Je me souviens au détour d’une concertation que j’ai menée avec une commune du Nord de mon pays concernant les droits des enfants, j’ai insisté sur la nécessité de créer plusieurs activités génératrices de revenus pour les femmes comme gage de la promotion de l’épanouissement de ces enfants. La plupart des élus et cadres de la commune hochaient la tête avec un scepticisme marqué que je ne comprenais pas. A la fin de la réunion, je me suis rapproché de la responsable administrative qui s’occupait du genre juste pour une petite information. Je me suis surpris à faire plus d’une heure avec une dame en plein désarroi qui a sorti les dossiers de projets, de programmes et plusieurs autres activités de plusieurs dizaines de millions de francs, comprenant des hectares de terre, des animaux, etc. initiées pour les femmes de la localité dans les domaines variés et qui n’ont jamais prospéré.
La question que je posais à cette dame abattue, atterrée devant tant de désastres, c’est pourquoi ces dames n’y arrivaient pas ? L’ignorance, l’analphabétisme, le souci de s’occuper de leurs foyers ? Et pourtant, chacune, à des degrés divers, s’occupait de sa famille. Je pris le temps d’écouter la dame, de regarder et d’apprécier les projets aussi intéressants les uns que les autres et s’accordant au milieu. Et brutalement la vérité m’apparut : ces femmes n’étaient ni des incapables ni des incompétentes ; elles refusaient tout simplement ce développement qu’elles voyaient et comprenaient comme une violence économique. Alors, elles laissaient consciemment péricliter les initiatives, car elles savaient qu’elles n’aboutiraient qu’à l’enrichissement de leurs hommes qui récolteraient calmement le fruit de ces travaux. La vraie violence qui asservit est là !
L’autre histoire, c’est celle d’une femme merveilleuse, ange ou démon, mère de cinq enfants dont un garçon qui a aujourd’hui la trentaine. Son credo, c’est qu’aucune de ses filles ne résidera chez un mari ; la preuve, certaines ont eu des enfants mais vivent toujours avec leur maman, car les maris, de guerre lasse, ont abandonné. Il y a mieux : le fils, cadre de son état, a osé enceinter une fille sans la bénédiction de sa mère. Alors, les problèmes ont commencé. La mère avec la qualité qu’on lui connait, a récupéré l’enfant à cinq mois de chez sa mère et l’a renvoyée. La petite fille grandit dans les bras désinvoltes et maladroits de sa grand-mère et de ses tantes, la maman n’ayant l’autorisation de venir voir sa fille maltraitée, chétive et les jambes arquées par des placements précoces au dos, qu’une fois par mois. Enfin, quelque quidam du quartier s’émut de la situation et menaça de les dénoncer à la police avant que la belle-mère autorisa sa bru, pourtant enseignante de son état, à venir plus souvent voir son enfant. La bru fit tout son possible pour plaire mais ne fut acceptée que comme une intruse qui n’avait même pas l’autorisation de laver les habits de son homme. Mieux, la belle-mère veillait à ce qu’il n’y ait ni tentatives, ni tentations inavouées du couple, allant jusqu’à faire dormir son fils dans sa chambre. Le jour où, par un instant d’inattention fatale de la belle-mère allée aux toilettes, le fils de trente ans, cadre de son état, profita de ce matin brumeux et frais pour trousser sa dulcinée chichement vêtue d’une nuisette qui dévoilait plus qu’il ne cachait, la gent dame surgit des eaux et soupçonnant l’acte déjà consommé, se jeta sur son fils qu’elle frappa pendant qu’elle l’invectivait. La maison, composée des sœurs surtout, accourues hébétées, pour voir le spectacle de leur mère martyrisant leur frère. La dame de talent se mua en victime pour faire croire aux autres que c’était plutôt elle qui recevait les coups en se roulant par terre. Les filles crurent encore en elle, car le contraire était inimaginable et alors on cria beaucoup, on pleura plus et une fois encore, la vertueuse mère, défendant son fils coupable d’étreinte furtive et incomplète, eut raison.
Je sais que vous avez de la peine à croire ce que vous aviez lu. Mais cela existe et à Cotonou. Les femmes sont au Nord et souffrent quotidiennement et un couple est au Sud et subit la furie d’une mère inqualifiable. Dans ces deux situations, la cause est la même : d’autres diront que c’est l’argent, l’intérêt mais en réalité, c’est l’expression du choc de ces cultures traditionnelles et occidentales qui se sont rencontrées et ont posé de nouvelles bases difficiles à intégrer. Moi, je conclus que la civilisation occidentale est une civilisation violente qui renvoie nos peuples, devenus des individus côte à côte dans les poubelles de l’histoire.
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe