérique à savoir le comptage, la lecture et l’écriture des nombres, la compréhension et la reconnaissance des nombres et des symboles arithmétiques (+, -,/,x,=….)».
A cette liste, Mickaël Viègbè, orthophoniste ajoute : «Il y a les notions qui induisent les mathématiques à savoir : ‘‘plus petit’’, ‘‘plus grand’’, ‘‘inférieur à’’, ‘‘supérieur à’’, ‘‘peu de’’, ‘‘moins de’’. Ce sont des notions auxquelles l’enfant n’a pas accès. Il a aussi de la peine à comprendre les énoncées de problèmes.» Il ne s’arrête pas en si bon chemin. Pour permettre de mieux comprendre, il use d’exemple pour expliquer que l’enfant a des difficultés à se repérer par rapport à la gauche et la droite dans l’espace, de même qu’il lui est difficile de procéder aux calculs les plus simples d’addition, de soustraction, de multiplication. Aussi, explique-t-il, exemple à l’appui, que ce type d’enfant ne peut pas gérer tout ce qui est argent. Ce trouble peut provenir de plusieurs sources selon les explications fournies par ces spécialistes.
Plusieurs causes imputées à la dyscalculie chez l’enfant
Il n’y a pas, jusqu’à présent, des causes directes, des causes isolées qui soient responsables de la dyscalculie en elle-même, si on se réfère aux définitions données plus haut. La science n’a pas encore réussi à identifier les causes propres à ce trouble, informe Mickaël Viègbè. Cependant, certaines pathologies ainsi que certaines situations survenues sur la santé de l’enfant lors de sa naissance, peuvent être à la base de ce trouble. «Cela peut être dû à une déficience sensorielle, à des lésions corporelles, à la réaction de l’enfant à sa naissance. Il y a également l’environnement familial.Lorsque l’enfant en ses premières années de vie est sujet de malentendu entre les parents ou a subi des actes de violence ou un traumatisme, il peut développer un trouble de l’apprentissage», a martelé le psychologue Elwis Assogba.
Le Dr Racine de Pascal Viou, va dire aussi que «la dyscalculie peut être le résultat de l’inadaptation des méthodes d’apprentissages, d’erreurs pédagogiques ; d’une inhibition intellectuelle secondaire à une négligence ou carence affective sévère, un trouble anxieux ou d’une dépression de l’enfant ; de retard mental». Evidemment ! semble répondre Mickaël Viègbè dont les propos rejoignent ceux de ses pairs. Tous sont unanimes, affirmant que les causes génétiques, ne doivent pas être occultées. Puisqu’il n’y a pas de causes sans effet, ce trouble ne reste pas sans conséquence sur la vie de l’apprenant.
Echec scolaire et baisse de l’estime de soi, des conséquences inévitables
«La plupart de ces enfants chez qui on rencontre ces difficultés sont en échec scolaire», lance, sans tabou, l’orthophoniste Mickaël Viègbè. Installé dans son bureau de circonstance à la Faculté des Sciences de la Santé, ses propos viennent étayer ceux de la maman de Roméo qui se plaignait des échecs répétés de son enfant lors de sa rencontre avec les catéchistes. Autres conséquences soulignées par ce spécialiste, la baisse d’estime de soi. «C’est vrai qu’il n’y a pas que les mathématiques ou l’arithmétique à l’école, il y a d’autres choses. Mais quand on prend l’enfant dans ce domaine, il est complètement coincé et de ce fait, il va commencer à se sous-estimer», a-t-il exposé. A en croire cet orthophoniste qui, le temps de fournir d’amples explications a revêtu ses vêtements de psychologue, dès lors qu’il y a perte d’estime de soi, tout ce qui tourne autour de l’école est pris comme mauvais et avec cet état psychique non reluisant, l’enfant finira par abandonner l’école.
Il est un secret de polichinelle que le système éducatif béninois survalorise les compétences en calcul. Cette lecture faite par le Dr Racine de Pascal Viou, vient justifier les traitements que subissent ces apprenants en classe. «Très vite, ces enfants sont considérés comme des ‘‘cancres’’ parce que soumis à un rythme académique qui ne correspond pas à leurs difficultés. Les enseignants avec la lourde charge de nombreux enfants, sont alarmistes», a-t-il fait observer. Il poursuit en expliquant que les regards des camarades sont tournés vers ce type d’apprenants, incapables face aux multiples sollicitations. Par conséquent, ils subissent les cris de colère de même que les châtiments corporels et deviennent la risée de leurs camarades. «Ce faisant, il naît en eux des sentiments de marginalisation, de rejet social, d’incompétence, de dévalorisation avec une baisse de l’estime de soi. Ils se replient sur eux-mêmes et d’autres s’opposent à l’apprentissage», a-t-il évoqué pour appuyer son collègue.
La patience, le premier pas vers le salut
Face aux enfants atteints du trouble de calcul, enseignants et parents sont invités à une grande patience pour mieux les encadrer. «L’enseignant qui se retrouve face à ce cas d’enfant doit être vraiment patient. Il doit trouver les stratégies accessibles d’approche pédagogique à adapter à cet enfant particulier. Il doit savoir qu’il ne va pas passer son message de la même manière qu’avec les autres enfants», a conseillé l’orthophoniste Mickaël Viègbè. Dr Racine De Pascal Viou pense, lui aussi, que «devant ces difficultés, un enseignant doit d’abord faire preuve de patience et d’attention envers cet enfant et ne jamais le marginaliser». En plus de la patience, Elwis Assogba invite l’enseignant confronté à cette situation, à répéter autant que possible, à reformuler les choses et à amener l’enfant à lui réexpliquer le sujet pour être sûr que le message est passé.
Les parents, quant à eux, doivent éviter de frustrer un enfant porteur de trouble. Malgré ses nombreuses occupations, le psychologue Elwis Assogba trouve un bout de temps pour expliquer aux parents «qu’ils doivent être disposés à accompagner leur enfant, à l’écouter, à ne pas le juger, ne pas le comparer à d’autres enfants. Ils doivent parler avec lui, le stimuler davantage». Tout enfant doit être accepté tel qu’il est, a d’abord laissé entendre Mickaël Viègbè à l’endroit des parents, avant de les exhorter par la suite à «suivre le développement de l’enfant, à comprendre et à accepter l’enfant et ses difficultés. Il doit passer la même consigne plusieurs fois à l’enfant et être patient». Patience, calme, attention et affection, ne jamais marginaliser cet enfant. Ce sont là l’invite du Dr Racine De Pascal Viou à l’endroit des parents. A tout ceci, doit s’ajouter une prise en charge par les spécialistes, ont-ils fait observer.
Pour ces personnes ressources, les autorités en charge de l’éducation doivent également jouer un rôle dans la gestion de ces types d’apprenants. «Cela me fait un peu mal que les autorités en charge de l’éducation se soucient très peu de ces notions de troubles», se désole l’orthophoniste. Pour répéter ses propos, l’Etat doit envoyer des spécialistes dans les écoles comme activités de pré-rentrée, pour faire des exercices sur les apprenants. Ce qui leur permettra de diagnostiquer au plus tôt ces enfants et les prendre en charge si nécessaire. La même observation sera faite par Elwis Assogba qui laisse entendre que «quand on va dans n’importe quelle école aujourd’hui, on est sûr de rencontrer un enfant porteur de trouble d’apprentissage. Ce serait bien si l’Etat peut revoir sa politique et mettre à la disposition des enseignants ou du système éducatif, quelques mesures afin que ces enfants bénéficient d’une meilleure prise en charge». La nécessité de former les enseignants à la notion de troubles d’apprentissage et à une bonne gestion des enfants qui en sont porteurs, serait un atout pour l’école béninoise, ont conclu les spécialistes.
Estelle DJIGRI