Le déroulement des activités pédagogiques par l’enseignant en situation de classe ne reste pas sans difficultés face à des catégories particulières d’apprenants. Parmi eux, on trouve ceux présentant des caractéristiques des Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H). Que comprendre par TDA/H chez l’apprenant ? Quelles en sont les manifestations et quelles solutions adéquates existe-t-il du point de vue psychologique et pédagogique ? Ce sont les questions auxquelles répond le présent article.
Nous sommes à Ladji, un quartier situé dans le 6e arrondissement de la ville de Cotonou, précisément dans l’Ecole Primaire Publique (EPP) qui sert de lieu d’apprentissage aux apprenants de cette localité. L’horloge indique 15 heures cet après-midi du jeudi 27 janvier 2022. Les activités pédagogiques se poursuivent en cette journée moins ensoleillée que d’habitude. La dizaine d’âge, toute remontée, une écolière de la classe de CM2 s’approche du directeur du groupe B, qui est en plus l’enseignant de cette classe d’examen, en tenant un cahier en main. « Qu’as-tu ? », questionne l’enseignant. Et à celle-ci de se plaindre de l’un de ses camarades de classe qui a déchiré son cahier de cours. De façon proactive, l’enseignant fait appeler l’apprenant accusé. Place à l’interrogatoire. « Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi as-tu déchiré son cahier ? », interroge l’enseignant, qui enchaîne les questions pour faire parler le fautif. Et à celui-ci de répondre simplement : « Je ne sais pas. » Autrement dit, ce dernier n’a aucune idée de la raison pour laquelle, il a abîmé le cahier de sa camarade de classe. Malgré la réponse de l’apprenant, les questions du directeur continuent : « Qu’es-tu allé chercher derrière ? Elle est assise derrière toi non ! Et qu’est ce qui t’a poussé à aller prendre son cahier ? Que voulais-tu en faire ? ». La réponse de l’apprenant reste toujours inchangée : « Je ne sais pas. »
Plus loin, à l’EPP Sikè Nord, l’un des directeurs vient de s’entretenir avec un parent d’élève. Et pour cause, son enfant, sans aucune retenue, a pris le soin d’ouvrir l’une des fenêtres de sa classe afin de l’escalader sous prétexte que son stylo est tombé de l’autre côté. « Mais par quelle alchimie son stylo a pu se retrouver là-bas ? », s’est interrogé ce dernier. Dessiner pendant le cours, griffer ou pincer son camarade de table, bavarder sans retenue, placer intentionnellement du chewin-gum sur le banc de son voisin de table afin que celui-ci s’y asseye, etc. Ce sont autant d’exemples qui soulèvent et mettent en exergue la question des Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) chez l’apprenant.
Les TDA/H : causes et catégorisation
Que comprendre par Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) ? Pour Bernard Comlan, psychologue et consultant en stratégies éducatives, « les TDA/H sont des troubles psychologiques dans lesquels on retrouve un ensemble de symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité. Un apprenant qui dérange tout le monde en classe et ne peut rester calme pendant au moins une minute pour suivre le maître ou la maîtresse en classe. Un écolier qui taquine tout le temps ses camarades mais qui est très éveillé et intelligent selon les observations de l’enseignant(e), a une forte chance d’être dépisté souffrant de Troubles Déficitaires de l’Attention avec Hyperactivité ». Poursuivant ses explications, il précise que « les TDA/H sont des problèmes neurologiques qui apparaissent durant l’enfance. Les enfants qui en souffrent ont des difficultés à se concentrer sur une activité dans une durée relativement longue. Ils ont aussi une certaine facilité à l’impulsivité. Ils n’arrivent pas à effectuer une même activité dans le temps. Ils sont vite ‘‘ennuyés’’ et cherchent constamment à passer à de nouvelles activités. On dirait qu’ils reçoivent plus de stimulations dans leur cerveau que les autres enfants. Mais il peut arriver que certains élèves souffrant de TDA/H soient calmes, ne présentant pas de l’impulsivité et de l’hyperactivité ».
Les TDA/H sont des troubles liés à des anomalies de développement et de fonctionnement du cerveau. Se référant aux causes de ces troubles, de l’avis de Bernard Comlan, « dans la majorité des cas, il y a une composante héréditaire. Les TDA/H ne sont pas causés par des besoins affectifs non comblés ou par des problèmes psychosociaux, même s’ils peuvent être exacerbés par ces facteurs. Il n’y a pas non plus de lien entre les TDA/H et l’intelligence de la personne ». Ainsi, il distingue trois (03) catégories de TDA/H à savoir les TDA/H se manifestant plus par l’inattention du sujet, ceux caractérisés le plus par l’hyperactivité et l’impulsivité et la catégorie de ceux qui combinent les deux, c’est-à-dire la catégorie des sujets qui sont plus dominés par l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité.
Pour les enseignants, il n’est pas rare de faire constamment face à ces types d’apprenants. La pédagogie à appliquer est tout autre, au risque de voir les activités pédagogiques s’interrompre momentanément.
Les enseignants en parlent
Angèle Agueh est enseignante, titulaire de la classe du CP au groupe A à l’Ecole Primaire Publique Ladji. Pour cette dernière, faire face à des apprenants souffrant de Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité est « un phénomène que nous vivons presque tous les jours. Il y en a qui ne sont vraiment pas attentifs à ce qu’on fait ». Même son de cloche émis par sa collègue Tatiana Kouessi du groupe B, titulaire de la classe du CE2 qui martèle qu’il y a « plusieurs de ces cas et à chaque fois c’est à différents problèmes que nous sommes confrontés ».
Profitant de l’occasion, les enseignants renseignent à titre indicatif sur les comportements que tienne la plupart du temps cette catégorie d’élèves. Pour Tatiana Kouessi, l’apprenant souffrant de TDA/H « n’est pas attentif, il s’intéresse par exemple au bruit de l’avion qui passe, des camions, ou bien des cris d’à côté. Il se peut aussi que l’enfant pense à ce qui se passe à la maison. L’attention de l’enfant n’est pas dans la classe ». Du côté de Angèle Agueh qui tient les écoliers du CP, il s’agit plutôt des « pleurs qui ne finissent pas, soit il est sous la table et ce sont des griffes aux camarades qui sont autour de lui ». Au niveau de l’EPP Sikè Nord, Mathias Gandogbé, est instituteur titulaire de la classe du CM2. Comme ses collègues de l’EPP Ladji, il a des apprenants souffrant de TDA/H et renseigne sur les attitudes de ces derniers. « Il y a plusieurs cas que nous enregistrons. Par exemple, lors de nos prestations pédagogiques, on peut rencontrer des apprenants qui font semblant de suivre, ils fixent correctement l’enseignant mais en réalité après une interrogation pour voir s’il suit, vous vous rendez compte qu’il était évasif. Soit il était intéressé par votre vocabulaire soit par votre habillement. Tout sauf le contenu de la notion que vous êtes en train de lui enseigner ce jour-là », a-t-il fait savoir. Aussi, renseigne-t-il, pendant que le cours est dispensé, « c’est le moment pour l’enfant de vraiment s’atteler à dessiner ou à écrire quelque chose sur son cahier ou à piquer son ami ». Face à la particularité de ces apprenants, les spécialistes apportent davantage d’explication pour aider les acteurs.
L’avis du spécialiste
De toute évidence, les apprenants confrontés aux TDA/H, présentent des traits de distraction. Pour Bernard Comlan, psychologue et consultant en stratégies éducatives, cette catégorie d’élèves peut être identifiée en suivant un certain nombre d’indices. Ainsi, il révèle que, les enfants faisant partie de la catégorie de l’inattention, ont des difficultés à prêter attention aux détails. Au cours d’une lecture et des leçons, ils ont du mal à soutenir leur attention. Ce sont souvent des enfants qui semblent être absents d’esprit quand on leur parle. Ils ont du mal à se conformer aux consignes et ne terminent pas les tâches entamées. Ils n’arrivent pas à planifier et à s’organiser dans leurs activités. Ils évitent ou font à contrecœur les activités qui demandent un effort mental soutenu. Ce sont des enfants qui sont facilement distraits par des stimuli externes et perdent facilement des objets personnels (sac, ardoise, cahiers, livres, crayons, …). Ensuite, pour les enfants de la catégorie de TDA/H assortis d’impulsivité, on pourrait observer un débit rapide de la parole. Ils répondent aux questions avant même qu’elles ne soient formulées. Ils montrent de l’impatience et arrivent difficilement à attendre leur tour. Ces enfants interrompent souvent les autres ou imposent leur présence (font irruption dans les conversations). Puis enfin, chez les enfants de la troisième catégorie qui ont plus d’hypersensibilité, ils remuent souvent les mains et les pieds, bougent sur leur siège. Ils éprouvent aussi la difficulté à rester assis, ils courent et grimpent. Chez l’adulte, on parle de bougeotte [Manie de bouger, de voyager, ndr].
Encadrer les élèves atteints de TDA/H nécessite bien d’appliquer une autre forme de pédagogie afin que ces derniers puissent assimiler les messages véhiculés durant les activités pédagogiques à l’école. Pour les enseignants, l’écoute et la patience sont avant tout des exigences. A tour de rôle, ils livrent les méthodes qu’ils emploient afin d’aider ces apprenants.
Que faire pour y remédier ?
Les méthodes employées par les enseignants pour gérer les apprenants qui souffrent de Troubles Déficitaires de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) sont multiples et variées. Elles diffèrent d’un enseignant à un autre. Angèle Agueh, enseignante titulaire de la classe du CP au groupe A de l’EPP Ladji décrit sa méthode à elle. « D’abord, on essaie de s’intéresser à eux. Quand on s’intéresse à l’enfant, on le met en confiance, de manière à ce qu’il sente qu’il est avec quelqu’un qui va lui trouver des solutions. Et quand il est en confiance, il finit par ‘‘lâcher le mot’’ comme on le dit. Pour sa collègue du même établissement, Tatiana Kouessi du groupe B, titulaire de la classe du CE2, il s’agit de mettre l’enfant au cœur même de l’apprentissage. Ainsi fait-elle savoir, « il faut nécessairement intégrer ce genre d’apprenants. Il faut que l’enfant soit l’acteur de l’apprentissage. Il faut l’impliquer dans ce qui se passe. Cela se fait à travers les jeux au sein de l’apprentissage. Il y a les jeux de rôles dans lesquels on peut donner un rôle à l’enfant, on le responsabilise afin qu’il dirige ses amis et fasse quelque chose. A part les jeux de rôles, nous avons la concrétisation. Quand l’enfant a le contraire à côté de lui, ça l’empêche aussi de voyager et d’être présent de corps uniquement. Ainsi, on capte son attention dans la classe ». Allant dans le même sens que ses pairs, Mathias Gandogbé, instituteur titulaire de la classe du CM2 à l’EPP Sikè Nord martèle : « Nous insistons pour inviter chaque fois l’enfant pour des exercices au tableau et nous l’amenons à réagir à chaque fois que nous déroulons par exemple, une séquence de classe. L’enseignant pour une bonne harmonie doit créer par exemple, un climat de confiance. Lequel climat de confiance l’amènerait quand même à avoir maintenant un dialogue parfait avec l’enfant dont il est question pour l’amener progressivement à s’intéresser aux activités pédagogiques. Donc voilà un peu ce que nous proposons quand nous faisons recours à notre pédagogie », explique l’enseignant Mathias Gandogbé.
Du même avis que les enseignants, Bernard Comlan suggère pour remédier aux TDA/H chez l’apprenant, que « l’enseignant fasse preuve de patience en optant pour une éducation bienveillante. Il faut essayer d’écouter et de faire savoir qu’on a compris ses difficultés. On pourra consulter avec intérêt un médecin spécialiste pour une prise en charge pharmacologique », fait savoir le spécialiste avant d’ajouter, du point de vue pédagogique, que « l’enseignant qui milite pour une pédagogie inspirée de la discipline positive aidera l’enfant souffrant de TDA/H à se sentir écouté, aimé et soutenu dans ses souffrances ».
Un mot à l’endroit des parents et enseignants
L’aptitude à gérer les enfants souffrant de TDA/H n’est souvent pas chose aisée pour certains enseignants. Parfois, ils s’y prennent mal avec ces apprenants au point d’aggraver la situation au lieu de l’améliorer. Angèle Agueh, Tatiana Kouessi et Mathias Gandogbé tous enseignants respectivement à l’EPP Ladji et Sikè Nord invitent leurs confrères qui se retrouvent dans l’embarras face à ce genre de situations à se mettre avant tout dans la peau d’un parent, de s’intéresser à chaque enfant, de connaître leurs forces et leurs faiblesses. Il urge donc d’être patient et chercher à comprendre l’enfant avant de savoir comment l’impliquer dans ce qui est étudié en classe.
Quant à Bernard Comlan, psychologue et consultant en stratégies éducatives « quelle que soit la pathologie de l’enfant, il est fortement recommandé aux parents de consulter un professionnel pour un accompagnement adéquat de l’enfant. J’exhorte, par ailleurs, les parents à être plus présents dans la vie de leur enfant. Consacrer du temps à comprendre et à accompagner les enfants les aide à minimiser les conséquences des TDA/H », va-t-il dire pour conclure.
Gloria ADJIVESSODE