Il n’est un secret pour personne que la drépanocytose est un mal héréditaire qui a un impact physique voire moral sur le porteur. Dans le système éducatif béninois, il existe donc des écoliers, élèves et étudiants drépanocytaires qui, à n’en point douter, sont victimes de la stigmatisation, des railleries et invectives de la part de leurs camarades de classes ou d’amphis. Votre journal Educ’Action, dans ce reportage, met le curseur sur l’accompagnement psychologique et pédagogique que doit bénéficier cette catégorie d’apprenants.
Ornette (prénom attribué) est une apprenante de la classe de CM2, résidant à Akogbato, dans le 12ième arrondissement de Cotonou. Agée de neuf (09) ans, de forme svelte, elle supporte difficilement ses douleurs cycliques au niveau de ses membres inférieurs et supérieurs surtout pendant les périodes de fraîcheur ou en saisons pluvieuses. Ces douleurs intenses et vives l’empêchent des fois de se tenir debout longtemps. « Elle a été diagnostiquée de la drépanocytose très tôt à l’âge de 02 ans. Très petite, déjà entre 01 an et 02 ans, elle tombe régulièrement malade jusqu’au jour où nous l’avons amenée au Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU) Hubert Maga à Cotonou. C’est là que nous avons été informés, après les analyses, qu’elle est porteuse de la drépanocytose. On nous a fait alors des prescriptions. Quand elle prend les médicaments, les douleurs s’apaisent », a confié Chantale Sogbadji, parente de l’écolière, montrant ainsi la dépendance de sa fille aux médicaments pour espérer un quelconque soulagement. Comme Ornette, nombreux sont les apprenants atteints de la drépanocytose dans le système éducatif béninois et qui se battent, des pieds et des mains et ceci chaque année scolaire voire académique, pour être présents lors des activités pédagogiques. Porteurs de cette maladie encore insondable pour certains et dont la célébration de la journée internationale a lieu chaque 14 juin de l’année, ils sont souvent objet de moqueries de tout genre.
Quid de la drépanocytose et de ses manifestations ?
Selon les explications des spécialistes approchés, la drépanocytose est un mal dangereux qui fait souffrir le porteur et cause sa mort, si le diagnostic et le suivi nécessaires ne sont pas faits à temps. « La drépanocytose est une maladie génétique qui se manifeste par la déformation des globules rouges, créant ainsi un blocage de la circulation sanguine. Ce blocage provoque d’intenses douleurs appelées crise drépanocytaire », a affirmé Faridath Ibrahim, psychologue clinicienne, avant d’ajouter que c’est une maladie dont les retentissements varient d’une personne à une autre et d’un moment à un autre. Cette maladie se manifeste le plus souvent par les douleurs au niveau des articulations, le faible taux d’oxygène dans l’organisme, la fatigue, l’inconfort physique, l’essoufflement, l’inflammation des doigts et des orteils, la pâleur ou le retard dans le développement pour ne citer que ces manifestations. Lesquelles manifestations ont des répercussions sur le rendement des apprenants drépanocytaires. Selon les informations glanées auprès des personnes ressources, la drépanocytose est une maladie qui ne se guérit pas. Mais à en croire ces derniers, tous des spécialistes de la santé, une prise en charge sérieuse et pluridisciplinaire est possible pour le bonheur et la longévité de l’apprenant atteint.
Des supplices morales et autres railleries des proches
Le succès d’un apprenant en milieu scolaire ou universitaire passe avant tout par sa présence d’esprit et sa concentration au cours des activités pédagogiques. Ces critères cités qui participent au succès de tout apprenant, ne s’observent pas toujours chez un apprenant vivant avec la drépanocytose. De l’enfance à l’adolescence, c’est un calvaire chez l’apprenant drépanocytaire. Assise sur une chaise, le regard plongé dans le vide comme si elle se rappelle ses douloureux moments, Ornette confie à Educ’Action : « Plusieurs fois, j’ai senti le mal à l’école. Cela commence toujours par les douleurs au niveau des membres. Quand je sens les moindres signes, je porte l’information à mon maître qui, pour éviter toute complication, m’autorise à rentrer à la maison. Je n’arrive plus à suivre les cours pendant un bon moment. Car, je dois attendre que les douleurs s’apaisent avant de renouer avec l’école. » Cette situation décrite par Ornette n’est pas sans conséquences sur l’apprentissage de ces types d’apprenants. « Les manifestations de la drépanocytose sont plus importantes à l’enfance et à l’adolescence, ce qui impact directement la scolarisation », fait savoir la psychologue clinicienne Faridath Ibrahim avant de souligner que l’idéal est d’informer les enseignants de l’état de santé des apprenants drépanocytaires aux fins de limiter le retard scolaire et d’éviter le décrochage.
En raison souvent de leur méconnaissance du mal dont souffre l’apprenant drépanocytaire, des camarades de classes ou d’amphis n’hésitent pas à s’adonner à des invectives, contraignant l’apprenant déjà en souffrance, de guerre lasse, à se replier sur lui-même. Un fait qui n’est pas nouveau, à en croire Chantale Sogbadji, génitrice de Ornette. « Mon enfant se plaint parfois de la réaction de certains de ses camarades qui disent qu’elle fait semblant d’être malade juste pour sécher les cours », confirme-t-elle d’un air évasif. « Si c’est pour la première fois que l’apprenant drépanocytaire fait une crise devant ses camarades, ces derniers vont se mettre à ricaner pensant que c’est à volonté qu’il leur présente cette scène. Ce qui n’est pas le cas », dira au micro de Educ’Action, Joseph Kponou, docteur en Sciences de l’éducation, pour revenir sur la réaction des camarades de classe ou d’amphi lors d’une première crise drépanocytaire.
Au regard des propos, on retient que l’apprenant drépanocytaire est victime de moqueries, de railleries et bien d’autres comportements moralement déviants. D’où, la nécessite pour l’enseignant voire les parents d’user des méthodes propices pour accompagner de façon psychologique et pédagogique ces types d’apprenants. « Pour que l’apprenant concerné ne soit pas sujet de railleries, il est du devoir des enseignants de son école de sensibiliser l’ensemble des élèves qui ont été témoins de la crise en leur expliquant que la crise observée n’est pas de sa volonté », a expliqué Dr Joseph Kponou, également directeur de l’EMP de Houègbo-Gare, dans la Circonscription Scolaire de Toffo, tout en ajoutant qu’il est important de faire preuve d’amour, de sympathie et d’une bonne camaraderie envers ces apprenants pour qu’ils ne se sentent pas marginaliser. Passant plus de temps avec les apprenants, les enseignants restent les premiers éducateurs à veiller sur l’équilibre psychologique des apprenants drépanocytaires. « Si au cours d’une séquence pédagogique, survient la crise drépanocytaire d’un apprenant, l’enseignant titulaire de la classe saisit l’autorité hiérarchique immédiate qui est son directeur ou sa directrice et ensemble, ils prennent la décision d’évacuer l’apprenant dans un centre en prenant soin d’informer les parents de cet apprenant », a dit Dr Joseph Kponou, pour renseigner sur la conduite que doit tenir l’enseignant lors d’une crise drépanocytaire de l’apprenant. Pour la psychologue clinicienne Faridath Ibrahim : « l’enseignant peut aider l’apprenant au niveau de la prévention des crises en l’hydratant de façon régulière, en respectant les précautions en relation avec les conditions climatiques, en favorisant une activité physique modérée et en connaissant la conduite à tenir en cas de crise ».
Quel apport des parents dans cette condition ?
« Il revient aux parents après être informés, de prendre en charge leur progéniture afin qu’il bénéficie des soins nécessaires dans ce sens », va laisser entendre Joseph Kponou, docteur en Sciences de l’éducation, attirant ainsi l’attention des parents sur leur apport dans le processus de prise en charge de leur enfant en cas de crise drépanocytaire. Habituée à la crise sanitaire liée à la drépanocytose de son rejeton, Chantale Sogbadji dévoile les mesures prises au passage de son enfant en classe supérieure. « Chaque fois, quand ma fille passe en année supérieure, j’avertis son nouveau maître pour qu’il ne l’ignore pas quand elle va commencer à sentir le mal. J’ai aussi instruit mon enfant en ce sens. Quand elle commence à sentir les douleurs à l’école, elle demande la permission au maître et rentre à la maison », affirme-t-elle d’une voix douce avant de préciser qu’en période de fraîcheur, elle veille à ce qu’elle porte toujours des pull-overs partout avec en ligne de mire, la prise des médicaments prescrits
De l’accompagnement du psychopédagogue et du psychologue clinicien
Malgré les colloques, les ateliers de réflexion organisés pour intéresser au mieux les apprenants vivant avec cette maladie, la discrimination et la marginalisation ont la dent dure. Seulement, il faut l’accompagnement d’un psychopédagogue et d’un psychologue clinicien. « Le psychopédagogue a un rôle important à jouer dans ce sens parce qu’il est un homme averti sur ce plan et est habilité à prodiguer les conseils appropriés aux camarades de l’élève qui ont suivi pour une première fois une crise drépanocytaire, et par ricochet au patient même », a indiqué Dr Joseph Kponon, montrant ainsi la nécessité de faire recours à un psychopédagogue. Car, ajoute-t-il, les conseils du psychopédagogue vont permettre aux camarades de l’apprenant victime du mal héréditaire de faire preuve de compassion envers ce dernier.
Abordant le volet psychologique, Faridath Ibrahim, psychologue clinicienne, explique que : « Le psychologue aura pour mission d’accompagner l’apprenant dans la gestion des détresses psychologiques que sont la dépression, la culpabilisation, la stigmatisation d’une part et veuillez à une éducation thérapeutique qui prend en compte l’apprenant, ses parents et son enseignant pour le respect de l’observance du traitement et du mode de vie adapté à sa situation d’autre part ».
Silas ADOUKONOU (Stag)