Chaque 20 mars est célébrée, dans le monde entier, la Journée Internationale de la Francophonie. Cette année, cette journée a pour thème « La Francophonie de l’avenir », pour souligner le soutien de la Francophonie à la Jeunesse et à ses aspirations, notamment dans les domaines de l’entreprenariat, du numérique et du développement durable. Francophonie de l’avenir, oui, mais interrogeons-nous sur l’usage actuel de la langue française dans nos écoles et centres d’éducation. Quel est l’état des lieux ? Quelles sont les difficultés que rencontrent les apprenants dans l’apprentissage de la langue française ? Qu’est-ce qui se fait pour promouvoir la langue française ?
La langue française dénommée langue de Molière est le moyen de communication dans l’espace francophone. Dans nos écoles ou divers établissements scolaires et universitaires, on le constate de plus en plus : même si le français est la langue officielle ou de travail, il subit un mauvais usage de la part des locuteurs. « les apprenants parlent mal le français » est devenu une évidence ou encore : « le niveau de langue est très bas »…, autant de propos recueillis dans le rang des enseignants ou de personnes bien averties. Tant de difficultés s’observent chez les apprenants, dans la pratique et le maniement de la langue française ! Professeur de lettres au Collège d’Enseignement Général (CEG) 1 d’Ekpè, Jacques Dossou déclare : « Plusieurs apprenants ne s’expriment pas bien quand ils doivent parler le français. Ils violent quasi quotidiennement les règles de grammaire, de conjugaison et d’orthographe dans leur discours, et pis encore sur les copies d’évaluation, les règles de syntaxe sont bafouées comme pour dire que nos apprenants écrivent parfois au son et sans cohérence. À tous les niveaux, que vous soyez au premier cycle ou au second cycle du collège, les réalités sont presque les mêmes. Je vous avoue qu’on éprouve très peu de plaisir à lire ou à écouter nos apprenants lorsqu’ils s’expriment. À chaque fois, on est obligé de corriger et de reprendre les apprenants pour qu’ils puissent faire passer leurs idées et se faire comprendre aisément. » Il poursuit ses explications en ajoutant que les enseignants de français sont particulièrement confrontés à cette situation de mauvais usage de la langue française et les enseignants d’autres disciplines le vivent aussi à leur manière étant donné que les cours sont dispensés dans cette langue officielle.
Les causes exposées …
Les apprenants, quant à eux, reconnaissent leurs lacunes en français. Plusieurs facteurs contribuent malheureusement à cette réalité. Mariath S. affirme que tout commence au foyer, où on ne s’habitue pas à la langue de Molière. « Nos parents communiquent avec nous dans les langues locales ; entre amis au quartier ou dans la rue, on parle la langue locale. Ce n’est qu’à l’école que nous avons l’occasion de parler français. Ce seul espace ne nous aide vraiment pas à une meilleure expression ». Par ailleurs, d’autres élèves estiment que la faute leur incombe car ils ne se consacrent pas à la lecture. « Nous ne lisons pas, il faut le reconnaître. Malgré tous les conseils que nous recevons de nos enseignants de beaucoup lire, nous négligeons cette activité alors qu’elle pourrait nous aider à mieux parler le français en découvrant les mots et en étant sensible à leur orthographe et à leur sens », confie l’élève Ayouba H.
Quant au socio-anthropologue, le Dr Prince Gbegnito, deux éléments justifient le mauvais usage de la langue française dans les espaces scolaires ou même universitaires. « Dans un premier temps, il y a la prise de conscience des Béninois de l’enjeu que constitue la promotion des langues maternelles. D’ailleurs, ceci se traduit par le fait que nombre de parents voire d’éducateurs enseignent ou encouragent les enfants à parler les langues nationales. Ensuite, vient l’autre constat selon lequel l’enfant veut personnellement faire des expériences. Pour ce faire, il veut appartenir à des groupes et utiliser le langage codé du groupe. Dans cet ordre d’idées, il est remarqué que les enfants dans les groupes d’amis à l’école préfèrent constituer une identité basée sur les origines géographique, religieuse ou sociolinguistique. C’est dire donc que ces apprenants préfèrent avoir leur propre identité par rapport aux différentes langues nationales. D’où cette diversité linguistique en milieu scolaire et la dépréciation de la langue française. »
Approches de solutions pour promouvoir la langue de Molière …
Quelles stratégies déployer dans les écoles pour promouvoir la langue française et amener les apprenants à davantage s’exprimer ? Hervé Hounkpatin, professeur de lettres, affirme : « Le vernaculaire est d’abord interdit dans mon établissement et les mesures coercitives accompagnent, c’est-à-dire que tout apprenant qui parle le vernaculaire avec son camarade est systématiquement puni. Voilà une technique qui amène nos élèves à s’exprimer dans la langue de Molière et à en prendre l’habitude. L’autre stratégie est que dans les classes que je tiens, j’anime très souvent des séances de lecture dirigée. J’amène les élèves à lire en classe et à découvrir des passages intéressants de l’ouvrage, ce qui motive à continuer la lecture à la maison. A leur retour, ils ont l’occasion de poser des questions sur ce qu’ils n’ont pas compris et nous répondons à leurs préoccupations. »
Le Dr Prince Gbegnito estime pour sa part : « Pour promouvoir la langue française en milieu scolaire, il urge de faciliter l’alphabétisation des parents afin que ces derniers soient en mesure d’accompagner les enfants dans l’acquisition de la langue française dès le bas-âge. Car, l’enseignant, à lui seul, ne peut pas accélérer la compétence des enfants en langue française. » Toutefois, renchérit le socio-anthropologue, « il est important de préciser que la langue est un puissant vecteur de culture. A ce titre, il est opportun de valoriser les langues nationales au même titre que la langue française afin d’assurer un équilibre chez l’enfant, étant donné que la plupart du temps, il aura à communiquer avec des individus qui présentent des similitudes langagières avec lui ».
Enfin, Jacques Dossou, l’enseignant de français préconise qu’il faut renforcer chez les apprenants la fréquentation des bibliothèques et centres de lecture. Pour lui, « il s’agit de lieux recommandés pour les apprenants pour acquérir le savoir et avoir le goût de la recherche. Beaucoup lire serait bénéfique à plus d’un titre pour ces élèves et étudiants qui seront désormais bien cultivés et le bagage lexical ne leur fera pas défaut pour mieux s’exprimer dans la langue de Molière ».
Au total, la langue française aurait un avenir linguistique rayonnant si chaque francophone s’emploie à l’entretenir et à se laisser séduire par sa beauté. Aimé Césaire avait sans doute raison d’affirmer : « j’ai plié la langue française à mon vouloir-dire ».
Obed J. SAGBO (Coll.)