Ma tante est morte à 88 ans ! Pour une dame qui a notablement rehaussé la démographie du Bénin avec ses neuf enfants, elle n’a reçu, ni fleurs, ni couronne de la part du Gouvernement. On nous rappelle chaque année, le souvenir de ceux qui sont morts pour la patrie, par le fleurissement du monument aux morts. Et rien pour les pourvoyeuses de vie comme ma tante. Nous étions heureusement là ; parents, alliés et amis venus du lointain comme du quartier.
Ma tante, grande vendeuse de riz et accompagnements, avait nourri des générations avant d’arrêter de préparer, usée par le feu et les taches annexes. Personne n’a repris le flambeau et à aucun moment le Gouvernement ne lui avait proposé un type de foyer amélioré lui permettant de nourrir anonyme, politiciens et hommes d’affaires qui ont défilé devant son étalage. Encore, le Gouvernement qui s’est raté. Mais il y a pire !
Dans les différentes délégations qui sont venues assister aux funérailles, les femmes du quartier et d’alentour, voire de loin, ont présenté des dizaines d’enfants, entouré de leurs parents chantant, mémé merci. Je m’étais étonné de cette scène même en sachant que ses innombrables enfants lui avaient fait des petits et arrières petits fils. C’est après une rapide enquête que j’ai découvert qui était ces enfants et parents et ce qu’ils représentaient.
En réalité, ma tante avait un don incroyable qui avait permis, dans ces années 80 et suivants, de sauver énormément de vie ; de casser et de reconstruire des foyers et des vies. En effet, elle était capable de repérer une jeune fille tombée enceinte avant même trois mois ! Quand une jeunesse de ce quartier populeux de chez elle passait, et qu’elle l’interpellait, les personnes alentours tendaient l’oreille. En une phrase, elle jaugeait le teint, les pieds, la silhouette et diagnostiquait : tu es enceinte ! Parfois ou trop souvent pour des femmes qui n’en étaient pas encore conscientes ou qui recherchaient leur stabilité ou leur pureté après des jeux brutaux.
Bientôt, on venait même la consulter pour se rassurer ou recevoir le coup fatal. Les jeunes filles ne passaient plus devant son étalage après des plaisirs coupables, ni même les grandes, car du haut de ses marmites, elle scellait votre sort et permettait à un être innocent d’échapper à la poubelle. Ce sont ces enfants et leurs parents qui sont venus la remercier sur son lit de mort.
Vous comprenez que, dans un temps, où les avortements n’étaient pas monnaie courante, les familles se résolvaient à la venue de l’enfant car j’avais oublié d’ajouter que ma tante, bavarde impénitente et informait rapidement le quartier. Evidemment, on avait la latitude de fuir le quartier ; ce qui n’était pas une bonne idée car ma tante demandera inlassablement après vous auprès des parents.
La question que je m’étais toujours posée, c’est de savoir si on n’aurait pas pu étudier et systématiser ce don qui devrait se baser quand même sur des faits d’observation. En sus, elle donnait des conseils prénataux et ne se privait pas de livrer des recettes pour laver et maintenir l’enfant à toutes les étapes.
Vous voyez à quel point, cette dame a peuplé le Bénin, partageant sa foi inébranlable dans l’importance de la vie et de la cohésion sociale. Je me suis surpris, au détour d’une larme d’émotion remémorant mes vertes années où j’étais un des grands piliers de son étal de riz et de voandzou, à attendre la voiture officielle qui annoncerait l’octroi d’une médaille du mérite.
Mais, c’est connu, même le 8 mars était réservé aux femmes battantes des bureaux et autres lambris dorés de la politique ; pas aux combattantes qui ont combattu le bon combat ! Aucune inquiétude, le paradis l’attend ; elle n’a pas perdu au change.
Maoudi Comlanvi JOHNSON,
Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe